Le potentiel écologique et économique des microalgues
Inés Segovia Campos1,2 et Karl Perron1
1Département des sciences végétales, Université de Genève
2Département des sciences de la Terre, Université de Genève
Novembre 2022
La situation
Le dioxyde de carbone (CO2) est un des principaux gaz à effet de serre, agissant comme une couverture qui piège la chaleur à la surface de la Terre. Sans CO2, la température sur notre planète ne dépasserait pas les -18 °C. Cependant, la récente augmentation du CO2 atmosphérique est une des principales causes du réchauffement et du changement climatique que nous vivons actuellement.
Depuis la révolution industrielle au XIXème siècle, la concentration de CO2 dans l’atmosphère n’a cessé d’augmenter, passant de 317 parties par million (ppm) en 1958 à 415 ppm en 2021. La dernière fois que cette concentration avait dépassé le seuil des 400 ppm c’était pendant l’époque du Pléistocène, il y a entre trois et cinq millions d’années !
Cette augmentation est principalement due à l’activité humaine, notamment à la combustion de carburants fossiles et à des changements profonds dans l’utilisation des sols, par le biais de la déforestation par exemple. Ceci mène à un déséquilibre dans le cycle naturel du carbone, provoquant une accumulation excessive de CO2 dans l’atmosphère et contribuant ainsi au réchauffement climatique (Fig. 1). La température moyenne à la surface de la Terre a déjà augmenté de 1.1 °C depuis 1800. Des sécheresses intenses, la pénurie d’eau, des incendies graves, la fonte des glaces polaires et l’élévation du niveau de la mer, des inondations, des tempêtes catastrophiques et le déclin de la biodiversité font partie des nombreuses conséquences du réchauffement climatique actuel !
Afin de freiner ce réchauffement, plusieurs mesures politiques comme le Protocole de Kyoto en 1997 ou l’Accord de Paris en 2016, ont été mises en place au cours des dernières années, engageant la communauté internationale à contenir les émissions de CO2 mais également à réduire le CO2 atmosphérique.
Figure 1 : Schéma du cycle du carbone. Les processus contribuant à l’accumulation de CO2 atmosphérique sont indiqués en rouge. Les processus absorbant le CO2 atmosphérique sont indiqués en bleu.
Le retrait du CO2 atmosphérique peut se faire naturellement grâce à son absorption par des « puits de carbone » tels que les forêts, les océans, et les sols (Fig. 1):
- Une grande partie du CO2 atmosphérique est absorbée par les végétaux terrestres grâce au processus de la photosynthèse. Ce phénomène biologique permet à certains organismes de transformer le CO2 en matière organique en utilisant la lumière comme source d’énergie. Il en résulte également de la production d’oxygène (O2) (Fig. 2).
- Le CO2 atmosphérique est également absorbé par les océans dû à la dissolution progressive de ce gaz dans l’eau. En situation normale, entre 50% et 70% du CO2 dissout dans les océans est séquestré par les organismes photosynthétiques aquatiques, considérés comme les producteurs primaires de matière organique. Les organismes calcifiants comme les coraux ou les coccolithophores, sont aussi considérés des organismes importants dans la fixation du carbone car ils transforment le CO2 dissout dans l’eau en carbonate de calcium (CaCO3).
- Le sol représente également un puits naturel de carbone. En effet, la matière organique morte (essentiellement composée de carbone) ainsi que les carbonates se déposent dans les bassins sédimentaires puis intègrent la lithosphère (couche plus externe de la Terre) dans laquelle le carbone reste piégé.
Figure 2 : Schéma du processus de photosynthèse. Ce phénomène est le résultat d’une série de réactions chimiques qui ont lieu dans les cellules des végétaux et des algues, plus concrètement, dans des organites appelés chloroplastes. Grâce à l’énergie lumineuse, l’eau (H2O) va se transformer en oxygène (O2), tout en produisant de l’énergie chimique. Cette énergie va être utilisée pour transformer le CO2 absorbé en sucres à travers un cycle de réactions métaboliques appelé le cycle de Calvin. Ce sucre sera utilisé pour la croissance des organismes.
Des possibilités à disposition
Une stratégie pour réduire le CO2 atmosphérique serait donc de restaurer, de sauvegarder et/ou de renforcer la capacité d’absorption de ces puits de carbone. Par exemple, la reforestation est une mesure intéressante pour réduire le CO2 atmosphérique grâce à l’activité photosynthétique des plantes. Cependant, l’efficacité de cette mesure est limitée par le taux de croissance des plantes qui est plutôt lent et par la surface de terre arable nécessaire.
Actuellement, des nouvelles technologies permettant de capturer le CO2 dès sa source (principalement des émanations industrielles) et de le stocker dans le sous-sol (aquifères salins profonds ou des gisements d’hydrocarbures épuisés) sont en cours de développement. Toutefois, ces techniques constituent un enjeux technologique majeur et un coût économique très élevé.
Une solution prometteuse : les microalgues
La production de microalgues pour l’absorption du CO2 est une alternative qui a pris de l’ampleur ces dernières années. Les microalgues sont des organismes microscopiques (1 à 20 µm) aquatiques et photosynthétiques, qui se trouvent à la base des chaînes alimentaires (Fig. 3). Elles composent le phytoplancton des océans et des eaux continentales. Ces organismes sont 10 fois plus efficaces dans la fixation du carbone que les plantes terrestres, jouant un rôle clé dans le cycle du carbone et la production d’O2. Les microalgues sont considérées l’une des sources naturelles ayant le plus grand potentiel écologique et économique. En effet, certaines espèces de microalgues présentent un taux de croissance extrêmement rapide et convertissent le CO2 en une variété de produits à valeur ajoutée. Ces composés peuvent être utilisés dans l’industrie pharmaceutique, chimique, cosmétique et alimentaire. Les principaux produits obtenus à partir des microalgues sont :
- Des pigments : caroténoïdes, phycobilines et chlorophylles
- Des acides gras essentiels comme l’oméga 3 et 6
- Des mono- et polysaccharides : glucose, galactose, xylose, rhamnose, mannose, arabinose, cellulose, …etc.
- Des composés bioactifs : antioxydants, antimicrobiens, anti-inflammatoires, …etc.
- Des vitamines : vitamine A, B1, B2, B9, …etc.
Les microalgues sont également une source potentielle de biocombustibles (biodiesel, bioéthanol, etc.) qui pourrait permettre de réduire la consommation de combustibles fossiles. De plus, en raison de leur importante teneur en lipides et leur croissance rapide, certaines espèces de microalgues sont amplement utilisées dans l’aquaculture, pour l’alimentation des larves de mollusques et de crustacés. Finalement, des engrais à base de microalgues ont récemment été bien accueillis par les agriculteurs souhaitant pratiquer une agriculture durable.
Figure 3 : Images au microscope optique de divers espèces de microalgues d’eau douce. Figure créée par Alexander Klepnev (Wikipedia).
La technique de captation du CO2 par des microalgues consiste à cultiver ces organismes dans des grands systèmes de culture dans lesquels du CO2 est injecté. Ces cultures sont souvent directement couplées à la sortie des gaz à combustion des usines. Le CO2 obtenu de ces émanations industrielles est pompé dans les cultures liquides par injection de minuscules bulles, afin de faciliter sa dissolution dans l’eau (en effet, pour que les microalgues puissent absorber le CO2, celui-ci doit se trouver sous forme dissoute). Une alternative consiste à pomper directement l’air atmosphérique dans les cultures afin de réduire sa teneur en CO2. Dans tous les cas, les microalgues vont utiliser ce CO2 pour leur croissance et la synthèse de composants à valeur ajoutée et vont rejeter de l’O2 (Fig. 4).
Figure 4 : Schéma d’une culture de microalgues couplée aux émanations industrielles. Le CO2 est pompé dans la culture par injection de minuscules bulles.
Les microalgues sont cultivées dans des conteneurs fermés appelés photobioréacteurs, qui peuvent avoir des formes et tailles différentes (Fig. 5). Ces conteneurs permettent de cultiver les microalgues dans des conditions contrôlées afin d’optimiser leur taux de croissance et leur capacité d’absorption de CO2. Les matériaux nécessaires à la fabrication des photobioréacteurs peuvent être à faible coût. De plus, ces systèmes peuvent utiliser directement la lumière solaire comme source d’énergie pour la photosynthèse (et donc pour capter de CO2), la dépense énergétique étant donc très faible. Le milieu de croissance pour la mise en place des cultures est normalement de l’eau de mer enrichie en nutriments. Certaines espèces de microalgues peuvent également être cultivées dans des eaux douces, ainsi que des eaux usées, généralement riches en azote, phosphore, métaux et autres polluants. En effet, les microalgues absorbent facilement ces éléments tout en réduisant les émissions en CO2.
Figure 5 : Schéma des photobioréacteurs les plus fréquement utilisés. (A) Photobioréacteurs tubulaires et (C) plats (grande échelle) à Necton SA, Olhāo, Portugal. (B) Phtotobioréacteurs en colonnes (petite échelle) au laboratoire de géomicrobiologie à l’Université de Genève.
Finalement, lorsque leur croissance atteint les valeurs souhaitées, les microalgues sont récoltées pour être utilisées dans les différentes industries mentionnées précédemment. La récolte peut se faire de différentes façons : par filtration, par centrifugation, ou bien par floculation (ajout de composés chimiques qui favorisent l’agrégation des algues) des cultures, ce qui permet de séparer la biomasse (les algues) du milieu liquide (l’eau).
Les principales microalgues cultivées pour la capture de CO2 sont Chlorella, Nannochloropsis et Arthrospira (cyanobactérie couramment appelée Spirulina), cependant, la capacité d’absorption de CO2 par d’autres algues telles que Scenedesmus et Tetraselmis est en cours d’étude. Plusieurs installations de culture de microalgues à échelle industrielle existent actuellement (Fig. 5), le Portugal étant l’un des pays européens pionniers dans ce domaine avec les plus grandes installations industrielles destinées à la production de microalgues (Allmicroalgae, Necton SA, PhytoAlgae, Buggypower, entre autres). En Espagne, la compagnie AlgaEnergy a mis en place deux installations pour la capture de CO2 : la plateforme technologique d’expérimentation avec des microalgues (PTEM), située à l’aéroport Adolfo Suárez de Madrid-Barajas et la plateforme de production de microalgues à Arcos de la Frontera (Cadix), qui est directement couplée à une cheminée des gaz de combustion d’origine industrielle.
Conclusion
Les microalgues sont des microorganismes extrêmement intéressants pour la capture de CO2 grâce à leur efficacité photosynthétique, la transformation rapide de ce gaz en biomasse et au fait qu’elles n’ont pas besoin de terrains agricoles pour leur croissance. De plus, les cultures de microalgues pour la capture de CO2 peuvent être simultanément destinées à la purification des eaux usées et permettent également de produire des composants à valeur ajoutée, des matières premières pour l’aquaculture et du biocombustible de manière écologique et durable (Fig. 6). Finalement, la mise en place de cette technique présente un faible coût énergétique et économique comparé à d’autres techniques investiguées actuellement, ce qui rend l’utilisation de microalgues une option encore plus attrayante pour réduire les niveaux de CO2 atmosphérique et freiner le réchauffement climatique.
Figure 6 : Diagramme résumant le potentiel écologique et économique des microalgues.
Sites web consultés
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https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/climat/en-bref.html
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https://savoirs.usherbrooke.ca/handle/11143/9752
https://cordis.europa.eu/article/id/227612-algaebased-fertiliser-turns-vegetable-farming-green/fr
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https://en.wikipedia.org/wiki/Microalgae
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2 réflexions sur « Le potentiel écologique et économique des microalgues »
Très intéressant, instructif et bien expliqué.
Merci aussi pour le carnet de bord, toujours passionnant.
Bonne continuation.
Daniel et Saskia
c’est très intéressant, mais je doute que la technologie puisse influer sur notre course vers l’abime, car, sans modification drastique de notre consommation d’énergie, ces petites soustractions de CO2 seront illusoires…