Vers les Hébrides Extérieures

Vers les Hébrides Extérieures

Tobermory nous a beaucoup plu. La ville est un peu “quaint” pour utiliser un mot local que je ne saurai vraiment traduire: charmant, mais vieillot, pas vraiment beau, mais certainement pas laid, tranquille sans être mort. Nous y sommes restés deux nuits pour avoir le temps de nous balader.

Rubha Nan Gall, un peu au nord de Tobermory

Nous en sommes partis le 12 pour l’île de Muck, un groupe d’îles dans la mer des Hebrides appelées “small Islands”. Une traversée d’un peu plus de 25 M, avec des vents inexistants ou plus vivants. Nous sommes arrivés dans une baie bordée d’un côté par le chenal utilisé par le ferry qui vient de temps en temps ravitailler la petite communauté vivant sur l’île et des rochers. Il n’y avait que peu de place pour mouiller notre ancre et être en sécurité si le vent devait changer de direction. Vent qui est resté bien présent, et l’endroit un peu trop étroit et mouvementé, le cul de Gaia un peu proche des rochers pour le confort mental de l’équipage. Mais notre ancre tient bien et la nuit fut tout de même réparatrice.

Rochers derrière Gaia à Muck
Soir au mouillage à Muck

De Muck départ pour Canna. Un vent de force 6 bien tassé nous a cueillis dans le chenal entre deux de ces “small islands”. Gaia s’est parfaitement comporté au près sous voilure un peu réduite en restant parfaitement maniable avançant jusqu’à 8 ou 9 kt.

Autant le mouillage de Muck n’était que modérément hospitalier, autant celui de Canna était beau, grand et très bien protégé. Il y avait quelques coffres auxquelles les visiteurs peuvent s’amarrer, mais j’avais entendu qu’elles ne sont pas adaptées aux plus gros bateau, j’ai donc choisi de mouiller notre ancre. Les fonds sont d’herbiers épais et il nous a fallu deux essais pour que notre ancre croche dans le fond sans déraper sur des tapis d’algues. Des voisins nous dirent que voir des collègues devoir se prendre à de multiples reprises pour mouiller en enlevant chaque fois des kilomètres d’herbes de leurs chaînes et ancres fait partie des distractions de l’endroit et que nous nous en étions fort bien tirés.

Mouillage à Canna

L’île est habitée depuis des millénaires, en témoigne des restes néolithiques, un fort beau menhir, puis des croix celtes et quelques très modestes vestiges d’habitations occupées du 5ème au 19ème siècle, dont il ne reste plus rien, les pierres ayant servis à fabriquer des clôtures pour le bétail. Encore une évidence que notre sensibilité pour préserver les traces du passé comme témoins de notre histoire est une exception plutôt que la norme dans l’histoire des civilisations. Il y a maintenant 16 habitants sur l’île, du bétail, une ferme, une installation photovoltaïque, quelques petites éoliennes, un quai pour le ferry occasionnel, un garde port-fermier, pas d’enfants.

Menhir sur Canna

Le temps était superbe, presque chaud. Nous avons embarqué dans notre annexe et ramé tout d’abord vers une berge de la baie pour faire une belle marche vers les restes anciens, une fort laide église au toit de ciment, et un café fermé mais où une bière nous fut proposée. Puis nous avons ramé vers l’autre berge pour la vue sur la mer; nous n’en avons jamais assez.

Eglise à Canna

La soirée fut douce, la nuit toute tranquille, l’équipage a parfaitement dormi, merci pour eux.

Des cris nous ont surpris lors du petit déjeuner, nous en avions déjà entendu de semblables dans d’autres endroits, sans jamais savoir d’où il venaient. C’étaient en plus rauques des cris qui auraient pu venir d’enfants terrifiés. Le mystère fut levé ce jour là, car nous vîmes un groupe de phoques sur un caillou à quelques dizaines de mètres. C’est de là que venaient ces cris. Les phoques que mon imaginaire pensait silencieux sont en fait forts bruyants.

Phoques à Canna

Le temps restant stable pour quelques jours, nous avons décider de pousser jusqu’aux Hébrides extérieures. Un groupe d’îles très découpées à l’extrémité nord ouest du Royaume Uni. Nous sommes donc partis le 14 août pour traverser la mer des Hébrides vers Loch Boisdale sur l’île de South Uist, à une trentaine de milles de Canna où l’on trouve une toute petite marina, où j’avais donc quelqu’espoir de trouver une table pour fêter raisonnablement l’anniversaire de Barbara.

Loch Boisdale

La traversée fut superbe, ventée juste comme il fallait pour bien avancer, des dauphins nous ont rendus visite et les oiseaux furent nombreux, y compris de grands labs. L’arrivée fut facile, accueillit par le garde port sur un ponton en parfait état. Une route mène au terminal du ferry, un petit magasin de souvenir le jouxte, nous y avons trouvé un bibelot qui rappellera à Barbara son anniversaire en mer des Hebrides. Une table fut réservée à l’hôtel du lieu pour un dîner qui fut aussi agréable que la nourriture était quelconque. Le lendemain était encore tranquille, nous avons sorti les vélos et sommes allés sur la côte ouest de South Uist, l’île sur laquelle se trouve Loch Boisdale. Là aussi on trouve des restes d’habitations préhistoriques. Les humains se sont installés à de moults endroits dans ces îles éloignées et peu hospitalières. Pourquoi? Comment?

A vélo sur les dunes de South Uist
Immenses plages le long de la côte ouest des Hébrides, ici South Uist
Restes d’habitations préhistoriques sur South Uist
Cimetière dans les dunes derrière Loch Boisdale

Notre plan était ensuite de monter au nord pour deux étapes puis de revenir vers Loch Boisdale le temps de laisser passer un dépression que les prévisions nous disait devoir amener beaucoup de vent et de pluie. Nous sommes donc partis vers 11h pour la première de ces étapes et furent cueillis au sortir de la baie par un épais brouillard. Avec radar et navigation électronique cela ne pose pas vraiment de problèmes, mais cela manque de charme, surtout lorsque le peu de vent qu’il y a vient de là où nous voulons aller et que c’est le moteur qui nous y emmène. Le brouillard ne nous a pas lâché durant toute la navigation et ce n’est que pour les dernières centaines de mètres que nous avons vu les rives du Loch qui devait nous abriter. Nous sommes entré ainsi dans la partie du Loch recommandée pour passer la nuit seuls au monde (https://sy-gaia.ch/24-heures-dans-une-bulle/ pour une description du séjour dans le Loch). Nous avons passé deux nuits dans ce Loch, partagé un moment avec l’équipage du bateau qui nous a rejoint le deuxième jour-un bateau de pêche décommissionné et refait avec talent-, puis nous sommes redescendu sur Loch Boisdale attendre le passage de la tempête Ellen. Durant les heures qui précédèrent son arrivée tous les équipages, nous compris, se sont affairés à organiser leur amarrage de telle sorte à être certain que rien ne lâche. La marina s’est mise à ressembler à une immense toile d’araignée.

Gaia dans une éclaircie à Loch Skipport

Des contacts se sont aussi noués, pour nous avec un médecin à la retraite navigant en solitaire sur un bateau de 32ft et avec un couple sur un plus gros croiseur. Nous avons passé avec eux deux soirées sympas et relativement bien arrosées pendant que le vent hurlait dans les gréements. Au plus fort de la tempête j’ai lu plus de 50kt sur notre anémomètre. Le vent venait de l’est, indiquant que nous étions au nord des plus basses pressions qui se trouvaient en effet sur l’Irlande et provoquaient au sud de l’Irlande des vents d’ouest encore plus violents que ce que nous subissions. Pour les habitants européens des latitudes de la Suisse, une dépression passe le plus souvent au nord. La succession de nuages est alors classique. Mais vu du nord le passage de la dépression est très différent. Le ciel reste plus clair entre les périodes de pluies intenses (des fronts occlus je pense?). On ne reconnaît pas les nuages qui deviennent de plus en plus bas au passage du front chaud puis les cumulo-nimbus du front froid. La dépression s’est déplacée et son centre, le point de plus basse pression, est passé juste au dessus de nous. Je ne crois pas que nous ayons jamais vu la baromètre aussi bas. Il n’y avait alors plus de vent, comme dans l’oeil d’un cyclone. (Pierre Eckert donne une description du déroulé de Ellen sur https://sy-gaia.ch/la-tempete-ellen/, j’y ai joins le tracé du barographe de Gaia). Le centre a passé, la dépression se comblait, encore un jour de vent frais puis nous avons pu remettre les voiles.

Ellen sur l’Irlande. Les couleurs indiquent la vitesse du vent. Au sud de l’Irlande 50 kt et plus, sur les Hébrides 40kt.

Nous voulions faire route sur le chemin du retour avec un ou deux arrêts avant la dépression suivante que nous voulions éponger à Mallaig, sur le “continent”. Un téléphone m’a cependant informé que la marina était pleine et ne pourrait nous accueillir. Il n’y a pas beaucoup de ports dans la région et nous ne tenons pas forcément à éponger une dépression à l’ancre, sans pouvoir descendre à terre. Nous avons donc opté pour Castelbay sur l’île de Barra au sud des Hébrides qui devrait être sûre par les vents attendus, de nouveau de l’est, que Pierre nous dit devoir être nettement moins violents que ceux d’Ellen. Le soir avant de quitter Loch Boisdale Barbara a négocié deux superbes homards que nous avons cuits sur le champ pour pouvoir les déguster à Castelbay.

La descente vers Castelbay a manqué de charme, gris, froid et humide, quelques épisodes de vents et de longs calmes au moteur. A se demander ce que nous faisons dans cette région perdue de l’Europe. Mais ce sentiment s’est très vite estompé quand nous avons approché Castelbay. Il faut passer entre deux bouées rouge et verte, puis deux feux, puis deux bouées encore toutes gardants hauts fonds et rochers. On tourne à droite après les dernières bouées et entre dans une baie profonde dans laquelle trône un chateau, comme seuls les écossais savent les construire, sur un rocher isolé dans la baie. Les collines sont vertes de végétation rase, un vert tirant sur le gris, et grises des roches, quelques maisons, grises aussi, un ponton flottant et un homme aussi massif qu’accueillant au parler bien local pour nous indiquer où nous amarrer. Le ciel est gris, d’un gris écossais que nous commençons de bien connaître. Le tout est harmonieux et beau, d’une beauté un peu ardue peut-être, comme un quatuor de Beethoven ou comme les suites de Bach pour violoncelle seul.

Le château qui donne son nom à Castelbay

5 réflexions sur « Vers les Hébrides Extérieures »

  1. De vrais voyageurs, qui profitent de chaque instant et de chaque découverte, dont on sent qu’ils se libèrent des soucis des premiers jours/semaines et des contraintes de nos vies sédentaires. Quelle chance, bon voyage !!!
    Et bon anniversaire, Barbara !
    Bises Saskia et Daniel

  2. Joyeux anniversaire Barbara malgré notre retard. Que c’est joli Boisdale. Je crois qu’on va prendre goût de lire votre livre de bord 😊
    Luc et Dorina

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