Une goutte dans l’océan

Une goutte dans l’océan

Alan Williams, prof. hon. faculté des sciences, université de Genève

Valery Detemmerman, Océanographe, em. World Climate Research Programme

Juin 2024

Chacun sait que la surface de la terre est couverte en majeure partie par l’eau, mais l’étude des océans ne figure pas de manière importante dans notre formation scientifique, les océans étant souvent réduits à cette partie bleue des cartes où il n’y a pas de continent. Il faut peut-être commencer en se rappelant de l’importance relative des continents et des océans en regardant la figure 1 qui montre une vue satellite sur l’océan Pacifique Sud. Certes, nous avons choisi un point de vue favorable à notre propos, mais la dominance des océans est évidente. Les océans représentent 70% de la surface du globe et, la répartition des continents étant inégale entre l’hémisphères nord et sud, 80% du dernier. Les océans déterminent la distribution de chaleur de la planète, produisent la majeure part de l’oxygène de l’air et absorbent de grandes quantités d’énergie et de dioxyde de carbone. Ils contrôlent le climat et déterminent dans quelle mesure la vie est possible sur notre planète. Pour comprendre notre planète, l’étude de l’océanographie est donc essentielle. Notre but ici est donc de donner un survol de ce sujet en illustrant la science nécessaire pour l’aborder.

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Figure 1. La terre vue par un océanographe ? La Pacifique Sud, avec l’est de l’Australie juste visible en haut, la Californie à 4h, l’Amérique du Sud en bas et l’Antarctique sur la gauche. Image satellite pris de Google Earth.

L’extérieur de la Terre comporte une partie solide, la croûte, sur laquelle se posent deux fluides, les océans et l’atmosphère. Un fluide n’a pas de forme définie mais se déplace en fonction des forces qu’elle subit. Celles-ci sont nombreuses : l’attraction gravitationnelle de la Terre, mais aussi celle de la Lune, ainsi que les forces associées avec la rotation de la Terre. La Terre reçoit la radiation solaire qui varie selon les saisons et la latitude et cette radiation produit des différences de température, de pression et de densité qui, toutes, produisent un déplacement de l’eau et de l’air. C’est donc évident que les océans et l’atmosphère forment un système dynamique et que nous devons tenir compte de plusieurs facteurs pour comprendre leur comportement. Heureusement les lois de la physique permettent de chiffrer ces effets et juger de leur importance relative et nous cherchons à illustrer ceci dans cet article. Il faut aussi retenir que les océans et l’atmosphère interagissent l’un avec l’autre et donc nous ne pouvons pas les traiter séparément. L’étude des océans est rendue difficile par leur vaste étendue. C’est le développement des communications modernes, les instruments autonomes et surtout l’observation depuis des satellites qui a permis un grand essor de l’océanographie.

Où sont les océans ?

La structure de la Terre – la croûte.

La croûte de la Terre est solide, et composée de roches. La croûte comporte plusieurs plaques tectoniques de roches (Figure 2) qui se déplacent les unes par rapport aux autres donnant lieu souvent à des évènements sismiques ou volcaniques à la jonction de deux plaques, comme c’est actuellement le cas en Islande. Ce déplacement se fait sur une échelle de temps géologique et n’est pas important pour notre discussion.

Figure 2. Les plus importantes plaques tectoniques de la croûte terrestre. Source: M.Bitton, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons.

La composition des plaques n’est pas uniforme. La croûte dite continentale se trouve sous les continents. Elle possède une épaisseur entre 20 et 70 km et une densité autour de 2,7 g/cm3. La croûte océanique est moins épaisse, 6 à 10 km, et est composée de roches plus denses, typiquement autour de 3 g/cm3. La séparation entre océan et continent peut provenir de la jonction entre une plaque océanique et une plaque continentale, comme sur la côte ouest de l’Amérique du Sud. Toutefois, la Figure 2 montre que d’autres plaques comportent des parties océaniques et continentales comme la plaque Eurasienne. La Figure 3 montre la jonction entre la croûte océanique et la croûte continentale pour un tel cas. Il y a une brusque augmentation de la profondeur de la mer dès que l’on quitte la plateforme continentale pour aller vers les fonds océaniques, quoique l’accumulation de sédiments provenant des fleuves puisse amortir le gradient.

Figure 3. Une jonction entre la croûte continentale et la croûte océanique.

La répartition de l’eau sur le globe.

L’eau se dispose sur la croûte sous l’influence de la gravité, donc en occupant d’abord les fonds marins, puis les parties des continents de plus basse altitude. Les parties des croûtes continentales qui sont recouvertes d’eau font partie des plateformes continentales, qui représentent actuellement environ 7% de la surface océanique totale et ont typiquement une profondeur inférieure à 200m. Leur étendue dépendra évidemment du volume d’eau dans les océans. Si ce volume diminue, correspondant à une baisse de la ligne bleu dans la Figure 3, la plateforme continentale se rétrécit ; si le volume augmente, la plateforme continentale s’agrandira et des terres seront recouvertes. Deux facteurs contribuent au volume des océans : la température et la masse d’eau. Comme presque toutes les substances, l’eau se dilate avec une augmentation de la température, ce qui amènera une montée du niveau de l’eau et une augmentation de surface des plateformes continentales. Le second facteur concerne la masse d’eau dans les océans et est liée à la déposition ou à la fonte de glace sur les continents. Pendant les périodes glaciaires, d’énormes quantités d’eau sont déposées sur les continents sous forme de glace. Cette eau provient des océans qui voient donc leur volume d’eau diminuer, et la plateforme continentale se rétrécir. En cas de réchauffement, les glaciers fondent, relâchant leur eau dans les océans.

Pendant le dernier épisode glaciaire, le niveau de l’océan avait baissé de sorte que la Manche n’avait plus d’eau et l’on pouvait passer de France en Angleterre à pied sec. Depuis, la fonte de la calotte glacière a remonté le niveau de la mer. Nous vivons actuellement une période de réchauffement. Le niveau de la mer est monté de 15 à 25 cm entre 1901 et 2018 et le changement actuel est estimé à 3 – 4 mm par an. Ceci représente un danger réel pour les régions côtières ou des îles comme les Maldives où l’altitude moyenne n’est que de 1m50. On estime que la dilatation thermique est responsable d’environ un tiers de la montée et la fonte des glaciers du reste. Si c’est surtout dans les régions Arctiques et Antarctiques que les glaciers fondent, même la retraite d’un glacier dans les Alpes contribue à la montée des eaux dans l’océan Indien illustrant bien la nature globale du problème.

La croûte continentale doit être assez épaisse pour qu’elle émerge de l’océan. Au nord-ouest de la Nouvelle Zélande se trouve un fragment de croûte continentale qui n’est pas assez épais pour monter au-dessus du niveau de la mer à l’exception de quelques îles et les deux grandes îles de la Nouvelle Zélande. Certains considèrent ce fragment comme un sorte de continent, la Zélandie, mais c’est un sujet de débat. Vous pouvez en voir une trace dans la Figure 1.

Le niveau de la mer.

Cette expression nous est très familière – en général on mesure des altitudes par rapport au niveau de la mer. Toutefois, comment le mesurer ? Le niveau de l’eau n’est pas constant : il change avec les marées, le vent, la température, le volume d’eau dans les océans pour ne citer que quelques facteurs. Pendant longtemps on mesurait le niveau de la mer à un endroit donné sur la côte et on prenait une valeur moyenne sur l’année. Différents pays choisissaient différents endroits pour la mesure de référence, rendant difficile la comparaison. En 1992 le satellite TOPEX/Poseidon est lancé par une collaboration franco-américaine et porte un altimètre par radar permettant de mesurer la distance entre la mer et le satellite avec une précision de quelques centimètres et cela sur presque tous les océans. Les données obtenues, ainsi que celles obtenues par des satellites ultérieurs, ont permis de mesurer avec précision les niveaux des océans et même d’étudier les courants marins.

Qu’est-ce qu’il y a dans les océans ?

Les deux fluides.

La Terre est recouverte de deux fluides, l’air et l’eau. Un fluide n’a pas de forme définie mais peut se déformer pour adopter la disposition la plus stable. Nous donnons ici quelques valeurs pour des propriétés importantes. Il n’est pas nécessaire de retenir les valeurs précises (car, pour être rigoureux, on doit préciser toutes les conditions de la mesure) mais plutôt les ordres de grandeur.

La densité de l’eau de mer est typiquement 1030 g/L, soit environ 800 fois celle de l’air (1.3 g/L). La quantité de mouvement d’un objet est le produit de la masse et la vitesse, et si l’objet frappe un obstacle, l’effet sera donc 800 plus grand pour l’eau de mer que le même volume d’air se déplaçant à la même vitesse. En effet, même si les vents forts d’un ouragan peuvent faire des gros dégâts, une grande masse d’eau tel qu’un tsunami est dévastateur.

L’air est facilement comprimé alors que l’eau de mer est presque incompressible : même à 4000 m de profondeur dans l’océan, soit une pression de 400 atmosphères, le volume de l’eau n’est réduit que d’environ 2%. L’air, en revanche, suit la loi de Boyle selon laquelle le volume est inversement proportionnelle à la pression. Les cartes météorologiques nous indiquent que la pression de l’air varie avec le temps, typiquement dans une fourchette de plus ou moins 5%.

Les propriétés de l’eau et de l’air dépendent beaucoup de la température, et nous devons donc examiner les facteurs qui la contrôlent. La source principale d’énergie pour l’eau des océans est le soleil. L’eau absorbe fortement le rayonnement infra-rouge du soleil qui ne pénètre que quelques centimètres dans la mer. Même si nous avons l’habitude de considérer l’eau comme incolore, en réalité elle absorbe faiblement la lumière visible. A travers les quelques centimètres de trajet optique dans un verre d’eau traditionnel, cette absorption n’est pas visible, mais pour un trajet de quelques dizaines de mètres, soit une augmentation d’un facteur de mille, elle devient évidente. La lumière rouge est davantage absorbée que la bleue ce qui explique que les images pris dans une plongée paraissent bleuâtres et que les masses d’eau apparaissent bleues. Avec la profondeur, de plus en plus de lumière est absorbée, et on atteint l’obscurité totale après quelques centaines de mètres. La profondeur maximum de visibilité dépend beaucoup des autres substances présentes. Avec une eau pure on peut voir jusqu’à 80 m, mais la présence de sédiments, d’organismes vivants, ou même des restes d’organisme diminue fortement la transparence.

Qu’advient-il de l’énergie du soleil absorbée ? Elle est transformée en chaleur et réchauffe l’eau mais ceci ne concerne que les eaux de surface où la lumière peut pénétrer, soit les premiers 100m de l’océan, quoique les vagues et les marées brassent suffisamment l’eau pour que les premiers 200m soient rechauffées. L’évolution de la température de l’eau en fonction de la profondeur est montrée à la Figure 4 pour une latitude moyenne. La précision de la latitude est importante car nous savons que l’insolation et donc le chauffage varie fortement avec la latitude et avec les saisons. Dans les eaux tropicales, la température à la surface peut monter jusqu’à 36°C alors que, dans les régions polaires, on peut descendre à -2° C. La valeur moyenne de la température de surface est de 17°C. Dans les régions polaires, la température ne varie pas énormément, mais ailleurs on voit une valeur qui ne varie que peu pour les premiers 100-200 m (où les eaux sont mélangées par les vagues), suivi d’une baisse assez rapide (la thermocline) sur quelques centaines de mètres avant d’atteindre une valeur plus ou moins constante autour de 4°C, typique pour le fond de l’océan. On voit ainsi que les océans sont loin d’être homogènes avec une stratification entre les eaux chaudes de surface et les eaux froides du fond.

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Figure 4. Evolution de la température de l’océan en fonction de la profondeur pour une latitude moyenne. (Public domain via Wikimedia Commons)

Qu’en est-il de l’air ? Contrairement à l’eau, l’atmosphère n’absorbe presque pas la lumière visible (autrement nous ne verrions pas les étoiles), et assez peu l’infra-rouge (essentiellement par le biais du CO2 et de l’eau, présents en faible quantité). Les composants principaux (99%) de l’air, l’azote, l’oxygène et l’argon n’absorbent ni la lumière visible ni l’infrarouge. L’atmosphère ne peut donc être chauffé par le soleil, mais seulement par échange de chaleur avec les océans ou les terres chauffés. A titre de comparaison, si nous quittons la Terre un instant pour aller sur Vénus, l’atmosphère vénusien absorbe fortement l’infrarouge et le visible, donnant des températures atmosphériques de plus de 450°C, plutôt nuisibles pour le tourisme.

Regardons maintenant le changement des propriétés avec la température. Nous avons déjà mentionné la dilatation ou l’expansion thermique. Les gaz montrent une forte expansion thermique, de l’ordre de 0.3% par °C. Si le volume augmente et la masse reste constante, on observe une diminution de la densité. C’est le principe de la montgolfière, où l’air chaude, de faible densité, soulève le ballon. En météorologie, l’air chaude a tendance à s’élever. Les liquides montrent des dilatations moins fortes. L’eau est particulière en ce que son coefficient d’expansion thermique varie considérablement avec la température. Autour de 0°C il est de 0.3 x10-4 /°C soit 1 % de celui de l’air mais à la température des eaux tropicales il est de 3,5 x10-4 /°C soit dix fois plus grand. L’augmentation du volume produit, comme pour l’air, une diminution de la densité. La variation en fonction de la profondeur montre une valeur assez constante dans les eaux de surface autour de 1.02 kg/L. A partir de 200m environ la densité augmente jusqu’une valeur de 1.03 kg/L autour de 500m (cette augmentation s’appelle la pycnocline). A partir de 500m la densité augmente très faiblement avec la profondeur. L’océan est donc stratifié et en densité et en température. Dans les régions tempérées la différence de densité entre surface et fond diminue en hiver et les eaux peuvent se mélanger plus facilement, surtout sous l’influence des orages.

Ces petites fluctuations de la densité, de l’ordre de parts par millier, sont toutefois importantes. Les bateaux marchands ne doivent pas être surchargés, et les coques portent une ligne de flottaison indiquant jusqu’où le bateau peut être chargé. Les lignes pour les eaux fraiches ou tropicales, les moins denses, sont plus hautes que les lignes pour les eaux froides telles que l’Atlantique nord en hiver. Comme nous le verrons, les différences de densité peuvent être à l’origine des courants marins.

Il nous faut maintenant regarder combien d’énergie est associée avec ces changements de température en regardant la capacité thermique des fluides qui mesure l’énergie nécessaire pour chauffer un volume donné du fluide par 1°C ; c’est également l’énergie que ce volume va libérer s’il est refroidi par 1°C. Pour l’air c’est de 1.3 J/L/°C, et pour l’eau 4000 J/L/°C, soit trois mille fois plus grand. Un même volume d’eau peut absorber ou libérer trois mille fois plus d’énergie que l’air. Ce n’est pas pour rien que l’on fait circuler l’eau chaude dans les radiateurs plutôt que l’air !

L’eau peut aussi absorber de l’énergie en s’évaporant : les attractions entre molécules d’eau dans l’eau liquide doivent toutes être défaites pour pouvoir s’évaporer et cela un prix énergétique. Si un millilitre d’eau (1 cm3) s’évapore, il absorbe 2300 J d’énergie, refroidissant d’autant l’eau dont il est issu. C’est d’ailleurs le mécanisme utilisé par le corps pour se refroidir, l’évaporation de la transpiration refroidissant le corps. L’eau ne peut s’évaporer que lorsque la quantité de vapeur dans l’air est inférieure à une valeur maximum appelée la pression de vapeur saturée. Cette pression est de 0,6% d’une atmosphère à 0°C mais augmente avec la température : 2.3% à 20°C, 7.3% à 40°C. L’humidité de l’air est mesurée par rapport à la valeur maximum. A 100% humidité, l’air est saturé et l’eau ne s’évapore plus – pour l’humain ceci a comme conséquence que la transpiration ne le refroidit plus, et l’on ressent beaucoup plus la chaleur. Pour les océans, un vent sec et chaud peut évaporer de l’eau, refroidissant d’autant la mer. Si un air saturé est refroidi, l’eau dans l’air peut se condenser pour former les nuages voire de la pluie. La grande capacité des océans à absorber ou à libérer l’énergie fait qu’ils sont les principaux vecteurs de transfert d’énergie sur la surface du globe.

Les océans ne contiennent pas que l’eau.

A part les organismes vivants que nous discutons plus bas, les océans contiennent de la matière dissoute, environ 35 g par kg d’eau. Le chlorure de sodium (NaCl, sel commun) correspond à 80% de cette matière, mais on y trouve aussi le calcium, le magnésium, le sulfate et le potassium. D’autres éléments sont présents à moindre concentration. Ce fait est important pour la vie qui ne serait pas possible sans cette palette d’éléments chimiques. La concentration de matière dissoute est assez constante globalement, mais certains facteurs environnementaux peuvent induire des changements locaux. A l’embouchure de grands fleuves comme l’Amazone, l’apport d’eau fraîche baisse un peu la salinité. En revanche, dans le golfe Persique ou la mer Rouge, les températures élevées et les vents secs encouragent l’évaporation de l’eau et la salinité peut monter au-dessus de 40 g par kg d’eau. Une variation de la salinité modifie aussi la densité : plus l’eau est salée, plus la densité s’élève.

Les océans renferment aussi des gaz dissous, surtout l’oxygène et le dioxyde de carbone, CO2. L’oxygène provient de la photosynthèse et sa présence est essentielle pour beaucoup de vie marine. Puisque la photosynthèse ne se fait que dans les couches supérieures de l’océan où la lumière peut pénétrer, le niveau d’oxygène est maximum à la surface et tombent presque à zéro en profondeur. Le CO2 peut provenir de la respiration des organismes ou de l’eau de pluie. Une fraction importante du CO2 de l’atmosphère est ainsi absorbée par les océans, ce qui réduit en conséquence l’effet de serre dû à ce gaz mais qui produit une augmentation de l’acidité en raison de la réaction du CO2 avec l’eau :

CO2 + 2 H2O → HCO3 + H3O+

Cette libération de protons (H3O+) augmente l’acidité et baisse le pH. Certains organismes sont très sensibles à une fluctuation du pH : la Grande Recife de Corail sur la côte nord-est de l’Australie montre par exemple déjà des signes de morbidité due à l’acidité et la montée de la température.

L’océan dynamique

Dans tout ce que nous avons dit jusqu’ici nous avons négligé complètement le déplacement de l’eau, or nous savons que l’eau est en mouvement constant : vagues, orages, courants, et marées en sont des manifestations. Nous devons également considérer le dynamique de l’atmosphère car les vents déplacent l’eau des océans. L’étude des courants marins et atmosphériques n’est pas des plus simple car nous sommes toujours en présence d’une diversité de facteurs pouvant intervenir. La situation est compliquée encore par le fait que la surface du globe est sphérique et la géométrie Euclidienne n’est plus valable et nous devons tenir compte du fait que le globe est en rotation.

La surface sphérique qui tourne

En général, quand on regarde seulement une petite région du globe on peut utiliser l’approximation d’une surface plate. Quand on regarde de grands étendus cette approximation n’est plus valable. Les avions de ligne et les paquebots doivent tenir compte de la sphéricité dans la navigation. Imaginons un petit volume d’eau ou d’air situé sur la surface du globe indiqué par le point noir dans la Figure 5. La position du point est déterminée par une latitude et une longitude. Un déplacement sur la surface du globe est décrit par un changement de latitude, indiqué par la ligne bleu dans la figure (un déplacement méridional), un changement de longitude, en vert dans la figure (un déplacement zonal) ou une combinaison des deux.

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Figure 5. Le monde sphérique. Le globe tourne sur un axe vertical avec une vitesse angulaire ω. Un déplacement le long d’une ligne de longitude comme indique la flèche bleue est méridional. Un déplacement le long d’une ligne de latitude, en vert dans la figure, est un déplacement zonal. La distance entre le point noir sur la surface du globe et l’axe de rotation est r.

La force de Coriolis.

La force de Coriolis est observée sur la surface d’une sphère en rotation comme la Terre. Un corps qui se déplace sur cette surface subit une force perpendiculaire à la direction du mouvement. Dans l’hémisphère nord, la force se dirige vers la droite et dans l’hémisphère sud vers la gauche. La force de Coriolis joue un rôle important dans la circulation de l’eau et de l’air car son effet est de dévier un courant de fluide, vers la droite dans l’hémisphère nord, et vers la gauche dans l’hémisphère sud (Figure 6).

Figure 6. Mouvement d’un fluide et l’effet Coriolis. On considère un centre de basse pression localisé à B et situé dans l’hémisphère nord. L’air se dirige vers ce centre pour le combler comme indiqué par les flèches rouges. Toutefois, nous devons tenir compte de la force de Coriolis indiquée en bleu. La somme des deux effets donne une rotation autour du centre dans le sens contre les aiguilles d’une montre.

Son effet est visible sur des cartes météorologiques où l’on voit les vents tourner autour d’une zone de haute (ou basse pression). Cette rotation est aussi visible chez les ouragans. Nous avons pris soin de parler de fluide, car l’effet Coriolis s’applique aussi bien à l’eau qu’à l’air. Toutefois, les vitesses des courants sont très différentes : typiquement 10 m/s (36 km/h) pour l’air et cent fois moins pour l’eau. Il en résulte des dimensions pour le cercle de rotation très différents : 100km pour l’air et 1 km pour l’eau. L’effet de Coriolis dépend de la latitude : plus important près des pôles, il diminue comme sin φ (où φ est la latitude) pour disparaître sur l’équateur.

D’où vient la force de Coriolis ?

Cette explication n’est pas essentielle pour comprendre la suite et peut être sautée par ceux qui n’aiment pas les calculs. Un objet en rotation possède un moment cinétique L (en anglais, angular momentum) qui est constant en l’absence d’une force appliquée, analogue à la quantité de mouvement d’un objet en déplacement linéaire. Le moment cinétique est le produit de la vitesse angulaire ω et le moment d’inertie, J. Pour notre petit volume de fluide de la figure 5, le moment d’inertie J est donné par le produit de la masse m et le carré de la distance de l’axe de rotation, r. Donc, L = mr2ω ; il devrait être évident que si r diminue et L reste constant, alors ω doit augmenter. C’est une conséquence du principe de la conservation du moment cinétique.

Un exemple de cet effet est la pirouette en patinage artistique. La patineuse se met en rotation : si elle écarte les bras du corps, les éloignant de l’axe de rotation, le moment d’inertie augmente et la vitesse de rotation diminue. Ramener les bras vers le corps diminue le moment d’inertie, et la rotation s’accélère. Ces accélérations et décélérations sont des manifestations de la force de Coriolis, associée à toute rotation comme la force centrifuge.

La circulation atmosphérique

L’air peut circuler presque partout sur le globe, seules les plus hautes chaines de montagnes (les Himalaya, les Andes) offrant une barrière importante. L’air est le plus chaud au-dessus de l’équateur où il y a un maximum d’insolation, et le plus froid au-dessus des pôles. Ces différences de température produisent des différences de densité qui sont à l’origine des courants d’air. (Figure 7)

Commençons à l’équateur où l’insolation est la plus forte et où l’air à basse altitude est chauffé par contact avec la terre ou l’eau. L’air chaud se dilate, donnant une région de basse pression, et monte en altitude. En montant, il se refroidit, et, en se refroidissant, la vapeur d’eau se condense, donnant des pluies tropicales. Arrivé en haut du troposphère (environ 10 km) l’air sec se déplace vers les pôles en se refroidissant et donc sa densité augmente. A une latitude d’environ 30° (N ou S) sa densité est telle que l’air commence à descendre, et se réchauffe en descendant. Arrivé au niveau du sol, l’air, maintenant chaud et sec, est aspiré vers la basse pression de l’équateur. La circulation forme ainsi une boucle appelée cellule de Hadley, qui déplace la chaleur vers les pôles. Toutefois, nous avons oublié la force de Coriolis. Le vent chaud soufflant vers l’équateur est déplacé vers l’ouest par la force de Coriolis.  Dans l’hémisphère nord, le vent va dans le sens sud-ouest et dans l’hémisphère sud il va dans la direction nord-ouest. Ces sont les alizés (trade winds en anglais). Sur les continents, l’air chaud et sec qui descend autour de 30° N ou S confère une aridité sur ces régions qui sont souvent désertiques.

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Figure 7 Circulation de l’atmosphère montrant les trois domaines de circulation : la cellule de Hadley (tropique), de Ferrel (tempéré) et polaire pour l’hémisphère Nord. Source NOAA

Si nous regardons maintenant les pôles, ils sont froids car ils ne reçoivent pas ou peu d’énergie du soleil et elles perdent de l’énergie par rayonnement vers l’espace. L’air au-dessus des pôles est froid et dense, donnant une zone de haute pression. L’air se déplace alors vers l’équateur et se réchauffant. Autour de la latitude 60°, cet air est suffisamment chaud pour commencer à monter et est ensuite aspiré vers les pôles, donnant une deuxième boucle, la cellule polaire. L’air descendant des pôles subit bien sûr la force de Coriolis, se déplaçant vers l’ouest.

Entre les cellules de Hadley et polaire se trouvent une troisième cellule, la cellule de Ferrel. La partie plus près de l’équateur est une zone de haute pression, et celle plus près des pôles est une zone de basse pression. L’air à la surface se déplace vers les pôles jusqu’à ce qu’il rencontre la cellule polaire où il remonte et forme une nouvelle boucle. Puisque le vent à la surface se dirige vers les pôles, il est déplacé vers l’est par la force de Coriolis donnant lieu à des vents d’ouest typiques des régions tempérées. La circulation dans la cellule de Ferrel est plus facilement perturbée que dans les deux autres cellules donnant aux vents de cette région une certaine imprévisibilité et fournissant un sujet de conversation quasi-inépuisable aux habitants des Îles Britanniques. La Figure 8 montre comment ces cellules sont réparties sur le globe :

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Figure 8. Les cellules de circulation atmosphériques reparties sur le globe : 1 – cellule de Hadley ; 2 – cellule de Ferrel ; 3 – cellule polaire. Source NOAA.

Nous avons parlé en détail sur la circulation de l’air pour deux raisons : nous y trouvons certains principes que nous retrouverons chez la circulation des océans et les vents exercent une influence sur le mouvement de l’eau. Il suffit de penser à un lac, calme plat en l’absence de vent, qui devient agité après quelques jours d’un fort vent.

La circulation de l’eau.

Contrairement à l’air, la circulation de l’eau est délimitée par les continents. Même un mince isthme (comme au Panama) peut empêcher le passage d’eau entre Atlantique et Pacifique. En effet les deux continents américains forment un barrage important : c’est seulement par le passage de Drake (large de 800 km) tout au sud de l’Amérique du Sud que les deux océans peuvent s’échanger. L’eau doit circuler dans le cadre défini par les continents. Nous devons aussi tenir compte de la stratification des océans. Les eaux de surface, jusqu’à 500m, sont différentes des eaux de fond. La circulation des eaux de surface est mieux connue que celle du fond car elle est directement observable et nous commencerons avec celle-ci.

Depuis très longtemps les marins connaissent l’existence des courants de surface. En 1513 le navigateur espagnol Juan Ponce de León notait que, malgré un bon vent, son bateau reculait et a attribué ceci à un fort courant. Les marins effectuant le trajet Amérique – Europe ont découvert que se placer dans le courant que nous appelons aujourd’hui le Gulf Stream permettait de gagner plusieurs jours sur la durée du trajet, et que le courant pourrait être identifié par la température plus élevée de l’eau. Benjamin Franklin était le premier à en dresser une carte. Il est certain que les marins d’autres civilisations connaissaient les courants de leurs régions.

Les principaux courants sont montrés à la figure 9. On voit cinq grandes boucles situées dans l’Atlantique Nord, l’Atlantique Sud, la Pacifique Nord, la Pacifique Sud et l’océane Indienne que l’on nomme des gyres, circulant dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère du nord, et dans le sens opposé au sud. Les courants de surface sont poussés par les vents : le gyre de l’Atlantique Nord est poussée par les vents de l’ouest au-dessus de la latitude 30° et par les alizés au sud de cette latitude.

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Figure 9. Les courants de surface sur le globe. Les courants chauds sont indiqués en rouge, les froids en bleu. Source: Dr. Michael Pidwirny (see http://www.physicalgeography.net), Public domain, via Wikimedia Commons.

Le Gulf Stream fait partie du gyre de l’Atlantique Nord et se sépare en deux après le trajet ouest-est, une partie se dirigeant le long des côtes de l’Irlande et l’ouest de l’Ecosse pour terminer en Norvège, l’autre se dirigeant vers les côtes de l’Afrique. L’intensité du courant varie de 30 Sverdrups (= 30 millions de mètres cubes par seconde) à 150 Sverdrups autour de Terre-Neuve. A titre de comparaison, le débit de tous les fleuves dans l’Atlantique se monte à 0.6 Sverdrups. On peut voir d’autres courants sur la Figure 9 par exemple, le courant de Kuroshio qui passe par la côte est du Japon et le courant de Humboldt (ou courant de Pérou), un courant froid qui remonte la côte ouest de l’Amérique du Sud. Un autre courant important qui ne fait toutefois pas partie des gyres est le courant circumpolaire antarctique qui circule de ouest en est. Il est très fort, de l’ordre de 150 Sverdrups, et il en résulte un courant très fort d’ouest en est dans le passage de Drake rendant difficile la navigation dans le sens opposé.

Les énormes quantités d’eau transportées par ces courants, couplées à la grande capacité calorifique de l’eau (voir ci-dessus) font que ces courants transportent beaucoup de chaleur. C’est ainsi que le Gulf Stream, arrivant sur les côtes ouest de l’Irlande ou l’Ecosse, donne un climat plus doux que l’on ne pourrait prévoir de la latitude seule et où le gel est presque inconnu. Des magnifiques jardins, tels que Inverewe, fleurissent sur ces côtes. En contrepartie, les vents d’Ouest, étant passés au-dessus le Gulf Stream chaud, sont saturés en eau, donnant une pluviométrie abondante (1600 mm annuels à Inverewe) appréciée des plantes, un peu moins des touristes. Le Gulf Stream poursuit son cours jusqu’en Norvège où le port de Narvik, bien qu’à l’intérieur du cercle polaire, reste libre de glace en hiver, contrairement aux ports dans la Baltique.

Les courants froids tels que celui de Humboldt ont évidemment un effet de refroidissement car ils peuvent absorber la chaleur. Leur température basse fait que peu d’eau s’évapore de l’océan et les vents ayant passé au-dessus d’un courant froid ont une faible humidité. En conséquence le centre et le nord du Chile reçoivent peu de précipitations et sont arides.

Les courants de fond sont plus difficiles à étudier, mais tout aussi importants, comme les mécanismes d’échange entre surface et fond. Considérons le trajet de l’eau du Gulf Stream : partant des Antilles, l’eau perd de la chaleur par transfert vers les eaux environnantes et vers les vents ; elle est aussi refroidie par l’énergie absorbée par l’évaporation et ce refroidissement produit une montée de la densité. Si l’eau s’évapore, le liquide restant devient plus concentré en sel et il en va de même si, dans l’Arctique, l’eau commence à geler car la glace est composée de l’eau pure et le liquide restant sera plus salée. Donc la salinité de l’eau augmente avec le trajet vers le Nord. Or, une augmentation de la salinité produit également une augmentation de la densité. A la fin du voyage vers le Nord, l’eau sera plus dense, et tend à plonger vers le fond, donnant un transfert de la surface vers le fond. Cette plongée s’appelle en anglais le downwelling. Cette eau froide qui descend ne reste pas sur place mais coule dans le fond vers le sud. C’est l’Atlantic Meridional Overturning Circulation (AMOC). La Figure 10 montre les courants chauds à la surface (en rouge) et froid dans le fond (en bleu). On voit que le courant de fond entre dans l’océan Indien et Pacifique pour remonter à la surface. Les moteurs de cette circulation sont la température et la salinité et pour cette raison elle est souvent décrite comme la circulation thermohaline.

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Figure 10. Les courants de surface (en rouge) et de fond (en bleu). Source Robert Simmon, NASA. NASA Earth Observatory, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3794372

D’autres effets peuvent produire le transfert de la surface au fond. Si nous regardons la circulation de l’eau dans un gyre, la force de Coriolis tend à pousser l’eau vers le centre du gyre donnant une surpression hydrostatique au centre du gyre, qui est compensée par une plongée d’eau vers le fond. Le second effet fait aussi intervenir la force de Coriolis et est associé avec un vent qui souffle parallèle à la ligne côtière. La figure 11 montre un vent qui souffle parallèle à la côte. Dans l’hémisphère Nord, la force de Coriolis pousse l’eau de surface vers la côte. Cette montée d’eau sur la côte générait une pression hydrostatique qui est éliminé par la plongée d’eau vers le fond.

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Figure 11. Mécanisme de plongée d’eau près d’une côte. Source Chad D. Gibson Oregon State University College of Earth, Ocean, and Atmospheric Sciences (CEOAS), Creative commons via Wikipedia.

Qu’en est-il de la remontée des eaux de fond ? Le mécanisme principal est en quelque sorte l’inverse de la plongée d’eau côtière. Le vent se dirige toujours parallèle à la ligne de côte, mais cette fois vers l’équateur. Les eaux de surface sont alors déplacées vers le large et ceci laisse un creux sur la côte qui toutefois est éliminé par la remontée des eaux de fond (upwelling en anglais). La Figure 12 montre la répartition des zones de remontée d’eau près des côtes. On observe également une remontée sur l’équateur. Les eaux des gyres étant dirigées vers le centre des gyres par l’effet de Coriolis, il se crée une lacune sur la ligne de l’équateur qui est comblée par une remontée des eaux.

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Figure 12. Zones de remontée des eaux (upwelling), indiquées en rouge. Source NOAA, http://oceanservice.noaa.gov/education/kits/currents/media/upwelling_image1.jpg

Enfin il faut considérer l’influence des marées : celles-ci sont produites par l’attraction gravitationnelle de la lune et le soleil et produisent un déplacement de l’eau. Elles sont une source de turbulence, particulièrement lorsque le mouvement de l’eau est affecté par la collision avec la croûte, soit la côte d’un continent, soit le relief au fond de l’océan. C’est ainsi que les eaux de fond que les marées amènent contre le dorsal au milieu de l’Atlantique sont déplacées vers le haut, donnant un autre mécanisme pour mélanger les eaux de surface et de fond. Vous aurez compris qu’une description complète de tous les mouvements d’eau est un défi formidable.

La vie dans l’océan.

Nous n’avons pas encore abordé la vie des océans même si ses effets, tels que la présence d’oxygène dans l’atmosphère et certains dépôts de roches sédimentaires, sont évidents. La biologie des océans frappe d’abord par sa diversité : les formes de vie vont des plus petits organismes jusqu’aux plus grands, à savoir les baleines ; la diversité des environnements qui vont des eaux tropicales aux eaux arctiques, où le niveau d’oxygène varie énormément et la pression va d’une atmosphère à plusieurs centaines d’atmosphères. Probablement l’environnement le plus extrême est celui trouvé autour des monts hydrothermaux (ou fumeurs) typiquement trouvés dans les eaux profondes où le magma chaud monte vers surface de la croute (par exemple à la jonction de deux plaques tectoniques) et rencontre l’eau à une pression trop élevée pour permettre l’ébullition de l’eau. La chimie des minéraux est complètement changée dans ces conditions de haute pression et haute température. A la surprise générale, des organismes ont su s’adapter à ces conditions et prospérer autour de ces monts.

Les plus petits organismes marins sont les phytoplanctons qui peuvent faire la photosynthèse, absorbant le CO2 et libérant l’oxygène. Ils sont parfois classés comme producteurs primaires. Ils comprennent les diatomées, contenant une armature de silice et une taille jusqu’à 1000 µm, les dinoflagellés entre 15 et 40 µm, les coccolithophores avec une armature de carbonate de calcium de diamètre 5 à 100 µm et enfin le plus petit picoplancton entre 0.2 et 2 µm. La répartition des différents phytoplanctons dans les océans dépend de l’environnement : les diatomées préfèrent les hautes latitudes, alors que les coccolithophores préfèrent les eaux plus chaudes.

Quels sont les besoins d’un phytoplancton ? La capacité de faire la photosynthèse exige une source de CO2, assez abondant dans l’océan, et la lumière qui, comme nous l’avons vu, ne peut pénétrer très profondément dans l’eau. La photosynthèse est donc une activité qui se déroule près de la surface. Elle permet à l’organisme de synthétiser les composés organiques de la vie, mais ceci n’est pas suffisant en soi. Il faut du phosphate et de l’azote pour la synthèse des acides aminés et des acides nucléiques, ainsi que divers ions métalliques tels que le magnésium, le potassium, le calcium, le fer et quelques autres. Nous mettons tous ces composants dans un groupe que nous appellerons les nutriments.

Considérons d’abord une région d’océan tropical : le soleil est toujours présent, et si les nutriments sont présents, la photosynthèse commence et le phytoplancton fleurit, jusqu’à ce que les nutriments soient épuisés. Pour maintenir une activité il faut donc un apport de nutriments. Ceci peut se faire par la mort et décomposition d’organismes qui libère les nutriments, mais ceci est un processus lent et les organismes morts ont tendance à sédimenter vers le fond (Figure 13) où la libération des nutriments se poursuit mais où la photosynthèse n’est plus possible, faute de lumière. Heureusement, il y a d’autres moyens d’apporter les nutriments : près des estuaires, les eaux des fleuves peuvent amener des nutriments, et, dans les plateformes continentales, le fond est suffisamment proche pour que les vagues peuvent amener des nutriments à la surface. Au large, ceci n’est pas possible et les nutriments ont tendance à accumuler dans les eaux de fond. Toutefois, nous avons vu que les remontées d’eau et les marées amènent les eaux de fond à la surface et cela permet la photosynthèse de continuer de manière assez constante sur l’année dans les régions de remontée.

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Figure 13. Sédimentation du phytoplancton mort : the Seven Sisters, Sussex, Royaume Uni. Les falaises de carbonate de calcium trouvées des deux côtés de la Manche sont les restes de coccolithophores, soulevés depuis le fond de la mer. Source : Wikimédia Commons

Dans les eaux polaires, l’eau de surface est froide et le gradient de température est presque nul. Les eaux se mélangent et les nutriments arrivent à la surface, mais il n’y a que peu de soleil sauf pendant l’été, donc on voit un pic de croissance de phytoplancton pendant l’été. Les eaux tempérées sont plus compliquées : la photosynthèse est limitée par l’absence de soleil en hiver, mais à cette période, les orages et la diminution du gradient de température favorisent le mélange des eaux et l’apport des nutriments. Quand le soleil reprend des forces au printemps, il y a assez de nutriments pour que la photosynthèse démarre, mais au milieu de l’été le gradient de température est au maximum et les eaux ne se mélangent plus. Avec l’automne, ce gradient diminue, et les nutriments peuvent arriver. La photosynthèse reprend, mais, par la suite, ralentit à cause du faiblissement du soleil. Il y a donc deux pics d’activité, au printemps et à l’automne.

Les phytoplanctons sont le début de nombreuses chaines alimentaires (ou réseaux trophiques) qui passent par les zooplanctons, suivis d’autres organismes marins. Ces organismes ne font pas de photosynthèse et ne sont donc pas contraints de vivre dans une zone illuminée par le soleil. Ils se nourrissent d’autres organismes ou de produits de décomposition d’organismes morts. Il y a une capacité d’adaptation phénoménale qui permet à chaque espèce de vivre dans son propre environnement tels que des régions sombres ou celles où la concentration d’oxygène est très faible. Il ne semble pas y avoir de région de l’océan sans vie, même si la densité d’espèces vivantes peut être très faible.

Une dernière source des nutriments est peut-être moins attendue – le vent. Des nuages de poussière peuvent être transportés sur des milliers de kilomètres comme l’illustre la Figure 14. Cette poussière peut contenir des phosphates et silicates qui sont utiles pour la vie mais surtout elle renferme du fer. Sur terre, le fer est omniprésent dans les sols, mais il est quasi-insoluble dans l’eau et les niveaux de fer dans l’eau de mer ne sont pas suffisants pour la vie. Le fer relâché lors de la décomposition des organismes morts ne peut donc pas être recyclé et le fer devient alors un facteur de croissance. Le phytoplancton possède des molécules (des sidérophores) capables de dissoudre les oxydes de fer sur les particules de poussière pour satisfaire leurs besoins en fer. L’importance du fer a été démontrée en traitant une partie de l’océan avec des sels de fer qui produit immédiatement une forte croissance d’algues qui disparaissent au fur et à mesure que le fer descend vers le fond de l’océan.

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Figure 14. Image satellite d’un nuage de poussière du Sahara entraîné au-dessus de l’Atlantique. La couleur rouge de l’oxyde de fer est évidente. Source NASA.

Les zones d’océan favorables aux phytoplanctons représentent une source de nourriture pour les organismes plus hauts dans la chaine alimentaire, et donc les régions où la remontée des nutriments est observée (Figure 12) sont souvent très favorables pour la pêche. N’oublions pas que la photosynthèse dépend souvent des saisons, et que les animaux marins peuvent se déplacer pour trouver leur alimentation.

Un phénomène global : El Niño.

Nous avons vu que l’océan sur la côte du Pérou connaît une remontée d’eau de fond qui amène des nutriments ce qui, avec la forte insolation à l’équateur, favorise la prolifération du phytoplancton qui logiquement favorise la pêche. Toutefois les pêcheurs de la région ont observé depuis des siècles que, sporadiquement et autour de Noël, les eaux se chauffent et la quantité des nutriments diminue avec des conséquences néfastes pour la pêche. Ils appellent ce phénomène El Niño et il est accompagné par de fortes pluies dans une région normalement plutôt aride. Chaque épisode dure typiquement 9 à 12 mois. D’autres années on observe le phénomène de La Niña, où les alizés soufflant vers l’Ouest sont plus forts que d’habitude, l’eau est plus froide. Si ces effets se limitaient à la côte Péruvienne il y a fort à parier que le phénomène n’aurait attiré qu’un intérêt poli, mais les deux phénomènes sont associés avec d’autres changements. Les deux phénomènes sont accompagnés de changements météorologies en Amérique du Nord, Asie, Afrique, et Australie. En Australie, par exemple, El Niño est associé avec une sécheresse sur la côte est et un fort risque de feu de forêt (la situation au moment où cet article est écrit). La Niña en revanche apporte d’abondantes pluies sur la côte est avec un risque d’inondations.

Au début du vingtième siècle, le mathématicien anglais Gilbert Walker cherchait à comprendre les facteurs déterminant les moussons dans l’océan Indien et a élaboré un modèle pour expliquer les courants atmosphériques. Il avait remarqué que la pression atmosphérique à Darwin (Nord de l’Australie, pacifique ouest) et celle à Tahiti (pacifique central est) étaient différentes mais que la différence était parfois positive, parfois négative (Figure 15). Il a appelé ce phénomène the Southern Oscillation (oscillation australe). Pendant la deuxième moitié du siècle passé, l’océanographe Jacob Bjerknes a établi que l’oscillation australe et El Niño étaient deux manifestations du même phénomène qui est dorénavant appelé El Niño – Southern Oscillation ou ENSO.

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Figure 15. Différence de pression atmosphérique entre Tahiti et Darwin (Australie) entre 1876 et 1995. Les années El Niño (en bleu) correspondent à une haute pression sur Darwin. Source : Creative Commons from Wikipedia.

La Figure 16 montre l’interaction entre l’océan et l’atmosphère dans une année normale. Les alizés soufflent de manière régulière vers l’ouest, chassant l’eau vers l’ouest du Pacifique de sorte que le niveau de l’océan dans le Pacifique ouest est quelque 60 cm plus haut qu’à l’est. Ce courant de surface est réchauffé par le soleil et subit de l’évaporation. A l’ouest du Pacifique, l’air chaud et humide se lève dans l’atmosphère donnant une basse pression et des pluies importantes. L’air soulevé, et donc refroidi, circule vers l’est où il descend comme un courant sec et froid. Ceci est la circulation de Walker. Le passage de l’eau de surface vers l’ouest est compensé par le passage de l’eau de fond vers l’est et la remontés de l’eau froide sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, ce que nous avons vu comme très favorable pour la pêche.

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Figure 16. Circulation de l’eau et de l’air dans le Pacifique en passant d’ouest en est près de l’équateur. Source : Wikipedia.

En accord avec ce modèle, les températures de l’eau de surface à l’est sont typiquement 8 à 10° plus bas qu’à l’ouest. Un évènement El Niño implique un affaiblissement voire un retournement des alizés, tel que l’eau n’est plus chassée vers l’est. La zone des pluies tropicales se déplace vers l’est donnant plus de pluies à l’est et moins à l’ouest. La Niña est un changement dans l’autre sens : les alizés se renforcent, amenant plus d’eau vers l’ouest et augmentant la pluviométrie dans cette région alors que les régions côtières du Pérou et du Chile souffrent de la sécheresse. Les effets de l’ENSO se font sentir sur toute la planète car le déplacement des masses d’air influence également les courants-jet (jet streams) entre la cellule de Hadley et celle de Ferrel (Figure 7). Si le mécanisme de l’ENSO est généralement accepté, c’est toujours un défi de prévoir le début et la durée d’un évènement. On peut se renseigner de la situation actuelle sur le site web de l’Organisation Météorologie Mondiale (OMM).

Gilbert Walker a également découvert une oscillation dans l’Atlantique Nord : dans sa phase positive, la pression au-dessus des Açores est plus grande que celle au-dessus de l’Islande, amenant les vents de l’ouest humide et doux vers la Grande Bretagne. La phase négative voit la différence de pression invertie avec des vents froids de l’est qui soufflent dans la mer du Nord.

Il existe aussi une oscillation dans l’océan Indien, le dipôle de l’océan Indien, le DOI, qui n’a été découverte qu’en 1999. Dans sa phase positive, les températures au niveau de la mer sont au-dessus de la moyenne dans l’ouest de l’océan avec de fortes pluies à l’ouest alors que l’Indonésie et l’Australie subissent des sécheresses. La phase négative voit la sécheresse à l’ouest et de fortes pluies en Indonésie et Australie. Il y a en moyenne 4 évènements positifs-négatifs sur une période de 30 ans. Il semblerait que le dipôle de l’océan Indien soit plus important pour le climat de l’Australie que l’ENSO qui n’est pas corrélé avec le DOI. Toutefois, une coïncidence d’un DOI négatif avec la Niña en 2011 a produit de graves inondations à l’est de l’Australie.

Conclusions

Nous sommes conscients d’avoir omis beaucoup de sujets et d’avoir traités d’autres de manière très sommaire. Beaucoup reste à dire sur les phénomènes locaux, les vagues, les turbulences dans les eaux de fond et les effets du relief sous-marin. Toutefois, nous avons vu que l’eau est distribuée sur la surface de notre planète en fonction de la structure géologique sous-jacente. Cette distribution est dynamique avec un grand nombre de courants marins qui sont également associés avec les courants atmosphériques. Les deux s’étendent sur tout la surface du globe et doivent être considérés ensemble pour comprendre le climat et le transport de chaleur et d’eau partout le monde. L’océanographie est par excellence une science globale. De nombreux facteurs doivent être pris en compte : insolation, densité, humidité, pression, formation ou fonte de glace, et par conséquent les prédictions précises sont difficiles, ce qui ne veut pas dire que les principes de physique ne sont plus applicables. Actuellement les mesures satellites sont toujours plus utilisées et les modèles informatiques permettent de prendre en compte la multitude de facteurs déjà mentionnés.

La biologie s’adapte aux conditions qu’elle trouve dans les océans, ce qu’elle a su faire pendant des millénaires. Nous devons toutefois constater que la croissance de la population humaine et son industrialisation sont en train de modifier ces conditions à une vitesse beaucoup plus grande que celle vue dans le passé et, selon toute évidence, dans un sens qui ne nous est pas favorable. Nous pouvons identifier trois points critiques :

  • Le réchauffement. Il y a enfin un accord général que le réchauffement observé du climat comporte des dangers. Son origine est principalement la hausse du niveau du CO2 dans l’air qui se poursuit régulièrement depuis des décennies. Ce CO2 supplémentaire absorbe le rayonnement infra-rouge émis par la surface de la terre et cette énergie ne peut plus être perdue vers l’espace.
    Les effets du réchauffement sur l’agriculture seront négatifs voire catastrophiques pour plusieurs régions. Les océans ont quelque peu amorti la hausse du niveau du CO2 mais, comme nous l’avons vu, au prix d’une montée d’acidité que semble déjà nuire à certains organismes dont certains phytoplanctons. La fonte des glaces relâche de l’eau fraiche dans les régions polaires : d’une part ceci menace la circulation thermohaline, ce qui aurait certainement des effets dramatiques sur le climat, et d’autre part, la couche de glace reflète la lumière incidente alors que l’eau liquide va absorber cette lumière occasionnant un réchauffement supplémentaire. Si l’océan est plus chaud, les vents vont évaporer davantage d’eau et quand ces vents arrivent sur terre et sont soulevés et refroidis ils donneront plus de précipitations avec risque d’inondation.
  • La surexploitation de la pêche. L’homme connaît depuis longtemps les problèmes de surexploitation de la Terre, mais en mer c’est compliqué par le caractère international du problème. La pêche industrielle, surtout à la drague, peut démolir un habitat de poisson. La technologie moderne permet d’extraire des quantités supérieures à la capacité de régénération d’une pêcherie.
  • La pollution. Les fleuves ont toujours amené des détritus de sédiments et déchets biologiques mais à cela s’ajoute maintenant des déchets industriels ou des engrais. L’emploi grandissant des plastiques qui en général ne se décomposent que très lentement dans l’eau fait que des quantités s’accumulent. Les images d’îles tropicales où les plages sont couvertes de bouteilles en plastique ou de bouts de corde en polymère en sont un exemple désolant.

Une question supplémentaire sera l’exploitation minière des fonds marins que certains voudraient entreprendre, la première fois que l’on toucherait à cette partie de l’océan et dont les conséquences pour l’environnement sont tout sauf évidentes.

Le débat sur le réchauffement dure depuis des décennies et il convient d’en faire le point. Au niveau scientifique, les travaux d’observation et de modélisation sont généralement acceptés et les prédictions d’il y a des décennies se sont vérifiées, voire se sont avérées un peu optimistes. Aucune explication alternative sérieuse des observations n’a été avancée. Les quelques irréductibles qui nient le réchauffement sont réduit à des arguments tordus ou plus souvent à un choix de données très sélectives.

Si l’existence de ces problèmes est reconnue, les quelques mesures prises sont limitées et insuffisantes. Les océans n’appartiennent à aucun pays et leurs problèmes, comme nous avons essayé de montrer, sont globaux et impliquent tous les pays y compris ceux sans littoral océanique. Il existe la convention de l’ONU sur le droit de la mer (UNCLOS) ainsi que l’Autorité internationale des fonds marins mais seule l’ONU pourrait offrir la juridiction supranationale adaptée aux océans. Or, la souveraineté nationale est devenue un leitmotif pour plusieurs gouvernements même si les phénomènes globaux ne connaissent pas de frontière !

Pour en savoir plus :

Un livre introductif d’océanographie est disponible (en anglais) gratuitement sur le web : Introduction to Oceanography, Paul Webb, Open Textbook Library, https://open.umn.edu/opentextbooks/textbooks/732

Il y a de bons articles à disposition sur le Web notamment chez Wikipedia (en français et anglais, même si la qualité des articles peut varier avec la langue). Plusieurs agences gouvernementales offrent des sites pleins d’information.

En français :
https://meteofrance.com/comprendre-la-meteo/oceans
https://climat.be/changements-climatiques/changements-observes/oceans
https://www.meteosuisse.admin.ch (plutôt pour la météo)

En anglais le site incontournable est celui de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) américain avec deux sites : https://www.noaa.gov/educational-resources
https://www.noaa.gov/jetstream avec en plus un choix d’images époustouflantes.

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