
La nuit tous les chats sont gris
Maxime Spano, astronome, AstroLeman
Octobre 2024
L’expression utilisée en titre peut sembler mystérieuse, mais elle fait écho à une expérience familière : se réveiller en pleine nuit, regarder autour de soi et constater que tout semble moins coloré, comme enveloppé d’un voile gris et pas uniquement les chats ! Pour les astronomes, les navigateurs et ceux qui travaillent de nuit, ce phénomène est une réalité bien connue. Ces experts de l’observation en conditions de faible luminosité savent que notre œil change de fonctionnement lorsque la lumière diminue.
Alors, impression ou réalité ? Pour comprendre il faut s’intéresser à nos yeux.
Comment fonctionne l’œil de jour ?
L’œil, est un magnifique instrument d’optique. Il est composé de différentes parties qui travaillent ensemble pour capter et traiter la lumière.
Voici celles qui nous intéressent pour notre cas :
Schéma simplifié d’un œil (Maxime Spano)
– La cornée : C’est la première couche de l’œil. Elle protège l’intérieur et aide à concentrer la lumière qui entre dans l’œil.
– Le cristallin : Comme une lentille, il fait la mise au point en modifiant sa forme pour que la lumière se concentre correctement sur la rétine, la partie sensible de l’œil. L’image des objets que nous voyons se forme en un point appelé la fovéa.
– L’iris : C’est la partie colorée de l’œil qui contrôle la taille de la pupille (le trou noir au centre). Quand il fait sombre, la pupille se dilate pour laisser entrer plus de lumière.
– La rétine : Elle est tapissée de deux types de cellules photosensibles qui transforment la lumière en signaux électriques que le cerveau interprète comme des images.
L’œil est composé de très nombreuses autres parties qui ont toutes un rôle important pour nous permettre de bien voir. Parfois, nos yeux ne sont pas parfaitement fonctionnels et nous avons besoin d’optiques supplémentaires pour corriger ses défauts, comme dans les cas de myopie par exemple.
Dans ces cas-là notre œil n’arrive pas à faire la mise au point au bon endroit. Normalement le cristallin, qui agit comme une lentille, va concentrer les rayons lumineux en un point où se trouve la fovéa. Dans le cas d’une personne myope, notre cristallin fait la mise au point trop à l’intérieur de l’œil et nous voyons flou. Des lentilles supplémentaires, nos lunettes de vue, vont permettre à la lumière d’arriver au bon endroit et de voir net.
Parfois ce n’est pas un problème de mise au point, mais un problème de couleur. Les personnes daltoniennes par exemple ne peuvent pas faire la différence entre la couleur rouge et la couleur verte. Comment est-ce possible ? Explications.
Les cellules photosensibles qui tapissent notre rétine sont de deux types : les cônes et les batônnets.
Les cônes existent en trois variétés : ceux sensibles à la lumière rouge, ceux sensibles à la lumière verte et enfin ceux sensibles à la lumière bleue. Ils ont besoin de beaucoup de lumière pour fonctionner et sont responsables de l’acuité visuelle.
Les batônnets, eux, ne voient pas les couleurs mais ils sont sensibles aux mouvements.
Répartition des cônes et des bâtonnets sur la rétine et au niveau de la fovéa (Maxime Spano)
Chez les personnes daltoniennes, l’un des types de cônes est défectueux ou manque complètement. Le type le plus fréquent est le daltonisme rouge-vert, où les cônes responsables de percevoir le rouge ou le vert ne fonctionnent pas correctement. Cela fait que ces deux couleurs apparaissent très proches l’une de l’autre, voire indiscernables.
Comment fonctionne l’œil de nuit ?
L’œil a été le seul instrument d’observation nocturne pour les astronomes pendant des siècles, et même si de nombreuses découvertes ont été faites, son fonctionnement de nuit reste très mauvais.
Lorsque la luminosité baisse, notre œil va fonctionner différemment à cause du manque de lumière.
Les cônes ne peuvent plus fonctionner efficacement s’il y a peu de lumière. Après quelques minutes dans l’obscurité ce sont les bâtonnets qui sont responsables de notre vision.
La première conséquence est que nous ne pouvons plus voir les couleurs : la nuit tout devient gris !
Evolution du seuil de lumière détectable en fonction du temps passé dans l’obscurité. Au début les cônes sont actifs jusqu’à une limite où les bâtonnets prennent le relais.
La seconde conséquence est liée à la position des bâtonnets que l’on ne trouve pas sur la fovéa. A l’endroit où l’œil fait la mise au point de nos images, il n’y a pas de cellule active la nuit. Nous voyons donc moins bien. En moyenne, notre acuité visuelle est deux fois moins bonne la nuit que le jour.
Les astronomes voient donc avec leur instrument des images bien différentes des photos qu’ils peuvent faire avec des appareils photo ou des caméras astronomiques. En regardant un objet faiblement lumineux à travers un télescope nous verrons souvent une tache grise.
Heureusement, les bâtonnets comportent un composé, la rhodopsine, dont le but est de booster leurs capacités et donc notre vision nocturne. Il faut environ une quinzaine de minutes pour que nos bâtonnets aient fait le plein de rhodopsine et soient au top de leur fonctionnement.
En revanche, la rhodopsine est détruite immédiatement si elle est exposée à la lumière. Dans ce cas-là, il faut donc de nouveau patienter quinze minutes pour y voir le mieux possible dans l’obscurité.
Est-ce que l’on peut améliorer notre vision la nuit ?
Notre corps fait donc de son mieux pour nous aider à voir la nuit, mais nous pouvons l’aider et optimiser nos capacités de vision nocturne.
- Utiliser au mieux nos batônnets.
Etant donné que les cellules actives la nuit ne sont pas au centre de notre champ de vue, une technique, très utilisée en astronomie notamment, consiste à regarder juste à côté de ce que l’on veut voir ! Ainsi nous allons activer nos bâtonnets et les objets que l’on cherche à voir apparaitrons plus facilement. C’est un peu inhabituel au début mais avec un peu de pratique cela devient naturel.
Vous pouvez faire le test en hiver avec l’amas des Pléiades par exemple. En vision directe, vous pourrez repérer quelques étoiles en y prêtant attention, alors qu’en vision indirecte l’amas ressortira beaucoup plus facilement.
L’amas des Pleiades photographié avec un télescope (Maxime Spano)
- Ne pas s’éblouir
Toute exposition a une lumière forte détruit notre vision nocturne pour un quart d’heure. Il faut donc privilégier des lumières douces et de préférence de couleur rouge. Ce type de lumière, très utilisée par les astronomes, est celle où nos yeux seront les moins sensibles et donc les moins gênés.
Une lumière rouge est très utile pour lire une carte du ciel.
- Manger des carottes et des myrtilles !
Ces deux aliments sont riches en beta carotène et vitamine A qui sont très utiles pour fabriquer de la rhodopsine et aident donc nos yeux à être plus performant en vision nocturne. Plus généralement, un apport suffisant de vitamine A bénéficiera à la bonne santé des yeux.
L’en-cas préféré des astronomes
La navigation de nuit
Les marins, en particulier ceux des époques où la navigation se faisait sans instruments modernes, dépendaient énormément de leur vision nocturne pour s’orienter. La nuit, ils devaient lire les étoiles et détecter des signaux lumineux lointains, comme des phares ou d’autres navires. À l’instar des astronomes, les navigateurs utilisaient la vision indirecte, en ne regardant pas directement les objets dans le ciel ou à l’horizon. Cela leur permettait de mieux distinguer les détails dans l’obscurité grâce aux bâtonnets. Aujourd’hui encore, les marins qui naviguent de nuit réduisent au maximum les lumières vives à bord pour préserver leur vision nocturne et éviter de désactiver les bâtonnets. En cas d’urgence il est préférable de ne pas attendre quinze minutes avant de bien voir la nuit !
A noter que ceci est également valable pour les pilotes d’avions, qui eux naviguent dans les airs.
Et les animaux ?
Les animaux ont des yeux de tailles et de constitutions différentes de l’œil humain. Certains connus pour leur vision nocturne sont beaucoup plus performants que nous.
Les hiboux et les chats par exemple ont cinq à huit fois plus de bâtonnets que nous dans leurs yeux et des pupilles qui s’agrandissent beaucoup plus pour capter un maximum de lumière. Ils ont également une surface réfléchissant la lumière à l’intérieur de l’œil, le tapetum lucidum, ce qui leur permet de maximiser la quantité de lumière disponible et qui rend leurs yeux si brillant la nuit.
Cela leur permet de voir dans des conditions où nous sommes totalement aveugles. Et si nous les apercevons à la faveur d’une faible lueur, nous ne pourrons constater qu’une chose : la nuit tous les chats sont gris !
2 réflexions sur « La nuit tous les chats sont gris »
Très intéressant ! Je ne savais pas que les lumières de couleur rouge facilite la visibilité car nos yeux sont moins sensibles
Comment voir mieux en regardant autre chose que ce qu’on veut regarder… A essayer…