Islande II

Islande II

Nous sommes revenus à Akureyri le 23 juillet pour trouver Leonne et Jaap. Nous avions traversé l’Atlantique  en 2010 avec Leonne des Bermudes aux Açores dans des conditions difficiles : Le quatrième membre de l’équipage avait eu un mal de mer qui ne l’a pas lâché pendant les douze jours de la traversée et  auquel il n’a survécu que de peu grâce aux soins prodigués continuellement par Barbara, sans exagération de ma part ici. Le temps avait été fort difficile pendant une longue partie de cette navigation relatée dans Cérès en Atlantique, récit et réflexion d’un Suisse en mer, Ed. Slatkine, 2012. Nous savions donc Leonne une excellente navigatrice et nous réjouissions de la retrouver avec son compagnon Jaap.

Le nouvel équipage, Leonne et Jaap

Nous sommes partis avec eux pour poursuivre le tour de l’Islande avec une première étape vers Siglufjördur, un autre haut-lieu de la pêche aux harengs de l’Islande.  Nous nous sommes amarrés sur un quai à  peine plus long que notre bateau devant un hôtel où nous avons fort bien dîné. Notre temps fut pris non seulement par une visite du musée, très bien fait, mais encore par une longue recherche de pièces pour raccorder notre système de gaz aux bouteilles de gaz islandaises. La compatibilité entre les systèmes de gaz d’une région du globe à une autre est un sujet de préoccupation casse-pied, pour dire le moins, pour les navigateurs au long cours. La standardisation n’est apparemment pas à l’ordre du jour des fabricants de tuyaux et autres embouts, ni à celui des producteurs de gaz à usage domestique ambulant. Markus nous avait bien amené quelques pièces en nous disant que nous pourrions remplir nos bouteilles camping-gaz aux stations d’essence et de gaz, mais ceci ne peut se faire en Islande. Jaap et Leonne ont amené d’autres pièces en provenance d’un shipshandler hollandais, mais de toute évidence, cela ne suffisait pas. J’avais fait des kilomètres à pied à Akureyri où on m’a vendu une pièce sensée rendre une bouteille locale compatible avec les embouts camping-gaz, ce fut encore un mirage. Il devenait important de trouver une solution, car nous arrivions au bout de notre réserve emmenée d’Europe. Jaap et moi avons donc essayé toutes les connexions que nous avions, sans succès, nous avons alors parcouru le quartier industriel de Siglufjördur de multiples fois, cherchant pièce après pièce, jusqu’à ce que nous ayons réussi la jonction. La dernière étape impliquait que nous coupions le tuyau existant, c’est donc avec une certaine trépidation que nous avons effectué les dernières opérations et, avec  un soulagement non moins certain, que nous avons constaté que nos efforts avaient eu le succès escompté. Nous pouvions utiliser la bouteille islandaise que nous avions et n’avons constaté aucune fuite dans notre jonction. Barbara pourrait se remettre à confectionner gâteaux et pains sans soucis de finir pour toujours notre capacité de cuisiner.

Hofsos, le port

L’étape suivante nous a mené à Hofsos. Un tout petit village et port dans lequel nous sommes arrivés avec un vent forcissant jusqu’à force 7. Nous nous sommes trouvés seul voilier, comme presque partout, contre un haut mur garni de pneus peu accueillants pour laisser s’essouffler le coup de vent. L’endroit s’enorgueillit d’avoir une des plus belles piscines du pays, si ce n’est la plus belle. Nous avons donc barboté dans de l’eau agréablement chaude les cheveux au vent et le visage sous la pluie avec une vue imprenable sur la mer. Barbara et moi avons aussi fait une longue balade dans les rochers et les marais à la recherche de structures  basaltiques hexagonales qui, finalement étaient au pied de la piscine. Sur un chemin perdu nous avons échangé quelques mots avec deux filles de probablement 6 et 10 ans. Quand nous les avons quittées, nous les avons vu enfiler d’énormes casques et s’asseoir dans un  quad, la plus petite au volant, et démarrer de manière décidée, marche arrière, demi-tour marche avant et droit sur le chemin de terre.

Structures héxagonales basaltiques
Jeunes conductrices
Rivière à Hofsos
Courlis

Le vent calmé nous sommes partis pour une belle et longue étape vers Nordurfjördur, le long de la côte est du chou-fleur qui forme l’extrémité nord-ouest de l’Islande. Un message m’avait annoncé que mon collègue  astrophysicien Nick White passait quelques jours en Islande. Son épouse et lui ont décidé de nous rejoindre là pour passer la soirée. Ils ont conduit leur camping car quelques 4.5h sur des routes et des pistes acrobatiques  pour rejoindre la baie dans laquelle nous étions ancrés, seul bateau là aussi. Nick avait racheté en son temps notre cuisine quand il arrivait pour rejoindre le groupe de scientifiques que je quittais à Darmstadt en 1984. Nous étions restés ensuite en contact, il a organisé la participation de la NASA au groupe que j’ai mis sur pied à Genève pour analyser les données du satellite INTEGRAL. La soirée fut animée jusqu’à ce que je les ramène à terre à bord de notre annexe au moteur électrique silencieux.

Gaia à Nordurfjördur
Nick et Anne-Katrin

Nous avons franchi le cap Horn le lendemain, l’extrémité nord de l’Islande, à un doigt du cercle polaire. Passer ce cap n’autorise pas, contrairement à son homonyme de l’hémisphère sud, à pisser au vent. Ce sera, peut-être, pour plus tard. Le cap est une monstrueuse falaise tombant droit dans l’Océan, la contourner permet de pénétrer dans une baie trop ouverte pour se sentir bien abrité, en particulier des vents du nord, des falaises  rouille et noir entourent le mouillage, sauf au sud où une plage de galets gris tente vainement d’adoucir un paysage de fin du monde.  Les vents tourbillonnent dans la baie sous des nuages sombres et froids. Un voilier sortait du mouillage quand nous y sommes entrés, un bateau suisse, Top to Top, avec 6 enfants à bord en route vers Akureyri puis la Norvège où certains de ces enfants sont scolarisés, les autres rejoignant ensuite une belle éducation suisse à Engelberg. Tout ceci échangé par VHF en nous croisant.  Le vent n’a pas tourné au nord et s’est calmé, la nuit fut paisible. Tous, nous avons quitté ce lieu dantesque le matin suivant avec soulagement pour longer d’autres falaises à distance respectable, tant elles  sont agressives et menaçantes.

Cap Horn

Adalvik est une autre baie sur la face nord du chou-fleur, plus ouverte et accueillante que Hornvik, si douce qu’on y voit même une maison avec quelques personnes ! Nous avons pu y faire une longue promenade vers un col qui donne sur un fjord profond qui s’ouvre sur la côte est de la péninsule, nous avançons dans notre tour de l’Islande.

Adalvik

Encore un mouillage sauvage à Veidileisfjördur après avoir viré l’extrémité nord-ouest de la branche la plus nord du chou-fleur. C’est un fjord profond que l’on longe vers le nord jusqu’à une remontée des fonds que nous pensons être une moraine. Le fonds du fjord, plus profond que le dos de la moraine, n’est pas cartographié, comme de grandes zones le long des falaises que nous avions longées, mais il nous avait été dit que le mouillage y est excellent et bien protégé. Nous avons parcouru la zone dans laquelle nous voulions mouiller en sondant les fonds et avons trouvé un endroit adéquat pour mouiller notre ancre. Nous avons donc mouillé, seuls au monde à nouveau. Une balade nous a amené jusqu’à un névé proche où nous avons posé pour l’éternité et touché la neige. Le soir un autre bateau est arrivé, des Islandais à bord d’un bateau norvégien. La nature ne voulant que nous nous sentions en surpopulation dans ce lieu a fait arriver un épais brouillard qui nous a caché tout de l’endroit où nous étions, y compris notre voisin. Avant de partir le matin suivant, une timide éclaircie sans vent nous a poussé à un exercice de drone (https://youtu.be/Pq2dEcqt4l4 ) avant de traverser sur Isafjördur.

Névé à Veidileisfjördur

On entre dans le port de IsafJördur un peu comme dans la coquille d’un escargot, par une spirale vers l’abri des voiliers. L’endroit est donc fort bien protégé, Gaia y sera fort bien pour passer l’hiver. Le port a tout d’un centre d’expéditions. Les voiliers y sont grands et solides, peu ressemblant à de pimpantes embarcations sur lesquelles  trônent de grands bouquets de glaïeuls.

Le soir un voisin, navigateur solitaire en route vers le nord et l’est, est passé nous voir. Après avoir bu une bière avec nous, qui de toute évidence n’était pas la première de sa soirée, il a insisté pour que je l’accompagne à son bord pour me montrer, disait-il, des emplacements de beaux mouillages dans la région. Son carré sentait le vieux bateau et son évier était plein de canettes vides. J’ai accepté la première bière qu’il me proposait, je n’ai rien vu en fait de navigation, j’ai refusé la deuxième bière et j’ai pu ressortir sain et sauf après avoir bien gardé mes arrières.

Isafjördur, comme plusieurs endroits que nous verrons, est adossée à une côte de vallée glaciaire faite d’éboulis dans sa partie basse et de falaises rocheuses au-dessus. Ces structures ont la fâcheuse tendance à s’effondrer par érosion, comme ce fut le cas à Seydisfjördur en décembre 2020. Pour se protéger de chutes de rochers, Isafjördur est protégée  par d’immenses barrières de terre, de pierres et d’acier. Ces infrastructures requièrent un investissement considérable que l’on comprend bien pour le bourg d’Isafjördur, mais qui semblent disproportionné quand les barrières ne protègent que quelques maisons, comme nous le verrons autour d’autres ports.

Isafjördur, protection contre les éboulements

Les discussions que j’ai pu avoir avec le capitaine du port, un homme d’autorité cela se voit à distance, me convainquent que nous faisons un bon choix en prévoyant de laisser Gaia là pour l’hiver à venir. Mais l’été n’est pas fini et nous voulons continuer vers Reykjavik et les îles Vestmann au sud-est de l’Islande avant de remonter vers notre lieu d’hivernage.

La route se poursuit donc vers Sudureyri, un tout petit port. Le mur d’une maison est orné d’une fresque un peu naïve et d’un poème. Le soir, après une balade vers le terrain d’aviation qui fut fort utilisé avant la construction d’un tunnel qui a désenclavé le village inaccessible par la route avant, nous avons dîné au bistrot de l’endroit à côté d’un groupe dont il se trouvait que la mère d’une des personnes est l’auteure du poème. Elle nous a accompagnés en sortant et a traduit pour nous le poème.

Le poème et la fille de l’auteure

Patreksfjördur ensuite, encore un petit port de pêche. Nous nous nous étonnons toujours qu’avec une activité de pêche intense il ne soit pas possible de trouver du poisson frais dans ces lieux. En fait tout le produit de la pêche est conditionné puis exporté. Il en revient une petite partie, congelée, dans les supermarchés.

En traversant le grand golfe suivant, vers Olafsvik, nous marchions au moteur sur une mer calme. Je lisais un livre à propos de la carrière  de Trump aux marches de la mafia sur une banquette du carré quand Barbara m’a appelé, une intonation d’urgence dans la voix. J’ai abandonné les turpitudes de Donald pour sauter dans le cockpit et voir à quelques mètres de notre étrave l’énorme dos d’un cachalot. Une marche arrière un peu brutale nous a permis de ralentir suffisamment pour éviter la collision avec la baleine. Barbara avait écrit dans le livre de bord peu avant cette rencontre à propos de cette longue navigation au moteur sur une mer sans vent : « On s’ennuie un peu tous ! »…

Vers Olafsvik, l’été islandais

Encore une étape de 24h pour rejoindre Reykjavik depuis Olafsvik. Il n’y a pas beaucoup d’abris le long de cette côte et, si vue sur une carte à petite échelle, l’Islande paraît petite, ces côtes sont bien longues pour un pays de 300’000 habitants. Une haute colonne blanche signale le volcan actif au loin, derrière Reykjavik.

Jaap nous  a quitté à Reykjavik après une grande excursion en voiture louée vers les hauts lieux de l’histoire islandaises et des formations géologiques tourmentées, y compris le célèbre Geyser, qui s’est maintenant tu au profit de l’évent voisin. L’Islande a été peuplée pour la première fois par les Vikings qui y ont installé un système de gouvernance original pour tous, sauf ceux qui connaissent la Diète helvétique :   Les communautés réparties sur l’île vivaient chacune à son rythme  avec leur gouvernance propre, et leurs chefs se réunissaient une fois par année pour discuter de problèmes communs. Ce système a perduré pendant quelques huit siècles. Cette assemblée se tenait adossée à la faille entre les plaques tectoniques américaine et européenne, à Pingvelir  (https://sy-gaia.ch/lislande-une-geologie-dynamique/).

Jaap  nous a quitté pour retrouver son travail. Il a été remplacé par Anneke, une amie de Leonne de longue date , qui a plusieurs dizaines de milliers de Milles à son actif. Nous restons donc pour les étapes à venir une équipe de quatre personnes expérimentées à bord, ce que je considère comme la moindre des choses dans ces mers perdues et froides.

3 réflexions sur « Islande II »

  1. Thierry, tu sais sans doute que le Snæfellsjökull, devant lequel vous avez passé, est l’endroit où Jules Verne fait commencer son “Voyage au centre de la Terre”!

    1. Liebe Reisende;
      Unheimlich Interessant eure Berichte zu verfolgen und gleichzeitig auf Google Maps euch zu begleiten. In der Kälte des Nordens ein unheimliches Erlebnis. Vor langer Zeit bin ich einmal von Reykjavik nach Amsterdam gesegelt Zu Zeiten meiner Prüfung B Schein.
      Gerne lese ich weiterhin eure Berichte, Mast und Schottbruch.
      hans.zwygart@icloud.com

  2. Chers amis ,

    C’est toujours avec autant d’enthousiasme et intérêt que je vous lis.
    Tout de même très heureuse d’écouter très bientôt
    „en live“
    Bises Hélène

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *