Le racisme systémique au Brésil

Le racisme systémique au Brésil

Alicia Duvanel, juin 2023

Introduction

Le Brésil est un pays ethniquement très riche, où les Amérindiens locaux, les colonisateurs blancs et les esclaves noirs ont, au fil des siècles, formés un métissage unique. Le Brésil en fait sa fierté, sa force. Pourtant des inégalités entre les différentes couleurs de peau persistent à travers le temps.

La traite des esclaves s’est développée dans le courant du 16ème siècle, en même temps que les colonies d’exploitation se sont mises en place. Les Européens se sont rendus compte que le climat était trop pénible pour travailler dans les plantations, et ont donc décidé d’importer des travailleurs adaptés à ce climat, pour remplacer les Amérindiens en déclin. Le Brésil était l’une des principales destinations des esclaves et on en dénombrerait environ quatre millions (Hunold Lara, 1993), répartis sur trois siècles.

Contrairement à d’autres pays d’Amérique où la traite des esclaves était aussi présente, au Brésil, même les gens les plus pauvres, y compris les esclaves, possédaient des esclaves (Hunold Lara, 1993).

Cadre théorique

L’esclavage a été définitivement interdit en 1888. Par la suite, le gouvernement brésilien n’a rien fait pour dédommager ces esclaves, qui n’ont pas reçu de terre ou d’argent, et donc beaucoup sont restés travailler gratuitement auprès de leur maître. Le gouvernement ne s’est jamais excusé, on ne trouve pas de mémorial ou statue pour commémorer cette sombre partie de l’histoire. Ce manque de reconnaissance est à la base du mouvement noir brésilien (Saillant et al., 2007).

L’abolition a été plus théorique que pratique et les préjugés n’ont jamais été éradiqués. Au même moment, le Brésil a même favorisé une politique de blanchiment pour éviter que la population ne soit trop foncée et a donc largement ouvert l’immigration aux européens (Saillant et al., 2007).

Aujourd’hui, la population considérée brune ou mixte est estimée à 40%, 5% de noirs et 54% de blancs (Figure 1). Je vais donc étudier les conditions de vie de 45% de la population brésilienne.

Figure 1: Distribution de la population par couleur (IBGE, consulté le 4.5.2023)

Comme aux Etats-Unis, la violence policière existe et est très ciblée, en effet : « Selon l’ONG Forum brésilien de sécurité publique, 99 % des victimes d’homicides commis par la police en 2021 étaient des hommes, 84 % étaient des personnes noires et 52 % avaient moins de 25 ans. » (Amnesty International, 2022).

Le Brésil n’a jamais connu de lois discriminantes pour les personnes de couleur (contrairement à la Ségrégation aux Etats-Unis ou à l’Apartheid en Afrique du Sud), donc le pays se percevait comme étant une « démocratie raciale » et on voyait le racisme comme un problème minime. Mais les pratiques racistes sont ancrées dans la culture brésilienne, et persistent malgré leur illégalité (Nations Unies, consulté le 06.05.2023)

Les principaux articles qui concernent le racisme dans le Code pénal brésilien sont les suivants :
« VI – dans le domaine de la promotion de l’égalité raciale :

a) garantir l’insertion de la perspective de promotion de l’égalité raciale dans les politiques gouvernementales

b) soutenir les expériences de promotion de l’égalité raciale entreprises par les municipalités, les Etats, organisations de la société civile visant à la prévention de la traite des personnes et à l’assistance aux victimes ; et

c) promouvoir des études et des recherches sur le profil des victimes de la traite des êtres humains, en mettant l’accent sur la population noire et d’autres segments ethniques de la population brésilienne ;
II – la non-discrimination fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle, l’origine ethnique ou sociale, la nationalité, l’activité professionnelle, la race, la religion, l’âge, le statut migratoire ou tout autre statut, ou autre » (Code Pénal Brésilien de 1940, traduit par https://www.deepl.com/translator).

Le racisme est clairement interdit et ne devrait pas conduire à des discriminations.

Si les lois semblent claires, ce n’est pas le cas de leur interprétation : « Sur la question de la discrimination raciale, la jurisprudence brésilienne manque de cohérence et d’homogénéité. D’une part, il y a une norme juridique dans le cadre des principes énoncés dans la Constitution, des conventions et de la législation (en particulier les lois nos 7716/89 et 9459/97), puisque la discrimination raciale est punie et qu’il est prévu une indemnisation du tort moral causé en cas de discrimination. D’autre part, il est rendu des décisions qui ne punissent pas la discrimination raciale par manque ou insuffisance de preuves, voire d’intention délibérée de nuire. Cet élément subjectif de l’infraction signifie que la « haine raciale » doit être démontrée, ce qui est forcément difficile. Parfois aussi, les victimes qualifient d’actes de racisme (au sens de la loi no 7716/89) des agissements caractérisés par la suite comme calomnies au sens de la loi no 9459/97 (portant insertion dans le Code pénal de l’article 140, qui définit le délit de calomnie). Selon la loi no 9459/97, si dans des propos calomnieux il est fait référence à des éléments associés à la race, à la couleur, à l’appartenance ethnique, à la religion ou à l’origine, l’auteur est passible d’une peine de privation de liberté d’un à trois ans et d’une amende. » (Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de l’ONU, 2003).

Dans le contexte du mouvement noir brésilien, quelle est la place des noirs et métisses dans la société brésilienne actuelle ?

Causes

Après l’abolition de l’esclavage, aucun système de ségrégation n’a jamais été mis en place au Brésil, contrairement à de nombreux autres pays (comme les Etats-Unis ou l’Afrique du Sud). Mais ce n’est pas parce que le racisme n’avait aucune base légale qu’il était absent.

Si légaliser le racisme n’est pas une bonne option, il rend au moins le problème visible et permet de pouvoir l’éradiquer en abrogeant les lois concernées.

Le racisme a longtemps permis aux Occidentaux de justifier la colonisation et l’esclavage. Le Brésil a accueilli de très nombreux esclaves noirs, possédés par des Blancs. Même si l’esclavage a fini par prendre fin, les idéologies raciales n’ont jamais été déconstruites, il n’y a pas eu de grand mouvement noir, si bien que le racisme est encore très présent, malgré son illégalité.

Promulguer des lois visant à supprimer le racisme est bien, mais elles doivent être appliquées. “MME Cristiane Britto, Ministre des femmes, de la famille et des droits de l’homme du Brésil, a expliqué que la base juridique des politiques de promotion de l’égalité raciale au Brésil était le Statut de l’égalité raciale, une loi adoptée par le Congrès national pour garantir l’égalité effective des chances à la population noire, la protection des droits ethniques individuels, collectifs et communs, ainsi que la lutte contre la discrimination et les autres formes d’intolérance ethnique. Le Statut s’accompagne du Système national de promotion de l’égalité raciale (SINAPIR), qui vise à organiser et coordonner l’application des politiques et services fournis par le pouvoir public fédéral pour surmonter les disparités ethniques dans le pays.
De même, le Comité constate un nombre croissant de crimes de haine contre les Afro-Brésiliens et les peuples autochtones, a poursuivi M. Payandeh. Là encore, le problème principal ne semble pas être la loi, mais plutôt son application, a-t-il souligné : ces crimes donnent en effet lieu à peu d’enquêtes et de condamnations, les juges ne semblant pas enclins à reconnaître la dimension raciste d’un crime, en particulier pour ce qui est des discours de haine raciale. M. Payandeh s’est dit particulièrement préoccupé par les discours de haine raciale tenus par des fonctionnaires. » (Haut-commissariat des Droits de l’Homme, 2022).

Conséquences

Lorsque je me baladais à Rio, j’ai été frappée par les contrastes de richesse entre les différents quartiers de la ville. De magnifiques demeures se trouvent à seulement quelques mètres de gigantesques favélas, où les gens vivent entassés à l’extrême dans des conditions insalubres. Ces frontières ne sont pas seulement économiques, mais également raciales. Plus les quartiers sont pauvres et plus l’on voit de personnes foncées, les quelques noirs et métissent que l’on aperçoit dans les quartiers riches travaillent et servent une clientèle claire.

D’après l’article de Thuany Rodriges (17.12.2020, publié par D+C), on trouve dans les favélas 13% de noirs, 55% de métisses et 32% de blancs, alors que ces derniers représentent 45% de la population. Le Brésil présente aussi des inégalités salariales. Dans le secteur formel, les blancs sont payés 42% plus que les noirs et métisses ! De plus, les noirs et métisses ont souvent les pires emplois et sont payés moins pour un même travail.

Les conditions de vie diffèrent largement entre les Blancs, qui profitent de meilleures installations, et les Noirs, plus souvent privés d’eau courante, entre autres (Figure 2).

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Figure 2 : conditions du foyer en fonction de la couleur de la tête du foyer (IBGE, consulté le 4.5.2023)

J’ai fait des courses dans un grand supermarché avec une clientèle très variée, mais tous les travailleurs, sauf un qui lui était sourd, étaient foncés. Il en va de même dans les restaurants de la ville, que l’on se trouve dans un quartier riche ou pauvre.

A Rio j’ai aussi été marquée par le nombre de touristes brésiliens, cependant tous pâles. Dans les endroits touristiques, il y a aussi une population foncée importante. Mais elle ne visite rien, elle vit dans la rue. Cela est parfaitement visible sur la Figure 3, où les touristes blancs se prennent en photo, entourés de sans-abris noirs.

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Figure 3 : Arches de Lapa

Le Brésil se trouve actuellement pris dans un cercle vicieux. Les personnes de couleurs sont défavorisées dans de nombreux domaines. Elles ont de moins bons salaires et sont souvent moins formées, donc elles n’ont pas les moyens ni l’incitation à envoyer leurs enfants étudier plus longtemps pour obtenir un meilleur emploi. Dans tout le pays les Blancs ont tendance à étudier plus longtemps que les autres populations, avec un écart de deux ans (Figure 4).

Figure 4 : nombre d’années moyens d’école pour les personnes âgées de plus de 10 ans par couleur et par sexe (IBGE, consulté le 4.5.2023)

On constate également que le taux de chômage est plus élevé pour les Noirs et Métisses sur l’ensemble du territoire (Figure 5).

Figure 5 : taux de personnes inemployées de 15-65 ans par couleur et par sexe (IBGE, consulté le 4.5.2023)

Les taux de mortalité infantile sont probablement les chiffres les plus marquants. Les Blancs sont nettement moins touchés que les Noirs et Métisses (Figure 6). Les consultations médicales, examens, hospitalisations et médicaments sur ordonnance sont gratuits au Brésil mais les hôpitaux sont parfois saturés et il y a des inégalités entre les régions. Les meilleurs soins sont prodigués dans le sud, qui est aussi la région avec le plus de Blancs, ce qui peut expliquer cette différence. D’autres assurances (qui prennent la maternité en charge), ne sont effectives que pour les salariés. Les personnes de couleurs ayant un taux de chômage plus élevé n’y ont pas accès, ce qui peut les priver de soins au moment de l’accouchement. (Ambrelia, 2018)

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Figure 6 : mortalité enfantine par couleur et par sexe (IBGE, consulté le 4.5.2023)

Solutions

La première étape à franchir pour pouvoir traiter le problème est de le reconnaître comme tel. Installer des statues et monuments pour témoigner de l’esclavage, y dédier une journée et des musées pourraient être un bon début, compte tenu du fait que le manque de reconnaissance est considéré comme étant une cause du racisme persistant.

Dans le cadre juridique du pays, on trouve des lois suffisantes pour lutter contre le racisme, mais leur application est insuffisante. Il faut dissuader les racistes de commettre des actes illégaux en les punissant systématiquement. Il ne faut plus tolérer la violence policière à l’égard de personnes de couleur, il ne faut plus accepter les mauvais traitements basés sur des questions de « race ». Il faut appliquer les peines prévues.

Une autre mesure qui peut avoir un effet à long terme est celui d’inclure la sensibilisation au racisme dans le système scolaire. Eduquer et sensibiliser les enfants aux discriminations raciales peut permettre de lutter contre les préjugés des autres générations et ainsi briser le cycle

Mais on ne peut pas toujours attendre que les politiques agissent, cela peut en effet prendre du temps. Il faut également inciter les individus à combattre le racisme à leur échelle. C’est plus compliqué dans une société où le racisme est profondément ancré mais il y a forcément des personnes bienveillantes qui vivent au Brésil. C’est à elles d’aider les autres à changer leur mentalité. Ce n’est pas chose facile mais peut tout de même avoir un réel impact. Des mouvements citoyens peuvent se mettre en marche et changer les choses. Parfois de grand changement commence à petite échelle (UNICEF, 2020).

Conclusion

Le Brésil a eu un parcours de développement à la suite de la fin de l’esclavage unique. Il n’y a jamais eu de ségrégation mais le pays ne s’est jamais excusé pour les tords subits par les esclaves. Aujourd’hui, on retrouve un racisme systémique dans l’ensemble de la société brésilienne qui persiste malgré l’adoption de loi luttant contre le racisme.

Changer une idéologie est un rude combat qui prend énormément de temps. Le racisme commence gentiment à être pointé du doigt, de nouvelles lois sont adoptées mais l’égalité est loin d’être atteinte.

Bibliographie

HUNOLD LARA Silvia, Dabdab Trabulsi José Antonio. L’esclavage africain et le travailleur esclave au Brésil. In: Dialogues d’histoire ancienne, vol. 19, n°1, 1993. pp. 205-230. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_1993_num_19_1_2082

SAILLANT Francine, ARAUJO Ana Lucia, « L’esclavage au Brésil : le travail du mouvement noir », Ethnologie française, 2007/3 (Vol. 37), p. 457-466. DOI : 10.3917/ethn.073.0457. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2007-3-page-457.htm

Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística. Minimum Social Indicators | IBGE [Consulté le 04.05.2023]

Amnesty International. Brésil : la situation des droits humains Amnesty International [Consulté le 04.05.2023]

Nations Unies. La discrimination raciale et le métissage : L’expérience du brésil | Nations Unies [Consulté le 06.05.2023]

Constitution brésilienne de 1988. Brazil_2014.pdf (constituteproject.org)

Code Pénal Brésilien de 1940, BRAZIL-PORTUGUESE.pdf (cuhd.org), [consulté le 06.05.2023]

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de l’ONU, 2003. docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2FPPRiCAqhKb7yhsr7rG2HV%2B9FLKzlVeQdv3U5h6fN%2FFI3kL6Rq%2FW0T%2BWWVRmBMmI0%2BzZu%2Fbcirx4saoi61bgH%2F%2FQ6%2F%2B3m8TUw04wa%2BS2Y2nitja9t8QRq22EPQ [consulté le 07.05.2023]

Haut-commissariat des Droits de l’Homme des Nations Unies, 17.11.2022 Examen du rapport du Brésil devant le CERD : les experts relèvent que les Afro-Brésiliens sont, de manière disproportionnée, victimes de la violence policière, des homicides et des crimes de haine | OHCHR, [consulté le 04.05.2023]

Thuany Rodriges, 17.12.2020, D+C. Where Brazil’s neglected people live (dandc.eu) [consulté le 04.05.2023]

Ambrelia, 06.06.2018. Comprendre le système d’assurance santé au Brésil – Ambrelia [Consulté le 10.05.2023]

UNICEF. Cinq façons de lutter contre le racisme et l’injustice | UNICEF Canada : Pour chaque enfant [Consulté le 11.05.2023]

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