Les Aérosols marins
Jean-Pierre Wolf
Groupe de physique appliquée
Université de Genève
Décembre 2020
Les aérosols jouent un rôle important dans la physique de l’atmosphère et pour la formation des gouttelettes qui forment les nuages. Ce sont un des acteurs des processus qui gouvernent le réchauffement climatique. Un détecteur d’aérosols pris des mesures de densité à bord de Gaia pendant l’été 2020. La contribution que ces mesures peuvent apporter à la compréhension de l’atmosphère est décrite ici.
Un aérosol est défini comme un ensemble de particules solides ou liquides, en suspension dans un gaz, comme l’air de notre atmosphère. Ces particules, qui se présentent avec une extraordinaire variété de tailles (de quelques nanomètres à des dizaines de microns), de formes (solides, cristaux, fractals, liquides) et de composition (poussières minérales, sulfates, nitrates, particules carbonées issues de la combustion, bactéries, pollen, etc..), jouent un rôle très important dans la pollution atmosphérique (par exemple, les « fameuses » particules fines) et dans les processus impliquant les changements climatiques. C’est surtout à ce dernier aspect que nous allons nous attacher ici.
Le réchauffement de notre planète est essentiellement dû à un déséquilibre entre la quantité de radiation solaire visible qui est absorbée par l’atmosphère et le sol, et l’évacuation de la radiation thermique infrarouge émise par ces milieux chauffés. Ainsi, l’effet de serre attribué aux activités humaines (au travers des émissions de CO2 et de méthane, par exemple) empêche cette radiation infrarouge de quitter notre système planétaire et d’être évacuée dans l’espace. On notera que, pour quantifier cet équilibre, on utilise les flux d’énergie entrant (en W/m2) nommés forçages radiatifs positifs, et les flux radiatifs sortants (aussi en W/m2) comme des contributions négatives au bilan radiatif. Les aérosols jouent un rôle complexe dans ce bilan, car ils peuvent tour à tour refroidir ou réchauffer la planète, selon leur composition, leur taille, ou leur altitude.
On distingue deux types de contributions, dont l’origine est distincte. Ils ont tout d’abord un impact primaire, associé à leurs propriétés optiques initiales, lors de leur émission ou leur formation dans l’atmosphère. Ainsi, des particules de carbone issues de la combustion (chauffage, transport, feux de forêt, etc..) sont noires et absorbent efficacement la radiation visible solaire, alors que des particules minérales comme la silice diffusent cette lumière solaire dans toute les directions, mais ne l’absorbe pas. A ceci, il faut ajouter que (1) ces particules peuvent évoluer chimiquement au travers de réactions avec d’autres molécules gazeuses qu’elles rencontrent dans l’air et (2) elles sont parfois créées chimiquement dans l’atmosphère par des réactions entre polluants gazeux, et non émises directement sous forme de particules. On sent déjà que la situation n’est pas simple !
Mais elle se complique encore car les aérosols peuvent aussi avoir un impact secondaire : ces petites particules jouent le rôle essentiel de germe de condensation pour la formation de nuages. En effet, il n’existe pas de processus de condensation homogène (homogène : les molécules d’eau sous forme gazeuse s’associent spontanément pour former des gouttes liquides) dans notre atmosphère, l’humidité relative n’atteint jamais la valeur requise pour que cela puisse se produire. La condensation de l’eau en gouttelette de nuages requiert toujours la présence d’un noyau de condensation, c’est-à-dire une particule d’aérosols (d’origine naturelle ou anthropique). Et l’efficacité de ce processus dépend des propriétés du germe : composition, taille, hydrophobicité, potentiel chimique, etc.. Or les nuages ont, en général, un effet « parasol » pour notre planète en réfléchissant la lumière solaire incidente, et donc un effet rafraîchissant pour l’atmosphère (forçage négatif, donc).
Pour les raisons évoquées plus haut, la complexité de l’impact des aérosols atmosphériques sur le climat engendre la plus grande source d’incertitude dans les modèles, comme on peut le constater sur la figure ci-dessus (IPCC report, 5th assessment, 2013). Des efforts considérables dans la communauté scientifique sont dédiés depuis de nombreuses années à réduire ces sources d’incertitude dans les modèles.
Un aspect particulièrement intéressant dans ce contexte concerne la génération d’aérosols par les océans, qui couvrent 70% de notre planète. Ainsi, il est aujourd’hui reconnu que les embruns marins constituent la source principale de diffusion de la lumière dans la couche limite marine, et peut-être même la source d’aérosols naturels la plus à même d’affecter le bilan radiatif terrestre (Quinn et al, Chem. Rev., 115, 4383–4399, doi: 10.1021/cr500713g (2015)).
La production des aérosols par les embruns est liée aux bulles d’air générées dans l’océan lorsque les vagues se brisent. Ces bulles remontent à la surface en créant des centaines de gouttelettes, dont la taille s’étend entre quelques nanomètres et des dizaines de microns. On estime la production moyenne d’aérosols lors de ces événements à 104–106 particules/m2/s. L’efficacité du processus est intimement liée au vent, la hauteur des vagues, et la température des eaux de surface. Comme ces gouttelettes emportent avec elles « un peu d’océan », elles vont donc refléter la composition des eaux de surfaces : du sel bien sûr, mais aussi des composés organiques, sous forme polysaccharides, acides aminés, acides gras et protéines, nais aussi des micro-organismes (bactéries, phytoplankton). Une fois l’eau évaporée, ces aérosols organiques deviennent d’excellents germe de condensation pour la création de nuages.
C’est dans ce contexte que l’expédition GAIA prend tout son sens, Grâce à un détecteur développé au laboratoire (Physique Appliquée, Université de Genève), nous suivrons les émissions d’aérosols de l’océan, en fonction des paramètres météorologiques (température, vent, hauteur de vague, etc..), de l’activité biologique (certains satellites observent la chlorophylle comme proxi de la présence de phytoplankton en surface), et bien sur des « importations » d’aérosols d’origine terrestre à proximité des côtes et en fonction des vents dominants. L’utilisation d’un voilier comme plateforme est bien entendu un avantage certain, puisqu’il ne produit aucune émission polluante parasite. DE la même manière nous avions organisé une campagne de mesure en 2013 sur le bateau solaire « Turanor Planet Solar » le long de la trajectoire du Gulf Stream (https://www.rts.ch/decouverte/sciences-et-environnement/environnement/planetsolar/).
One thought on “Les Aérosols marins”
Fort intéressant l’article. Lá je comprends mieux. Quelle complexité notre atmosphère! Le voilier et ses panneaux solaires ne contaminent pas les mesures. Si on utilisait des porte conteneurs pour effectuer les mesures, il y aurait probablement de la contamination de celles-ci.