Tests ADN et la détermination de nos origines, quelques remarques

Tests ADN et la détermination de nos origines, quelques remarques

Estella Poloni

Dept. Génétique et Evolution, université de Genève

Juillet 2024

Un.e internaute a commenté l’article sur le peuplement de l’Islande, en indiquant que je n’avais pas mentionné le fait que l’expansion Viking jusqu’en Méditerranée avait peut-être favorisé la dispersion d’une composante «amérindienne» du génome humain, puisque les Vikings avaient probablement aussi navigué jusque sur les côtes américaines. Cette personne, originaire d’une région du sud de l’Italie, avait apparemment fait un test ADN généalogique, qui lui avait fourni un résultat sous la forme de pourcentages de similarité avec des «populations de référence». Je profite de la remarque de cet.te internaute pour discuter un tout petit peu de la signification et de l’interprétation des résultats communiqués par les compagnies qui réalisent ces tests ADN généalogiques, car ils sont devenus très populaires et les commentaires tels que celui rapporté ci-dessus reviennent très souvent.

Tout d’abord, si on réalise un test d’ADN généalogique, il est conseillé de ne pas prendre les résultats à la lettre, car il s’agit, tout au plus, d’une estimation grossière de la similarité de l’ADN de la personne qui effectue le test avec ceux de populations ou groupes de populations de «référence», décidés a priori par les entreprises qui fournissent ces tests (et qui changent d’une entreprise à l’autre). Dans le cas de cet.te internaute, l’entreprise lui indiquait 1% de similarité de son ADN avec ceux d’un groupe défini comme «amérindien». Une telle similarité peut avoir de nombreuses explications, mais toutes resteront des hypothèses. Il est possible que cette similarité provienne de la transmission d’ADN par des navigateurs Vikings ayant participé à l’expansion en Méditerranée, et qui auraient eux-mêmes hérité d’un peu d’ADN provenant des incursions de certains de leurs ancêtres sur le contient américain (j’en parle dans l’article). Mais c’est aussi possible que cette similarité provienne de rencontres et liens de proche en proche (on parle d’échanges génétiques) entre habitants de l’Islande et habitants du Groenland, et entre habitants du Groenland et habitants des territoires du Nord américain (Terre Neuve, entre autres). Ces deux hypothèses supposent que la similarité «amérindienne» de l’ADN de l’internaute provienne d’un héritage «Viking». Mais il est aussi possible que, dans la généalogie plus récente de cette personne, un ou plusieurs ancêtres «Italiens» aient fait le voyage jusqu’en Amérique (ou en Scandinavie) et en aient ramené quelques souvenirs … d’ADN ! Ou encore, plus simplement, il se pourrait que l’internaute et les groupes considérés comme «amérindiens» par la compagnie qui lui a vendu le test aient hérité d’une petite portion commune d’ADN d’ancêtres encore plus lointains dans le passé.

Tout ceci pour dire que les informations qu’apportent les tests ADN généalogiques sont tout sauf simples à interpréter. Ceci pour deux raisons.

La première est que l’histoire des humains est faite de migrations et d’échanges génétiques, depuis fort longtemps dans la préhistoire, et ceci à partir d’une origine commune de tous les humains quelque part en Afrique. Il n’existe donc pas de populations génétiques homogènes, complètement séparées et différenciées les unes des autres. Ainsi, si un individu du Groenland se soumet aujourd’hui à un tel test d’ADN, on lui trouvera très probablement un pourcentage non-négligeable de similarité avec des groupes scandinaves, avec des groupes amérindiens, avec des groupes nord-européens, avec des groupes sud-européens et peut-être même avec des groupes de différentes régions africaines (tout comme l’internaute, en somme, mais avec des proportions variables).

La seconde raison est que les groupes de référence auxquels l’ADN de l’internaute a été comparé sont arbitraires, et définis par les compagnies qui vendent ces tests, en fonction des données qu’elles ont pu accumuler. L’internaute qui nous a écrit cite la constitution du groupe «amérindien» utilisé par la compagnie qui illustre parfaitement cet arbitraire. En effet, celui-ci est constitué : (1) d’individus d’origine Pima, une population amérindienne de l’actuel Arizona (sud-ouest des Etats-Unis), (2) d’individus d’origine Sonora, une autre population amérindienne qui habitait une région s’étendant depuis l’Arizona jusqu’au nord-ouest du Mexique, (3) d’individus classés comme « towards Groeanland » (littéralement, «vers le Groenland»), que je ne saurais pas définir (mais on peut imaginer que la base de référence de l’entreprise qui vend le test comprend des individus originaires de régions plus ou moins arctiques), dont (4) des «Esquimaux», plus correctement appelés Inuits (le nom «Esquimau» n’est plus utilisé aujourd’hui car il est péjoratif, et n’est pas utilisé par la population elle-même). Les Inuits (et Yupiks) habitent un immense territoire qui s’étend de l’Alaska jusqu’en Sibérie, en passant par le nord du Canada et le Groenland… Or, l’histoire des migrations de populations qui se sont établies en Amérique centrale et celle des populations qui ont colonisé l’Arctique sont très différentes. C’est dire si ce groupe «amérindien» correspond à tout sauf à une population !

Enfin, les pourcentages qui sont fournis sont des estimations, c’est-à-dire qu’ils doivent être associés à des intervalles de confiance. Le 1% a très probablement un intervalle de confiance qui va de 0% à 2 ou 3%. En d’autres termes, si c’est 0%, c’est rien du tout … mais là ça devient un peu technique, et je ne veux pas embrouiller cette discussion plus que ça.

L’internaute mentionnait que le résultat de son test indiquait aussi un pourcentage relativement élevé (14%) de similarité avec un groupe défini comme «Islande/Norvège/Finlande/» (ou «Islande/Norvège/Finlande/Angleterre/France», je n’ai pas bien compris). C’est probablement de ce résultat que venait l’idée de l’internaute de lier cet «héritage génétique amérindien» à l’expansion viking en Méditerranée. Cependant, il semblerait que, d’une manière générale, les résultats de ces tests effectués par des individus d’origine européenne comprennent souvent « une proportion exagérée de [similarité] scandinave » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_ADN_g%C3%A9n%C3%A9alogique). Cette observation n’est pas surprenante, sachant que les groupes de «référence» des compagnies qui proposent ces tests sont constitués par les ADNs de leurs clients, et ceux-ci sont majoritairement d’origine nord- et ouest-européenne.

Afin d’en savoir plus sur ce que l’on peut attendre lorsqu’on se soumet à un test ADN généalogique, je conseille vivement la lecture de l’excellent livre d’un collègue, Kostas Kampourakis, intitulé «Ancestry Reimagined : Dismantling the Myth of Genetic Ethnicities», malheureusement pas encore traduit en français. En attendant, je crois que ce que l’on peut retenir de ces tests est qu’ils nous montrent à quel point nous, humain.e.s, sommes tou.te.s apparenté.e.s les un.es aux autres, et nous permettent surtout de rêver.

7 réflexions sur « Tests ADN et la détermination de nos origines, quelques remarques »

  1. Excellent article et très éclairant sur la distance à prendre par rapport à ce courant de recherche d’origine, qui est au demeurant fort sympathique.
    Merci!

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