Premiers bords

Premiers bords

La neige a cessé de tomber, les chasses-neige se sont tus, le vent s’est calmé, le soleil a fait une apparition, bref il faisait presque beau à Isafjoerdur autour du 13 mai. Nous avons pu gréer nos voiles d’avant, la trinquette et le génois, installer les lignes de vie, les retenues de bôme, préparer les bastaques, changer une drisse de pavillon, poser l’équipement de sauvetage, gonfler, tester et installer l’annexe.  La girouette en tête de mât n’a pas résisté aux tempêtes d’hiver, pour la remplacer, nous avons acheté du beau ruban rose pétant que nous avons fixé avec du papier collant orange, du grand art.  Barbara a fait les courses pour plusieurs jours, victuailles, eau, vin, bière, en utilisant la voiture du port prêtée par Muggi, le capitaine du port.  Gaia était prête.

Il restait encore à changer une pièce du gréement. Sparcraft, le fabricant des mâts de Amel, avait découvert qu’une pièce qu’ils avaient utilisées sur certains bateaux n’était pas conforme aux spécifications. Bien qu’aucun problème n’ait jamais été constaté, il fut décidé que ces pièces devaient être changées sur tous les bateaux. L’opération n’est certes pas très complexe, elle nécessite cependant un équipement spécifique et des connaissances qui ne sont que rarement disponibles, et certainement pas en Islande. Kevin, le chef du service après-vente de Amel, est donc arrivé un matin de La Rochelle muni de tout l’équipement nécessaire pour effectuer le changement. L’opération a duré deux heures, nous lui avons offert à déjeuner puis il est reparti immédiatement pour faire la même opération le lendemain en Ecosse puis deux jours plus tard encore aux Canaries.

Kevin dans les barres de flèche de Gaia

Le lendemain, le 18 mai, nous avons mis toute la matinée pour défaire les amarres que Torfi et Jon, les deux retraités qui avaient surveillé Gaia pendant l’hiver, avaient installées. Ils avaient lié les bateaux entre eux et sur les quais, en prenant soin qu’ils ne puissent en aucun cas se toucher, ni toucher les quais, et que leurs mâts ne se rencontrent jamais si les bateaux gitaient sous les coups de butoir du vent. Ils avaient fait ce travail avec tellement de soin et d’intelligence que les bateaux sont sortis intacts de cet hiver marqué par des tempêtes massives, même pour cette région (on parle de plus de 240km/h). A la fin de la matinée, les amarres étaient nettoyées, pliées, rangées, les premières gouttes de pluie sont tombées et nous sommes partis. Notre idée était de parcourir quelques milles dans le fjord, d’observer les baleines que l’on nous disait présentes en nombre pour passer la nuit à l’abri derrière une île. Les premiers milles se sont bien passés comme attendu, sous la pluie. Puis le vent du nord s’est levé. Nous avons approché l’île derrière laquelle nous voulions mouiller pour la nuit.  Le vent rendait toutefois l’endroit fort inhospitalier, voire impossible. Nous avons essayé l’autre côté de l’île, nous avons mouillé, nous croyant à l’abri pour la nuit. Que nenni, une heure plus tard notre ancrage était aussi dans la tourmente il fallait repartir. Torfi nous avait dit que par ce vent Hestery pourrait être un mouillage acceptable. Nous sommes donc partis pour 4h de navigation sous une pluie, qui entretemps était mêlée de neige, dans un vent de plus en plus fort. Nous sommes arrivés devant Hestery à 22h15, nous avons mouillé dans la brise, mais sans vagues, sur 5m d’eau. Mon calcul de marée me disait qu’au minimum il devrait rester 2.70m d’eau à la basse mer, assez pour les 2.15m de notre tirant d’eau. Je fus donc surpris quand, en vérifiant l’état de la mer à 5h du matin, j’ai constaté qu’il n’y avait que 2.4m d’eau. Le vent du nord avait fait baisser le niveau d’eau dans le fjord de manière significative. Mais c’était encore assez, juste, pour ne pas érafler le talon de notre quille sur le sable dur.

arrivée devant Hesteyri, à 22h15

Nous avons laissé passer quelques heures, histoire que la marée emplisse à nouveau le fjord, en espérant aussi que le vent se calme, ce qui ne fut pas le cas. Nous sommes partis en préparant notre trinquette, le plus petit de nos focs, avec les bastaques pour tenir le mât à deux tiers de sa hauteur, pas fâchés de quitter cet endroit sinistre, gris et glacé où nous avions passé la nuit devant quelques maisons fantomatiques et inhabitées. Nous sommes sortis du fjord et fait route vers le cap à franchir pour rejoindre Flateyri, l’endroit en Islande où il faut être, nous dit-on, un peu plus au sud. A la hauteur du cap, la mer est devenue très forte et dure, des creux abruptes de largement trois mètres, et un vent fort bien soutenu (force 6) nous ont ballotés quelques heures. Notre choix de voilure s’est avéré parfaitement adapté et le bateau taillé pour ces circonstances. Les deux estomacs de l’équipage ont aussi parfaitement résisté à ces conditions. La mer et le vent se sont calmés en entrant dans le fjord de Flateyri, les voiles ont laissé la place au moteur, le soleil chauffait notre cockpit, les conditions sont devenues un vrai plaisir. C’est le moment qu’ont choisi quelques baleines pour s’ébattre longuement autour de Gaia. De difficile la navigation est redevenue la source d’émerveillement que nous aimons. Nous nous sommes posés dans le port de Flateyri le long d’un quai de gros pneus, mais sans vent cela ne nous a posé aucun problème et nous avons dormis comme des pierres.

Dans le fjord en arrivant à Flateyri

Hier, 20 mai, nous poursuivons vers le sud avec une envie de remonter le Arnarfjord, où nous avions vu en août une série de baleines, pour mouiller au pied d’une chute d’eau majestueuse, Dynjandi. Pour se faire il faut sortir du fjord, retrouver la mer ouverte, la houle, le courant et la brise, pour se faire de nouveau secouer en tous sens avec notre trinquette et notre grand-voile réduite pour contourner deux caps qui s’étendent vers le large. Nous sommes amarinés, le soleil brille, Gaia se comporte fort bien, nous menons les empannages sans hésitation. L’océan est beau bleu, turquoise aussi, les vagues se brisant en longs rouleaux d’écume blanche que Barbara parvient à filmer. Nous entrons ensuite dans le Arnarfjord. Tout devient paisible, la trinquette rentre, le génois sort et la navigation devient douce pour les dernières heures. Le fond du fjord, sous la cascade n’est guère cartographié, nous parcourons  donc un certain nombre de va-et viens pour  sonder les fonds et trouver une zone de fonds relativement plats, avec de la place pour éviter si le vent tourne. Nous mouillons ensuite sur 13m d’eau. Le soleil chauffe notre cockpit (fermé), la lumière fait scintiller la cascade. Il fait si beau que notre apéro sera un pastis, le dîner suit, puis un verre de rouge encore et un cigare en regardant la lumière descendre doucement. La nuit fut d’un immense calme.

La mer au large des fjords du nord ouest de l’Islande
Mouillé devant la chute de Dynjangi

La météo annonce au large beaucoup de vent le samedi, plus que ce que nous avons expérimenté. Comme nous jugeons que ce que nous avons vu fut suffisant, nous décidons de ne partir que le dimanche, peut-être directement pour la région de Reykjavik. Ce matin, nous armons notre annexe, trouvons une plage où débarquer et marchons jusqu’à la cascade, une belle marche de deux heures.  Les bourgeons commencent à éclore sur les arbustes, le vert du printemps remplacera bientôt le brun de l’hiver. Les sternes arrivent, nous en avons croisés de grands groupes qui remontent vers le nord. Nous remontons à bord au moment où le vent se met à souffler en tempête sur notre mouillage. Notre ancre tient à merveille, même si les conditions ne sont plus guère confortables pendant que j’écris ces lignes. Encore un aspect de la navigation testé avec succès.

Cette mise en marche fut un bout plus rude qu’espéré. Gaia était bien préparée, nous n’avons pas fait de nœuds dans les bouts que nous avions installés. Tout tient ! L’Islande tient toutes ses promesses, des paysages grandioses, des lumières tour à tour rudes et douces, de la neige, de l’eau partout.

7 réflexions sur « Premiers bords »

  1. Je vous lis tout en dégustant une « zuppa di pesce » molto gustosa à Orbetello, non loin du chantier où se trouve Olaf qui ne partira vers le sud que dans quelques jours. J’ai toujours beaucoup de plaisir à suivre votre périple et vous souhaite plein de bon moments comme dans l’Arnafjord. Amicalement. Zub

  2. Merci Thierry et Barbara.
    Vous nous emmenez sur une planète inconnue dans un environnement que nous ne lisons que dans les romans de Jón Kalman Stefànsson

  3. Trop beau votre livre de bord. Les descriptions sont bien tournées. Et que vous deux sur le bateau!!!!

  4. Des nouvelles avec des images de navigation fantastiques. Nous voyageons ensemble. Mille mercis Thierry et Barbara!

  5. Admirable votre ténacité ! Je vous souhaite une suite de navigation plus proche de la fin de votre description…, mais l’été arrive et vous vous rendez au Sud ! Merci de nous faire partager ces exploits. Bonne suite !

  6. saisissant, merci pour ces récits et bravo pour votre enthousiasme et votre résistance. J’ai peine à croire que nous partageons le même patrimoine génétique!
    Amitiés de tous à vous deux. D

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