De caleta en caleta entre Puerto Natales et Puerto Eden

De caleta en caleta entre Puerto Natales et Puerto Eden

Une caleta le long du chemin

Le 6 février, Paola, Mike et François nous ont rejoints à Puerto Natales. Nous avons fait un tour approfondi du bateau avec eux en insistant sur les systèmes de sécurité du bord puis un second tour dans le but d’expliciter un maximum les manœuvres des voiles, de mouillage et d’amarrage, tant il est vrai que l’équipage devra fonctionner rondement dès le départ ; les circonstances dans la région ne laissant que peu de place aux hésitations.  Dans les amarrages de caleta, Mike sera à l’ancre et coupera le goémond abondant qui s’accroche aux ancres quand elles sont remontées, Paola et François rameront dans l’annexe pour porter les amarres à terre, Barbara filera les amarres puis les raidira pendant que je m’efforcerai de garder le bateau immobile en utilisant la chaîne d’ancre, le propulseur d’étrave et le moteur. Barbara a sorti toutes les provisions du bord et mis à jour les listes d’achats pour que nous soyons aussi bien pourvus pendant le mois à venir que nous l’avions été depuis Ushuaia. Nous avons fini l’avitaillement en suivant ces listes et rangé les provisions de manière à trouver en tout temps ce dont nous aurions besoin. Le plus difficile à garder étant le pain, Barbara en cuira régulièrement pendant les semaines suivantes. La conversation à propos de la météo a repris avec Pierre Eckert ; ces échanges me permettent d’avoir une vision claire de la situation météo et autant d’indications que possible sur les effets orographiques, c’est le mieux que l’on puisse espérer dans cette région découpée et montagneuse. Le bateau prêt, nous nous sommes rendus à la capitania l’armada nous a délivré la zarpe, le document qui nous autorise à naviguer jusqu’à Puerto Montt. La dernière nuit fut particulièrement pénible. L’angle du vent était tel que le remorqueur à couple duquel nous étions amarrés ne nous protégeait pas des vagues qui atteignaient un mètre et plus dans le port. Nous avons été secoués toute la nuit en craignant que nos amarres ne cassent, ce qui ne fut pas le cas. Quitter cet endroit inhospitalier au possible pour un voilier fut un soulagement. Le manque de facilités même rudimentaires pour les bateaux à Puerto Natales est d’autant plus regrettable que la petite ville est vivante et agréable, au moins à cette saison, et que l’on trouve le seul avitaillement ici entre Ushuaia et les villages de l’île de Chiloé, à un mois de navigation environ.

Le vent souffle juste à l’extérieur de la caleta

Le départ, le 9 février, dans un vent de nord-ouest a été rapide.  Puerto Natales adossée à la steppe a défilé sous nos yeux avant que nous ne retrouvions la forêt sur l’autre rive du passage. Puerto Natales est située sur un premier espace sec après que toute la pluie du Pacific se soit déversée sur les premières chaînes des Andes -et sur Gaia. Le contraste entre une rive à végétation de steppe et l’autre couverte de forêt ne pourrait être plus marqué.Pour gagner le nord il faut d’abord sortir du cul de sac le long duquel Puerto Natales est situé et donc rebrousser le chemin parcouru en arrivant sur une cinquantaine de milles. Le Golf de Almirante Montt à la sortie de Puerto Natales sur ce trajet était déchaîné. Nous nous sommes trouvés à tirer des bords dans un vent de force 9, beaucoup plus qu’attendu. L’eau était arrachée de la surface de la mer en longues volutes. Gaia a fait face avec grâce sous un bout de grand-voile et une trinquette roulée. Le vent a fort heureusement faibli avant que nous n’approchions Angostura Kirke, le passage étroit qui relie le golf aux canaux. Comme à l’aller, nous n’avons pas vu d’oiseaux pour nous indiquer l’état de la mer, mais sommes passés sans difficulté. Nous voulions nous arrêter dans une première caleta peu après le goulet, mais les rafales y étaient trop fortes pour une manœuvre en sécurité. La suivante, caleta Morla, fut plus accueillante et le premier amarrage sur ancre et lignes à terre du nouvel équipage fut un succès. Une soirée paisible a suivi, nécessaire pour que tous se remettent des difficultés de la journée.

Amarage entre pluie et soleil

Nous avons le jour suivant tiré des bords contre un vent de nord de force beaucoup plus humaine que la veille pour faire du chemin le long de Union Bay. Un vent de nord pas trop fort avec peu de pluie étaient les meilleures conditions que l’on pouvait attendre dans cette région où les vents de sud sont une exception. Le soir nous avons rejoint la caleta Columbine où nous avons retrouvé Songster et Boaty McBoatface avec leurs équipages, Camilla et Jurriaan avec Christopher, 2 ans, pour Songster et Rolf et Wolf pour Boaty McBoatface. Une première rencontre depuis Puerto Williams, le début d’une vie sociale intense en comparaison de l’absence quasi totale de bateaux plus au sud.

Le 11 février, nous avons poursuivi notre route vers le nord. Le vent était d’ouest, une bonne direction pour progresser vers le nord. La route du jour traversait un passage largement ouvert vers le Pacifique. Le vent s’y engouffre avec force, 30kt, force 7 ce jour-là.  Vent de travers, Gaia progressait joyeusement à 10kt. Songster et Boaty McBoatface suivaient. Il y a de l’autre côté de ce passage, dans des eaux à nouveau protégées des ardeurs du Pacifique, une caleta qui nous avait été décrite comme le plus beau mouillage d’une vie. Nous avons donc décidé de nous y arrêter alors que nos collègues poursuivaient leur chemin. L’entrée de l’abri est un labyrinthe de roches et d’îlots, magnifique en effet, d’autant plus que nous étions accompagnés par un groupe de dauphins jusqu’au cœur du mouillage. Nous avons tout de même regretté de nous être arrêtés alors que les conditions pour faire de la route étaient excellentes, tellement rare par ici.

En bonne compagnie pour entrer dans la caleta

Deux lignes à terre à Puerto Bueno

Balade dans la végétation et les rochers à Puerto Bueno

En effet, le lendemain, c’est de nouveau avec un vent contraire que nous avons fait une courte étape contre vent et courant vers Puerto Bueno, une superbe caleta dans laquelle nous avons mouillé et posé deux lignes à terre. Caleta Cottica ensuite, encore des vents contraires et de la pluie, mais il faut avancer chaque fois que cela est possible. Puis caleta Refugio où Amelia  (Cat et Nick) nous a rejoint avec Songster et Boaty Mcboatface. Quelques icebergs descendaient d’un glacier voisin, nous donnant l’occasion de « pêcher » un growler pour rafraîchir les whiskies de la soirée. Quatre bateaux dans une caleta, du jamais vu pour nous. Jurriaan, le skipper de Songster a mis son annexe à l’eau et emmené son fils Christopher voir les dauphins qui nageaient dans la caleta. Les dauphins semblaient apprécier la compagnie et Jurriaan a donc promené plusieurs membres des équipages, pendant que Nick, le skipper d’Amelia naviguait avec Cat dans leur annexe un verre à la main car, nous dit-il, « I have a thirst that water cannot quench ». Tout ce monde s’est retrouvé à bord de Gaia pour la soirée.

Quatre bateaux dans la caleta Refugio

Longue journée le lendemain. Nous sommes partis tôt, nous frayant un chemin dans la glace qui s’était accumulée pendant la nuit, pour faire route vers le glacier Pie XI. Pie XI (1857-1939) pape de 1922 à sa mort. Il aimait dire : « j’aime tellement les traditions que j’en crée de nouvelles ». Si Pie XI s’arrangeait avec Mussolini, il a pris ses distances avec Hitler en quittant Rome lors de la visite du chancelier allemand à Rome en disant « il n’y a pas de place, à Rome, pour deux croix, la Croix du Christ et une autre croix ». (Wikipedia). C’est pendant son pontificat que furent signés les accords de Latran créant l’état du Vatican. Pie XI était aussi un montagnard émérite, c’est pourquoi le jésuite Alberto Maria de Agostini qui explorait la région dans le but d’évangéliser les natifs de l’endroit a donné son nom à ce glacier. Encore une illustration de combien récente est l’exploration du sud du Chili.

Gaia devant le glacier Pie XI

Le front du glacier haut de 100 mètres s’étant sur trois kilomètres  dans le fond du fjord. Nous nous sommes approchés autant que possible parmi les icebergs et avons regardé le glacier véler par pans entiers de glaces qui s’effondraient dans la mer avec grand bruit en causant des vagues ressenties jusqu’à nous. Mike a sorti son drone pour faire des images du glacier avec Gaia en premier plan. Le glacier Pie XI est une des langues de la calotte glaciaire continentale de laquelle tous les autres glaciers que nous avons vus sont aussi issus. C’est, sauf erreur, le seul glacier de la planète qui avance. Avec la quantité d’eau qui tombe du ciel pour le nourrir ce n’est peut-être pas très étonnant. La langue de glace Pie XI pénètre dans la forêt sur son côté en avançant et écrase les arbres sur son chemin. Un spectacle auquel  les glaciers alpins reculant à grande vitesse ne nous ont pas habitués. Un spectacle qui rappelle les processions menées par des curés valaisans au XIXème pour tenter de freiner l’avancée des glaces alpines vers leurs villages et églises. Leurs prières ont été entendues, le CO2 que nous mettons dans l’atmosphère, sur ordre divin ou non, a renversé le mouvement ces dernières décennies.

Le glacier avance dans la forêt

Caleta Sally toute proche du glacie Pie XI

Gaia s’éloigne du glacier Pie XI

Il y a une toute petite caleta sur le côté du glacier dans la forêt avec juste la place nécessaire pour glisser un bateau entre les roches et les arbres. Nous nous y sommes arrêtés, toujours mouillé sur une ancre avec deux bouts à terre pour passer une nuit tranquille. Retour sur nos pas le matin suivant, le vent soufflant toujours du nord, nous avons enfin pu faire route à la voile avant de nous arrêter à la caleta Lucrecia, sur le chemin de Puerto Eden. C’est une des rares caletas d’où il est possible de marcher un peu dans le terrain derrière la grève, ce dont nous ne nous sommes pas privés. Il y a sur la grève un important amas de coquilles de moules qui forment un tas de toute évidence ordonné. Nous nous sommes étonnés de cet agencement et avons appris plus tard que les indigènes utilisaient ce mode pour marquer les emplacements qui leur étaient propices pour s’arrêter. Un des rares vestiges laissé par les populations qui habitaient ces régions avant l’arrivée des Européens entre la fin du XIXème et le XXème.

Caleta Lucrecia

Amas de moules dans la caleta Lucrecia

Les coquilles de moules étaient volontairement ordonnées par les indigènes

Nous attendions pour la dernière étape vers Puerto Eden du vent contraire de 10 à 15 kt. Pas drôle, mais parfaitement jouable pour notre moteur dans un canal étroit. C’était compter sans les accélérations de vent dans ces chenaux. C’est avec du vent entre 20 et 30kt que nous avons dû progresser encore pendant l’essentiel de la journée. Le soulagement était donc grand quand nous avons mouillé notre ancre devant le village. Les maisons sont appuyées sur la pente, ordonnées le long de passerelles en bois. Le village abritait quelques 600 habitants au temps de sa plus grande extension. Il en reste une cinquantaine maintenant. Beaucoup ont quitté la région quand la marée rouge a interdit la consommation des moules et autres coquillages dont la récolte était une des principales activités de la région. Pas de bistrot, un vague supermarché achalandé une fois par semaine lors du passage du bateau poste. Barbara avait prévu à Puerto Natales que les possibilités d’avitaillement de Puerto Eden seraient limitées. Nous nous sommes donc procuré quelques légumes et fruits frais, c’est tout ce dont nous avions besoin. Nous avons pu faire du diesel grâce à Claudio et à sa pompe artisanale montée sur un canot. Marcher un jour sans pluie sur les passerelles en bois dans et autour du village nous a menés à quelques points de vue sur les îles alentour et les canaux autour. Par beau temps cette région est un rêve.

Les bateaux à l’ancre devant Puerto Eden

Les maisons de Puerto Eden le long de passerelles en bois

Nous avons retrouvé les équipages de Songster, Boaty McBoatface et Amelia au mouillage aussi. La fatigue se lisait sur les visages des équipiers de tous les bateaux présents. Les longues semaines de très mauvais temps, toujours contraire, au froid et sous la pluie avaient laissé des traces sur les visages. Les deux ou trois jours sans mouvements furent bienvenus pour tous.  Il y a à Puerto Eden un bâtiment qui fut une hostellerie dont le propriétaire a mis une salle à notre disposition pour une soirée avec les équipages des quelques bateaux ancrés, sans surprise Songster, Boaty Mc Boatface, Amelia et nous. Une soirée chaleureuse à échanger sur les épreuves passées, le route devant et les projets à plus long terme. Une bonne préparation pour reprendre la route le lendemain.

Puerto Eden, les passerelles mènent à de superbes points de vue

9 réflexions sur « De caleta en caleta entre Puerto Natales et Puerto Eden »

  1. vous êtes vraiment courageux, force 9 vent de face , ça donne encore plus de poids aux illustrations.
    Bonne navigation
    Dominique

  2. Hier à Sion la température est arrivée au dessus des 24°. Je ne sais pas si les curés du Valais ont prié pour les glaciers ou un retour à des températures de saison.
    Votre carnet de bord est toujours magnifique. Humour pimente et commentaires historiques tres appréciables. Les photos prises depuis le drone sont magnifiques. Merci pour le partage.

  3. Merci bien pour ce partage de moments uniques de votre voyage exceptionnel et des récits culturels habituels.
    A bientôt.

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