Vous avez dit « Les Celtes » ?

Vous avez dit « Les Celtes » ?

 

Marie Besse

Professeure d’archéologie préhistorique à l’Université de Genève

Mars 2021

Il est des mots et des noms qui nous semblent familiers mais que nous avons, pourtant, de la difficulté à définir. Le mot « Celtes » est de ceux-là. Et pour compte ! Les archéologues et scientifiques ne partagent pas tous la même vision et définition. C’est vous dire la difficulté d’en résumer les grandes lignes ici ! De plus, ce mot d’origine grecque (Keltoi) est utilisé pour définir deux entités culturelles distinctes. D’une part les anciens peuples qui ont occupé l’Europe – de l’Océan aux Carpates et des grandes plaines du nord à la Méditerranée, qui ont migré jusqu’en Asie Mineure. D’autre part, des populations contemporaines de langue celtique (l’irlandais, le breton, le gaélique, le gallois) qui vivaient sur la façade atlantique, en Bretagne, le pays de Galles, et une partie de l’Ecosse et de l’Irlande. Ces dernières ne sont pas concernées par cet article.

Parler des anciens Celtes n’est pas chose aisée non plus. En effet, certains chercheurs estiment que l’appellation de « Celtes » ne représente pas une unité sociale et économique cohérente, mais qu’elle relève d’une construction théorique élaborée dès le 18e siècle. D’autres, en revanche, considèrent que l’on peut regrouper sous ce nom les populations qui vivaient en Europe nord-alpine pendant le 1er millénaire avant notre ère, à savoir d’environ 800 av. J.-C. jusqu’à leur soumission aux Romains en différentes étapes où leur culture est absorbée dans celle promue par les conquérants. C’est le choix que je fais également pour cet article, car finalement, nous parlons aussi de Grecs ou de Romains, alors qu’il s’agit aussi d’une multitude de petites cités-états avec de grandes différences entre elles mais partageant de nombreux traits communs qu’on peut qualifier de civilisationnels (langue, religion, artisanat, modes d’habitats, pratiques funéraires, etc.). Ainsi, ce que j’entendrai ici par « Les Celtes », ce sont les populations qui vivent en Europe de l’Irlande aux Pyrénées, et de l’Atlantique au moyen bassin des Carpates pendant le premier millénaire avant notre ère. Je relèverai la présence encore ponctuelle, dans certaines régions uniquement, de l’écriture par les protagonistes et l’existence de textes à leur sujet, notamment le très célèbre livre de Jules César « La guerre des Gaules ». Ces peuples celtiques, qui vivaient donc dans cette vaste région avant l’arrivée des troupes de César, et que les Romains appellent « Gaulois » (Galli, l’équivalent latin du Keltoi grec), portaient des noms clairement identifiés, comme « les Allobroges », , « Les Helvètes », « les Arécomiques », les « Boïens », les « Eduens »… Lorsque l’on définit des frontières pour délimiter un espace géographique à l’intérieur duquel vit une population donnée, il faut garder à l’esprit que ces frontières ne sont pas imperméables et fixes. Elles se meuvent et plusieurs éléments alors identifiés comme celtes – objets, rites, savoir-faire – ont été mis au jour dans des régions éloignées de leur territoire d’installation. Les migrations celtiques – souvent associées à des opérations guerrières sanglantes – se dirigeront dès le début du 4e siècle avant notre ère vers l’Italie, dans la plaine du Pô et au bord de l’Adriatique, et un siècle plus tard vers l’est, sur le Danube, les Balkans et jusqu’en Turquie actuelle, en passant par la Grèce.

Figure 1 : Carte de répartition des ensembles culturels présents en Europe pendant la 2e moitié du premier millénaire avant notre ère. Carte tirée de l’ouvrage d’Anne Lehoërff (2016, p. 440). En orange : la culture laténienne, que l’on nomme aussi Les Celtes.

Les Celtes, c’est le début de l’histoire en Europe. Les sources alors disponibles sont tant écrites qu’archéologiques. Dans les deux cas, elles sont fortement lacunaires, ce que tout archéologue et historien doit prendre en considération dans ses interprétations.

Ainsi, c’est entre histoire, linguistique et archéologie qu’il faut naviguer pour définir les Celtes.

Les textes anciens ne sont pas dénués d’intérêt. Le mot « Keltoi », devenu « Celtes », a été utilisé par l’historien et géographe Hécatée de Milet puis par l’Historien grec Hérodote pour définir la grande famille des peuples qualifiés au 5e siècle avant notre ère. Je souligne que les récits du Moyen-Age irlandais sur les Celtes doivent être utilisés en prenant en compte le décalage temporel entre ces écrits et les peuples qu’ils évoquent : un millénaire les séparent. Des informations auxquelles il est alors possible de recourir en prenant en compte cette distance dans le temps. Les linguistes vont développer la « celtophonie », à savoir l’étude des dialectes indo-européens dont on sait in fine encore peu de chose. L’archéologie, quant à elle, établit des ensembles cohérents et phases chronologiques qui reposent sur l’étude des faits matériels et leurs associations à des dates absolues. C’est ainsi que les Celtes sont associés généralement, pour les archéologues, au Premier et au Second âge du fer, à la période dite de Hallstatt d’abord, puis de La Tène, ou culture laténienne, dont le nom est issu d’un site localisé au bord du lac de Neuchâtel en Suisse.

Les Celtes ne représentent donc pas une unité culturelle stricte sur l’ensemble du territoire. Des différences régionales sont bien présentes. Néanmoins, on peut présenter leurs principales composantes communes ou partagées par une partie d’entre eux.

Sociétés et économie

Les Celtes sont des populations dont les fonctionnements techniques, économiques, sociaux et idéologiques peuvent être identifiés par une réalité archéologique que l’on peut reconnaître dans leur territoire d’installation. L’organisation sociale est hiérarchisée, le pouvoir est centralisé, la présence de l’Etat est attestée. Nous sommes en présence d’entités politiques très puissantes. La pensée symbolique s’exprime tant dans les sépultures et les sanctuaires que dans l’expression artistique très riche. De même, les sépultures offrent un éventail de rites et d’architecture variés, avec la présence tant de la crémation que de l’inhumation. L’usage du fer se généralise pour la fabrication des armes ou d’objets divers, le verre fait son apparition, et sera utilisé notamment pour les objets de parure, comme les perles et les bracelets. Les poteries seront dorénavant montées avec un tour (Fig. 2). Le commerce se développe avec le sud méditerranéen, avec Rome en particulier. L’usage de la monnaie, qui est adoptée à la toute fin du IVe siècle, tend à se généraliser dans le courant du 2e siècle av. J.-C.

Comme depuis les débuts du Néolithique, l’économie des Celtes est basée sur l’agriculture et l’élevage, qui se développent dans des fermes, connues au moins dès le VIIe siècle av. J.-C. par l’archéologie. Les céréales cultivées sont le blé, l’orge et le millet, qui sont complétées par des légumineuses, telles que les pois et les lentilles. La consommation d’orties, de radis, d’oignon et de chou est également attestée, et le vin, qui arrive par Marseille à la fin du Premier âge du Fer, puis d’Italie à partir des années 200 av. J.-C., accompagne les repas.

Le bovin est de loin l’animal domestique le plus représenté, qui offre de la viande, du cuir, du lait avec lequel on fabrique le fromage, et qui est attelé pour le travail dans les champs. D’autres animaux domestiques sont également présents, comme le mouton, le porc et le chien. De plus, le cheval tient une place particulière dans le cheptel des Celtes. Il est en effet le reflet d’un statut social et sert à la guerre. Très vraisemblablement, le cheval est si important dans ces peuples cavaliers qu’il est sujet à des cultes.

Figure 2 : Poteries mises au jour sur le site du Petit-Chasseur IV à Sion (Valais, Suisse), fouilles archéologiques menées en 1992 sous la direction de Marie Besse. A gauche, une poterie montée au tour ; à droite, une poterie montée aux colombins. Au centre, un anneau de pierre trouvé le long du bras gauche d’une femme inhumée dans ce site.

Habitats

L’étude des vestiges archéologiques mis au jour dans les habitats permet de comprendre la vie quotidienne, l’organisation et les fonctionnements de sociétés. On relève la présence d’habitats ruraux (Fig. 3), de fermes et d’habitats fortifiés, ces derniers étant établis le plus souvent sur des hauteurs, à des points stratégiques le long de voies commerciales. La petite agglomération rurale se voit parfois entourée par un enclos de bois. Le nombre de maisons est difficile à préciser tant il est variable d’un site à l’autre. Il faut relever que les habitats sont encore mal connus par rapport aux sépultures.

Fig. 3. Agglomération rurale en milieu alpin de Waldmatte à Brig-Glis (canton du Valais, Suisse) vers 650 av. J.-C., ; fouilles archéologiques menées de 1988 à 1999 sous la direction notamment d’ Alain Benckert, Philippe Curdy, Claire Epiney-Nicoud, Manuel Mottet et Olivier Paccolat. Dessin d’André Houot, tiré d’Alain Gallay 2006, fig. 310.

Tombes, nécropoles et sanctuaires

La fouille et l’étude des sépultures offrent la possibilité de comprendre les pratiques funéraires et les croyances, auxquelles on peut associer les sanctuaires. La crémation et l’inhumation sont présentes dans l’Europe celtique, elles coexistent et se succèdent selon les régions. Si les tombes plates à inhumation sont caractéristiques des IVe et IIIe siècles av. J.-C., des sépultures exceptionnelles existent et se caractérisent par la présence d’un char, à deux puis quatre roues au Premier âge du Fer. Présentes principalement dans la région du centre et de l’est de la France, ainsi que dans le sud de l’Allemagne et le Plateau suisse, certains exemplaires plus tardifs des IVe et IIIe ont été édifiés en dehors du territoire d’installation, lesquelles témoignent de migrations de personnes et/ou d’idées, jusqu’en Bulgarie. La tombe à char, rare et majestueuse, est généralement intégrée dans une nécropole. Souvent construite pour des femmes mais également pour des hommes, les archéologues parlent dès lors très volontiers de Princes et de Princesses de la Celtique. Le mobilier funéraire indique, vraisemblablement, le statut de la personne lors de son vivant. Dans plusieurs tombes, de nombreuses armes ont été trouvées dans la fosse avec le défunt généralement de sexe masculin, amenant alors à considérer l’individu inhumé comme un guerrier. C’est le cas de tombes laténiennes, et notamment celle de la nécropole du Petit-Chasseur à Sion (Valais, Suisse)(Fig. 4)

Figure 4 : Fouilles en cours d’une tombe de guerrier mise au jour dans le site du Petit-Chasseur IV à Sion (Valais, Suisse) ; fouilles archéologiques menées en 1992 sous la direction de Marie Besse. On distingue une poterie au dessus du crâne, une épée le long du corps, et plus difficile à voir, la présence d’un umbo au niveau du bassin (pièce métallique fixée sur le bouclier). Photos : Marie Besse

Art et parure 

On parle souvent de l’art celtique. Et pour cause ! L’usage du verre, de l’or, de l’argent et du bronze permet l’expression subtile d’une pensée symbolique. L’art des Celtes est perceptible en grande partie sur des petits objets utilitaires comme des armes, des bijoux (Fig. 5), des ustensiles domestiques ou religieux. Plusieurs motifs fondamentaux sont à relever, tels l’esse, le triscèle, l’oiseau aquatique, le cheval ou encore le disque rayonnant. Cependant, une caractéristique majeure de l’art celte est la prédominance de motifs d’entrelacs et une tendance à l’abstraction. Néanmoins, certains animaux sont représentés : félins, équidés, canidés. Plusieurs styles sont reconnus par les archéologues, définis tantôt par leurs formes ornementales géométriques, symboliques et abstraites, tantôt par un style végétal ou encore plastique. De plus, les Celtes mobilisent le procédé du moulage à la cire. Cette technique permet l’exécution de motifs globulaires en relief (ronde-bosse) et qui constitue le cœur du style plastique.

Fig. 5. Parure laténienne. En haut, bracelets en verre issus de sépultures féminines localisées dans le canton de Vaud, Suisse. Au centre, bague en or orné de motifs en esse et de pastilles au repoussé trouvée à Etoy, canton de Vaud, Suisse. En bas, fibule en bronze mise au jour dans la tombe 57 du site de En Pétoleyres à Saint-Sulpice, canton de Vaud, Suisse. Photographies tirées d’Alain Gallay 2006, fig. 277, 325, 332.

Aménagement du territoire

En marge de constructions imposantes comme les villes fortifiées – les oppida – à partir de la fin du IIe siècle avant notre ère, les Celtes ont construit plusieurs œuvres architecturales d’aménagement du territoire. Il s’agit de ponts, comme celui du site de La Tène dans le canton de Neuchâtel, Suisse, qui menait probablement à un sanctuaire où étaient exposées des armes et trophées guerriers. D’autres types de constructions sont à souligner, et notamment des ports, dédiés à l’amarrage d’embarcations fluviales. Le port de Genève, Suisse, a été construit vers 80 av. J.-C., avec l’aménagement de pontons en bois et de renforcement des berges, avec des empierrements et des palissades (Fig. 6). Les barques sont connues, elles ont un fond plat et un mât. Une longue rame sert de gouvernail.

Fig. 6. Aménagements portuaires de Genève (Suisse) vers 80 av. J.-C. Dessin d’André Houot, tiré d’Alain Gallay 2006, fig. 297.

Un lieu consacré exceptionnel : le Mormont, canton de Vaud, Suisse

En 2006, le site archéologique du Mormont a été mis au jour lors des travaux d’une carrière d’exploitation de ciment. Il s’agit d’un site unique, qui offre des indices d’un espace sacré celtique, avec des rites inconnus jusqu’à ce jour en Suisse et en Europe. Près de 300 structures archéologiques ont été découvertes, comme des fosses, des trous de poteaux et des foyers, parmi lesquelles les archéologues ont identifiés 260 puits à offrandes. Ces puits, d’une largeur de deux mètres pour une profondeur pouvant atteindre cinq mètres, ont été construits pour y déposer les restes de grands banquets : des carcasses d’animaux, des récipients en bronze et en céramique, mais aussi des meules, quelques rares armes et des restes humains (Fig. 7). Ces derniers attestent de violences importantes, dont certaines ont causé la mort, qui laissent à penser que ces personnes, peut-être des prisonniers de guerre ou des esclaves, ont été intégrées dans les rituels d’offrandes et de dépôt avec les objets.

Fig. 7. Photographie des objets et vestiges archéologiques issus du sanctuaire du Mormont (canton de Vaud, Suisse) ; fouilles archéologiques menées entre 2006 et 2011 sous la direction notamment de Caroline Brunetti. Image tirée de Brunetti et al. 2009.

Oppida et la fin du monde laténien

A la fin du 2e et au début du 1e siècle av. J.-C., on observe la présence d’oppida celtiques, ces véritables villes fortifiées d’Europe celtique (Fig. 8), qui succèdent à de grands villages d’artisans dont on voit la trace dès la fin du IIIe siècle. Il s’agit de sites de hauteur, édifiés par des groupes humains qu’ils protègent. Citons les oppida de Manching en Bavière, Allemagne, du Mont Vully dans le canton de Vaud, Suisse, de Trisov en Bohême en République tchèque ou encore de Bibracte au Mont Beuvray dans le centre de la France. Ces agglomérations fortifiées, ces habitats groupés, ont permis de mettre en évidence l’urbanisation des Celtes d’Europe intérieure. C’est justement la présence des oppida, que l’on pourrait regrouper dès lors sous le terme « culture des Oppida », qui a fragilisé l’image apparente d’unité et de continuité laténienne.

Fig. 8. Intérieur d’une ville celtique – un oppidum – vers 100 av. J.-C. Dessin d’André Houot, tiré d’Alain Gallay 2006, fig. 315.

Pour en savoir davantage

Brun P., 1991. Princes et princesses de la Celtique. Le premier âge du Fer en Europe (850-450 av. J.-C.). Paris : Editions Errance.

Brunetti C., Buschenschutz O., Dietrich E., Kaenel G., Meniel P., Moinat P., Nitu C., Pignat G, Serneels V., 2009. Le Mormont, un sanctuaire des Helvètes en terre vaudoise vers 100 avant J.-C., éd. Archéodunum, Lausanne, plaquette de 16 pages.

Cunliffe B., 2006. Les Celtes. Paris : Editions Errance.

Danielisova A., Pajdla P., Bursak D., Strnad L., Trubac J., Kmosek J., 2021. Claiming the land or protecting the goods ? The Duchcov hoard in Bohemia as a proxy for « Cletic migrations » in Europe in the 4th century BCE. Journal of Archaeological Science, 127, 105314.

Gallay A., ed., 2006. Des Alpes au Léman, images de la préhistoire. Gollion : Editions InFolio.

Guilaine J., Garcia D., ed., 2018. La protohistoire de la France. Paris : Editions Hermann.

Kaenel G., 2012. L’an -58, les Helvètes. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes (Collection : Le savoir suisse, 82).

Kruta V., 2000. Les Celtes, histoire et dictionnaire, des origines à la romanisation et au christianisme. Paris : Robert Laffont.

Lehoërff A., 2016. Préhistoire d’Europe. De Néandertal à Vercingétorix, 40’000 – 52 avant notre ère. Editions Belin.

Moscati S, Hermann Frey O., Kruta V., ed. 1991. Les Celtes. Ouvrage en lien avec l’exposition « Les Celtes », Palazzo Grassi, Venise (Italie). Milan : Editions Bompiani.

Szabo M., 1992. Les Celtes de l’est, le Second âge du Fer dans la cuvette des Karpattes. Paris : Editions Errance.

Remerciements : Je remercie vivement Martine Piguet et Lionel Pernet pour la relecture de ce texte et leurs précieuses remarques.

Marie Besse, le 31 mars 2021.

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