De Puerto Williams à Puerto Natales

De Puerto Williams à Puerto Natales

Ushuaia est en Argentine et la suite de notre navigation se fera au Chili. Il nous faut donc sortir d’Argentine et entrer au Chili. Comme partout en Amérique du sud ceci représente une opération administrative lourde, même si aucun problème n’est prévu car nous sommes dans les temps pour nos visas touristiques et pour la durée du séjour du bateau dans le pays. Nous nous rendons donc dans les bureaux de l’immigration pour la sortie des personnes, puis dans ceux de la douane pour la sortie du bateau. Chaque fois soulagés quand nous entendons les tampons indiquant la fin des opérations claquer de nombreuses fois. Ces formalités faites il faut aller à la prefectura pour obtenir l’autorisation de quitter le port. Ce sera plus ardu, l’officiel semblant largement perdu dans le processus. Finalement il faudra encore une visite d’inspection du bateau plus tard dans la soirée. Visite faite par une jeune femme sanglée dans un uniforme lui conférant une belle autorité dont elle use pour se renseigner sur les dates de validité de nos fusées de détresse, notre radeau de sauvetage et nos extincteurs. Elle n’a pas demandé à voir la hache qui fait partie de l’inventaire obligatoire en Argentine et que nous avions empruntée à un bateau voisin pour l’occasion.

Notre navigation à partir d’Ushuaia va vers l’ouest, mais Puerto Williams est le port d’entrée au Chili dans la région (c’est la seule bourgade chilienne à moins de 100km) est 25 milles à l’est. Départ donc le 5 janvier pour une navigation facile dans le canal de Beagle. Il n’y a pas de port à proprement parlé à Puerto Williams mais une épave de navire militaire transporteur de munitions -Le Micalvi- échoué dans une toute petite anse bien protégée. Les premiers venus s’amarrent sur l’épave, les suivants sur les premiers et ainsi de suite jusqu’à 4 couches. Nous étions la troisième. L’intérieur du Micalvi est transformé en bar sans tenancier, mais à disposition des navigateurs. Il y a ainsi tous les soirs des apéros, drinks, parties et autres. Nous y avons retrouvé l’équipage de Songster que nous avions vu au Brésil, d’autres rencontrés à Ushuaia, certains en route pour l’Antarctique d’autres, comme nous, vers les canaux patagoniens. Mais avant les apéros, il faut se rendre à l’immigration, à la douane et à la capitania pour les papiers d’entrée. Pas de problème, sauf une longue attente car un bateau de croisière venait d’arriver, submergeant le bureau d’immigration.

Puerto Williams, les bateaux amarrés à l’épave Micalvi

Micalvi, le bar

Marc et Sylvie de Chamade, des amis journalistes et photographe bien connus des auditeurs de la radio romande et navigateurs, sont arrivés peu après nous en arrivant de la descente des canaux patagoniens que nous allons remonter. Nous les avons vus avec plaisir pour des repas et une balade dans la bourgade qui abrite des bâtiments universitaires flambant neufs et superbes. De toute évidence l’Etat chilien veut marquer sa présence dans le grand sud. Quitter Puerto Williams impliquera quitter les contacts extérieurs physiques et électronique, hormis le satellite, pour une durée d’un mois environs. Les canaux patagoniens sont déserts, froids, venteux et pluvieux. Nous vivrons moins connectés encore que nous ne l’étions avant l’apparition du courrier électronique : pas de journal, pas de radio, pas de téléphone ; juste quelques mots avec l’extérieur et la météo par connexion satellite.  Pas de chemins, pas de maisons hormis deux stations de radio de l’armada, sur des centaines de kilomètres. Quatre bateaux croisés peut-être en plus de trois semaines. Cette terre est désertée des hommes et probablement des dieux. Pas de légendes, Ulysse n’a pas passé par ici. Pas d’histoire non plus, les indigènes n’ont laissé aucune trace orale ou écrite, seulement quelques pointes de flèches en pierre taillée et quelques artifices en bois. La météo est une nécessité que n’avait pas nos amis Nadia et Jean-Christophe qui ont parcouru cette route au milieu des années 1990 sur un ketch en acier sans GPS. En voyant le temps ici et en mesurant la difficulté de trouver sa route je pense souvent à eux. Comme nous imaginons Eugénie et son bateau ici dans quelques semaines. Nous ne pouvons que lui souhaiter une météo plus clémente que ce que nous vivons.

Le 7 nous faisons lever nos voisins de la quatrième couche tôt pour pouvoir partir. Il leur faut non seulement lâcher nos amarres, mais une fois que nous serons partis, il leur faudra se ré-amarrer à notre place. Nous faisons route vers l’ouest, contre vent et courant, passons devant Ushuaia pour poser notre ancre dans la caleta Ferrari, qui n’a rien avoir avec des voitures rouges, mais qui tient son nom d’un obscur officier de marine. L’endroit était habité jusque dans les années 1970. Il reste des baraques, un lavabo, quelques chaises, une charrette. Des fleurs à profusion, des collines douces. La caleta suivante, Seno Pia est au pied d’un glacier. Nous en avons vu de somptueux en route surplombant le canal et voulions remonter jusqu’au pied d’un d’eux avant de nous amarrer. Il y avait malheureusement trop de glace pour cette excursion. Nous nous sommes rabattus sur une balade en annexe vers un autre de ces glaciers en zigzaguant entre les glaçons. Nous récoltons un peu de glace sur la mer pour animer un gin et tonic au retour.

Gaia mouillé dans la caleta Ferrari

Baraque, caleta Ferrari

Dans une baraque, caleta Ferrari

Caleta Silva ensuite. Pour s’amarrer dans ces petites caletas, on pose son ancre puis recule jusqu’à être tout proche de la rive. Deux équipiers embarquent alors dans l’annexe en tirant l’extrémité d’une longue amarre, de celles que nous avons achetées à Mar del Plata, qu’ils vont attacher à un arbre. La manœuvre est répétée pour une deuxième et éventuellement une troisième amarre. L’opération est délicate dans ce sens qu’il faut éviter que le bateau non encore amarré ne dérive sur les cailloux. La première approche est un peu hésitante, les suivantes plus fluides.

Un glacier sur le chemin de Seno Pia

Un cirque de roches abruptes et grises domine la caleta suivante, Brecknock. Un univers minéral et gigantesque qui surplombe et domine le petit bateau qui s’y aventure. Il y pleut toutes les larmes du ciel dans un froid glacial et sombre. Nous présentons le cul de Gaia dans le renfoncement de roches qui forme l’abri, portons les lignes à terre -quatre- et rentrons nous mettre au chaud. Le départ pour la caleta Cluedo se fait à l’aube. Le jour est si peu levé à 5h que nous buvons un café avant les manœuvres. Nous déplaçons les lignes pour n’être plus tenu que par deux que nous pouvons relâcher depuis le bateau en relevant l’ancre. En quittant la caleta nous nous trouvons dans un canal encore protégé mais débouchons sur un grand espace ouvert sur le Pacifique. Un passage délicat, mais calme ce matin-là. Nous voulons arriver avant de fort mauvaises conditions prévues en fin d’après-midi. Ce fut raté. Le temps s’est dégradé vers 11h, visibilité quasi nulle, pluie intense et vent fort. Tout ce que nous voulions éviter pour notre arrivée dans la caleta. Une ancre et trois lignes posées à terre plus tard nous nous réfugions à nouveau dans notre carré.

Caleta Brecknock, un univers minéral

S’amarrer demande de l’attention. Ici dans la caleta Brecknock

Le 17 départ à l’aube de nouveau, cette fois pour traverser un passage très étroit dans lequel le courant de marée est puissant et où il faut se trouver à la renverse de courant, pour nous 8h du matin après 2h et demie de route. Le canal que nous empruntons, Acwalisnan, est en principe interdit aux bateaux probablement car il n’est pas officiellement cartographié. Mais les guides nautiques le décrivent en détail et le recommandent. Nous donnons donc notre position aux autorités avant de partir et ne donnerons la suivante que dans une zone à nouveau autorisée. La pluie s’arrête peu après notre départ, le paysage se découvre, des verts profonds tirant vers le brun, des roches polies par les glaces, des montagnes enneigées, la mer grise. Nous sommes seuls dans un monde gigantesque comme jamais dans ma vie.

Le canal débouche sur le détroit de Magellan. Nous pouvons enfin mettre sous voile un moment, le temps de le traverser en direction de la caleta Gallant que nous n’atteindrons cependant pas avant que le temps ne se détériore à nouveau, 30kt de face, pour contourner une île basse et trouver un abri décrit comme protégé de tous les vents, mais dans lequel Eole souffle avec la même vigueur que dehors. Autant pour les descriptions rassurantes.

Nous avons rencontré sur le détroit un voilier français, Goéland argenté, qui s’est trouvé le soir dans la même caleta que nous. Le vent ayant quelque peu diminué, son équipage est venu boire un verre à bord. Ils arrivaient de l’Atlantique par le détroit de Magellan plutôt que par le canal Beagle et sont en route, comme nous, vers Puerto Montt. Nous sommes le premier voilier qu’ils aient vu de puis leur départ du Brésil. Comme nous, ils étaient heureux de quelques échanges.

J’ai lu que quelques astronomes veulent renommer le Grand Nuage de Magellan, une galaxie du ciel sud visible à l’œil nu, prétextant que Magellan était un suppôt des conquistadors coloniaux et que les indigènes avaient vu cette galaxie avant lui, ce qui est certainement vrai. Ils oublient cependant la dimension de découverte de ce voyage hors norme, dont Magellan n’est pas revenu. Ce n’est qu’avec Magellan que le monde a su qu’il existe une route entre l’Atlantique et le Pacifique, aussi nommé par lui. Ces astronomes ne mesurent certainement pas la difficulté de la descente des côtes atlantiques de l’Amérique du sud ni celle de la navigation dans les canaux dans lesquels nous sommes. Nous avons un bateau qui remonte bien contre le vent, un moteur, des cartes, des informations météo. Même avec ceci la navigation est rude. Imaginez Magellan et ses bateaux sans carte ni moteur ! Pour vouloir effacer Magellan il faut ignorer la force mentale nécessaire à cet exploit au début du XVIème, comme ignorer la dimension symbolique de ce nom dans tout le pays. Les astronomes qui veulent enlever le nom de Magellan aux galaxies qui le portent ignorent peut-être même que la colonisation du sud des Amériques ne date que de la fin du XIXème début du XXème et qu’elle était due à des missionnaires anglicans aussi pleins de bonne volonté que d’ignorance des conséquences de leur présence.  Ce n’est pas de l’histoire de la Renaissance, mais bien celle de la génération de nos grands-parents ou tout au plus de celle de leurs parents dont il s’agit. Je me demande même si ces astronomes ont lu ne serait-ce que la biographie de Magellan par Stefan Zweig. Autant pour ces mouvements qui réécrivent notre histoire en la jugeant du haut de la morale étriquée et arrogante des années 2020.

Il nous reste 80 milles pour sortir du détroit de Magellan depuis la caleta Gallant. 80 milles contre vents et courants, ce ne sera probablement pas la partie la plus agréable de notre navigation. Le 19, nous avons quitté la caleta Gallant en espérant trouver un temps raisonnable dans le détroit. Le départ fut rude, puis le temps s’est amélioré et nous avons progressé le long de l’île Charles III (pas le fils d’Elisabeth) accompagnés de baleines. Au nord de l’île, un passage réputé difficile, le paso Tortuoso. Nous y croisons un cargo qui nous annonce 60kt de vents un peu plus loin. Nous nous réfugions donc dans la première caleta qui se présente, la caleta Tilly. Nous poursuivons un bout le lendemain, mais toujours dans des conditions difficiles. Nous ne parcourrons qu’une douzaine de milles jusqu’à l’abri suivant. Le temps ne veut pas s’améliorer, il faut ruser pour avancer un peu sans consommer trop de fuel. Le niveau du carburant diminue en effet vite, trop vite, quand nous devons avancer péniblement contre deux noeuds de courant, un vent de 20-30kt et des vagues abruptes. Le résultat net est une progression qui parfois n’excède pas 2kt.(kt est l’abréviation de « nœud », une unité de vitesse qui correspond à 1.8km/h.)

La caleta suivante, Notch, n’est toujours qu’à quelques milles. Mais le décor est grandiose, une entrée sinueuse entre îlots et rochers pour se trouver dans un espace fermé entouré de chutes d’eau, de quelques arbres, de falaises et de hautes montagnes. Un glacier domine le tout. Il est possible de marcher un peu le long de la grève dans les cailloux, à la limite de la tourbe et de la végétation impénétrable. Cela fait du bien après plusieurs jours sans quitter le bord. Nous passons une fort mauvaise première nuit amarrés à notre ancre et deux arbres. Nous sommes alors en travers du vent qui se lève la nuit avec violence. Tout tient heureusement, mais comme nous devons passer encore deux nuits ici nous décidons de lâcher les amarres sur les arbres et de nous avancer dans la caleta pour ne rester que sur notre ancre. Nous prendrons alors au moins le vent de face. Tout a tenu la deuxième nuit, mais le vent a encore forci le jour suivant, 50kt, et l’ancre a chassé. Il a fallu la relever et mouiller à nouveau dans ces conditions en lâchant 60m de chaîne sur 6m d’eau, alors que la théorie dit que 30m auraient dû suffire. L’après-midi s’est passée en surveillant que notre nouveau mouillage tienne, ce qui fut le cas, et en regardant l’eau être arrachée de la surface de la mer par le vent.

Un épisode moins venteux se dessinait pour le 24 janvier. Nous avons profité de ces quelques heures de répit pour avancer de quelques milles, vers la caleta Mostyn donnée comme une excellente protection contre les vents de la dépression suivante. La caleta est une toute petite anse au fond d’une baie. Nous avons mouillé notre ancre et placé trois amarres sur des arbres. Le vent s’est levé, la berge abrite bien le bateau sur l’eau mais le vent sifflait dans les hauteurs du gréement pendant la nuit. Notre espoir de faire encore de la route le lendemain s’est évanoui à la réception de la météo du matin. Nous sommes restés et avons profité de quelques heures sans pluie pour un tour en annexe. Il n’est pas possible ici de descendre à terre, il n’y a pas de place pour débarquer et sur les pentes la végétation interdit tout accès à la terre ferme. Plus tard dans la journée nous avons fait l’inventaire de la nourriture du bord et constaté avec soulagement que nous avons de quoi tenir encore une quinzaine, un temps suffisant j’espère pour que les dépressions en cortège s’espacent et nous permettent de rejoindre Puerto Natales.

L’espoir d’une amélioration rapide ne s’est pas transformé en réalité. Nous sommes restés jusqu’au 29 dans la caleta Mostyn sans possibilité d’avancer, ni même de sortir du bateau. Des pluies monstrueuses, du vent à ne plus savoir qu’en faire. A l’intérieur, lecture, écriture, musique, scrabble, certains se disent qu’ils ne reviendront pas de sitôt dans les canaux patagoniens.

Il y avait des indigènes dans la région, un navigateur solitaire, le premier par ici, Joshua Slocum, s’est arrêté dans la caleta voisine au tournant des XIXème et XXème et y a reçu une volée de flèches. Ces indigènes vivaient quasi nus, dans leurs bateaux ouverts et dans lesquels ils entretenaient un feu. Ils n’avaient pas découvert et/ou trouvé comment exploiter des métaux pour faire des outils, ils n’ont pas construit de maisons. Comment ce mode de vie a pu se perpétuer dans les conditions météorologiques que nous vivons m’est un mystère.

Le 29 le vent faiblit un peu, mais la direction reste immuable, contre la direction dans laquelle nous devons avancer. Nous sommes partis très tôt car l’épisode de vent un peu plus faible ne devait pas durer. Nous sommes sortis de notre caleta pour nous retrouver dans un vent 20-25kt, force 5-6. Nous avons établi un bout de grand-voile et notre trinquette pour tirer des bords dans la brise en remontant le dernier segment du détroit de Magellan pendant dix heures. En nous approchant de la pointe Tamar où nous quittions, enfin, ce détroit pour rejoindre le canal Smyth et monter vers le nord, le vent n’a pas faibli comme attendu mais forci jusqu’à 30kt, force 7. Nous sommes contents d’avoir un bateau largement capable de naviguer dans ces conditions ! Le soir nous avons rejoint une caleta pour une nuit calme avant une nouvelle journée pendant laquelle il n’était pas possible de naviguer. Le 30 était à nouveau une journée pour avancer, nous en avons profité pour parcourir tout le canal Smyth en une traite, toujours en tirant des bords, toujours contents de constater que notre bateau remonte très décemment contre le vent. La caleta que nous avons atteinte pour la nuit, caleta Victoria, est traversée d’une longue amarre à laquelle deux bateaux de pêches sont amarrés. Nous faisons comme eux en ajoutant notre ancre, modérément satisfaits de notre amarrage qui se trouve, du fait de la corde en travers de la caleta, un peu loin de l’abri des arbres. Le bateau est écrasé par le vent en travers de la caleta, retenu par son ancre qui tient bien. Deux bateaux de pêcheurs sont aussi amarrés sur les mêmes cordes. L’un d’eux est équipé de starlink, le système de communication par satellites multiples qui permet de se connecter au réseau. Nos deux équipiers s’emparent d’une bouteille, et malgré un temps à décourager un pékin normal, se hissent à bord du bateau en question pour échanger données contre vin.

Le mât de Gaia dans Puerto Profundo

Le 1er février, le vent est fort, Gaia toujours inconfortable dans son amarrage. Mais le vent devant faiblir en seconde partie de journée, nous décidons de partir à 17h pour une courte étape. Un départ un peu acrobatique dans les rafales, mais sans problème. Nous faisons une belle descente, pour une fois avec le vent, vers la caleta Jaime où nous arrivons en toute fin de journée. La caleta est grande et une ancre devrait suffire, mais elle est complètement occupée par une installation de pisciculture. Il reste un petit coin dans lequel le bateau qui doit trainer cette installation vers Puerto Eden est amarré. L’équipage nous autorise à nous poser à couple de lui pour la nuit.

Au matin, le vent s’est levé un peu plus tôt qu’attendu et entre droit dans l’abri comme prévu. Notre position devenant inconfortable, nous nous dégageons à la première lumière pour une étape qui devait être courte. Mais, l’examen des horaires de marées et notre départ avancé suggèrent que nous pourrions passer un étroit détroit dans le quel les courants sont violents juste au bon moment. Nous décidons donc de rallier Puerto Natales en une traite. Les courants sont ici influencés par les vents, rendant les prévisions difficiles. Ma littérature recommande alors d’observer les oiseaux dans le goulet en spécifiant qu’ils se posent tranquillement sur l’eau quand les courants sont faibles, mais attendent sur les berges quand l’eau est en mouvement rapide. Fort de cette information, nous passons le goulet sans avoir vu d’oiseaux, mais sans problème. Derrière le goulet, nous trouvons une vaste étendue d’eau que nous traversons tout d’abord dans des vents légers puis dans un solide force 6-7 avant d’arriver par temps de nouveau calme devant la petite ville. Nous savons les possibilités d’amarrage restreintes, mais espérons trouver une place dans le port de pêche, place qui nous est refusée. Nous poursuivons donc une dizaine de milles de plus jusqu’à un lagon protégé, mais loin de tout. Superbe, mais exclu de faire du fuel par jerrycans aussi loin, ni de trouver de l’avitaillement, ni de procéder au changement d’équipage prévu. Il nous reste un contact donné par le skipper d’un bateau croisé quelques jours plus tôt. Il s’était amarré à un remorqueur le long d’une jetée et nous avait dit l’emplacement acceptable. C’est strictement le seul poste accessible aux abords de la ville. Contact fut pris avec l’entreprise du remorqueur qui nous a confirmé que s’amarrer sur le remorqueur serait possible pour un prix de 600$ (US) par 24h. Sûrs qu’un arrangement plus raisonnable serait possible et bien conscient qu’il n’y avait pas d’autre options, voyant la météo se dégradant significativement, nous nous sommes déplacés pour nous trouver à couple du magnifique remorqueur en question. J’ai écrit au skipper qui nous avait donné le contact en lui demandant de me mettre en relation avec l’ami qui lui avait procuré cette place. Ma demande a été refusée. J’ai alors demandé le téléphone du monsieur au représentant local de l’entreprise, dont j’ai compris qu’un cadre était l’ami du skipper en question et qu’il était au siège à Puerto Montt,. C’est le représentant local qui a mené les discussions et qui est revenu en disant que la seule option si nous voulions discuter était de doubler le prix. Bref, une arnaque sans nom. Aucun service, même pas une douche. De plus l’abri s’est révélé fort médiocre, le vent du nord levé, des vagues d’un mètre pénétrait dans le port et nous secouaient violemment. Le remorqueur à couple duquel nous étions a cassé deux amarres une nuit.

Gaia amarré à un remorqueur à Puerto Natales. Les seules quelques heures tranquilles… Il faisait si mauvais que nous n’avons pas de photos intéressante de la ville…

Puerto Natales est donc misérable pour le bateau, mais c’est une ville agréable. Il y règne un tourisme de marcheurs qui vont ou viennent du Torres del Peine, un magnifique domaine de montagnes. Les visiteurs sont jeunes, les bistrots avenants et sympas. Nous avons pu faire notre avitaillement, un camion est venu livrer le fuel. Omar et Ivo nous ont quittés après plus de deux mois de vie commune à bord de Gaia, la descente de l’Argentine et cette première partie des canaux de Patagonie. Tout l’équipage a magnifiquement fonctionné, les manœuvres se sont passées sans accrocs bien qu’elles aient été souvent difficiles, la navigation s’est parfaitement déroulée et les soirées ont été marquées de discussions riches qui nous ont permis d’appréhender la politique et l’histoire récente de l’Amérique du sud avec deux de ses témoins et acteurs. Paola et Mike, des amis du CERN, et François, un ami de Saint-Etienne nous ont rejoints le 6 février, ils poursuivront vers le nord avec nous.

13 réflexions sur « De Puerto Williams à Puerto Natales »

  1. Merci Thierry et Barbara c’est toujours un grand plaisir de vous lire car Thierry tu sais si bien vulgariser vos aventures que ça se lit comme un roman dont on attend avec impatience le chapitre suivant.
    Bonne continuation et cordiales salutations du Val Ferret!
    Liliane et Matti

  2. Quelle aventure aux limites de la civilisation ! On a suivi votre position quasiment au jour le jour et bien senti que ce n’était pas que de la rigolade au vu du train de dépressions. Bravo !
    On pense bien à vous pour la remontée vers Puerto Montt

  3. Et bien ! faut quand même avoir envie et ne pas trop compter sur des étapes tranquilles au portant. Bravo pour votre pugnacité, et vivement des conditions plus clémentes: RJA

  4. Chers amis et voisins. Voisins tellement éloignés, à lire Thierry, des plages d’Allaman aux couchers de soleil calmes et radieux. J’ai la vague impression, ou l’impression liée aux vagues, que cette fois le terme d’aventure a pris tout son sens. Le récit est palpitant, la réalité sans doute encore plus. Un grand merci de nous faire partager vos émotions et inquiétudes (l’inquiétude sans doute assez haut sur l’échelle de l’angoisse). On se réjouit de vous entendre prochainement les évoquer autour d’une table stable qui n’a d’autre rare vague à surmonter qu’un éclat de voix de l’étage en-dessous d’un père en recherche désespérée d’un havre de paix. Ici, les tourments n’ont rien à voir avec ceux que vous avez à affronter ! Vous êtes donc les bienvenus à y poser l’ancre dès que possible, mais, d’ici-là, je vous souhaite encore de belles aventures à inscrire dans vos mémoires et dans nos lectures. Affection à vous deux et bravo pour le récit, Serge

  5. Toujours aussi passionnant et bien écrit, quelle aventure, vraiment sportive.
    On peut bien s’imaginer la désolation et l’inhospitalité de cette région au bout du monde.
    Bises

  6. De très bons souvenirs de ces régions. Avec un temps plus clément à Noël, puis une autre fois en janvier. Merci de nous faire partager vos aventures. Amitiés. Françoise

  7. Joli épisode de résilience – nous vous parlerons avant de songer à nous engager dans des aventures de ce côté -ci. Félicitations pour ces étapes traversées !

  8. Chers Thierry et Barbara
    Votre récit et palpitant. Je ne sais pas si cela me donne envie d’y aller, et puis quand même, hm, c’est une aventure extraordinaire, ça c’est sûre!! Est-c que la suite sera plus clémente?
    Ici, nous vivons un hiver doux, Il n’y a pas beaucoup de neige, les fleurs de printemps pointent le bout de leur nez dans le jardin. Nous sommes pleins d’admiration pour vous, et si vous voulez continuer à nous donner des frissons par vos récits, allez-y, nous sommes preneurs, assis peinard dans le canapé!!!
    Nous vous embrassons
    Antoinette et Pascal

  9. Coucou à vous deux !
    Merciii pour le partage !
    Whouah , Whouah , Whouah !
    Véronique m ‘à fait suivre des photos de vous avec François , top !
    Bisous et belle journée !
    Bernie

  10. Merci pour ce récit nous confortant dans l’idée de passer par Panama
    et Merci surtout pour Magellan qui mérite bien cette mise au point !
    Amitiés
    Frédo

  11. La description est poignante. En lisant certains passages de ce carnet de bord j ai la crainte aux tripes comme dans certains films à la télé.
    Ai vu le film sur Magellan il y a peu. Excellent le rapprochement avec cette expédition/saut dans l inconnu du xvième siècle, sans carte pratiquement.
    Merci pour ce partage de votre périlleux voyage décrit en lignes passionantes.
    Marika

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