Traverser l’équateur à la voile

Traverser l’équateur à la voile

Pierre Eckert, Météorologue émérite. Février 2023

Après les dépressions d’Islande et celles du Golfe de Gascogne, les régions situées plus au sud sont soumises à un régime de hautes pressions, notamment l’anticyclone des Açores dans l’Atlantique nord. En continuant en direction de l’équateur, on va tomber sur la zone qui reçoit un maximum d’énergie solaire puisque le rayonnement la touche perpendiculairement.

En fait, à cause de l’inclinaison de l’axe de la Terre de 23° sur le plan de l’écliptique, la région qui reçoit le maximum de rayonnement se déplace vers le nord lors de l’été de l’hémisphère septentrional et vers le sud lors de l’hiver. Ce rayonnement est fortement absorbé au niveau du sol et y produit des températures élevées et souvent de fortes humidités. De l’air chaud et humide au niveau du sol induit inévitablement le départ de mouvements de convection humide. Ce type de convection s’entretient par la transformation de vapeur d’eau en gouttelette d’eau (condensation), phénomène qui relâche d’importantes quantités de chaleur latente. Cette chaleur renforce encore le mouvement vertical ; il s’agit d’une rétroaction positive qui produit le développement rapide de nuages d’orages ou cumulonimbus.

Comme l’atmosphère se refroidit avec l’altitude, les vents ascendants de la cellule orageuse peuvent atteindre plus de 100 km/h, et les avions n’ont aucun intérêt à y placer les ailes. Vers 12’000 mètres d’altitude, la température de l’air cesse de décroitre : il s’agit la limite entre la troposphère et la stratosphère appelée la tropopause. Le mouvement vertical de l’air s’arrête et le cumulonimbus s’étale sous la forme d’une enclume.

Chaparral_Supercell_2, source Wikipedia

Sur la ceinture équatoriale un nombre important de ces cellules orageuses se développe et on reconnait facilement cette zone sur une image satellite (voir plus bas). Une fois que l’ascendance est stoppée au niveau de la tropopause, l’air est chassé vers le nord et le sud. Du fait de la force de Coriolis, ce mouvement en direction des pôles est arrêté et redescend vers des latitudes de l’ordre de 35° nord et sud en formant les hautes pressions subtropicales. Les flux de cette cellule se referment avec des vents soufflant en direction de l’équateur. Ces vents sont déviés par la force de Coriolis, vers la droite dans l’hémisphère nord en produisant des vents de nord-est. Dans l’hémisphère sud, la situation est inversée selon une symétrie sur l’équateur et produit donc des vents de sud-est. Ce qui est décrit ici est la partie tropicale de la circulation générale atmosphérique décrite dans un article précédent :  https://sy-gaia.ch/les-grandes-lignes-de-la-meteo-que-rencontrera-gaia/

Ces vents soufflant des hautes pressions subtropicales vers l’équateur s’appellent les alizés. Il s’agit de vents plutôt réguliers appelés trade winds en anglais ou vents du commerce. Leur caractère constant les a fait être abondamment utilisés pour la conquête de nouvelles terres, bien avant l’utilisation de bateaux motorisés aux énergies fossiles.

Pour le trajet de Gaia, nous avions déjà abondamment utilisés ces vents pour la traversée des Canaries au le Cap-Vert. Et nous allons continuer à les exploiter pour la traversée vers le Brésil à partir du 10 janvier 2023. La cartes des vents à ce moment-là est reproduite ci-dessous.

Vents-équateur, source ECMWF

On voit bien l’alizé du nord-est au nord de l’équateur et le celui du sud-est au sud. On voit aussi que l’alizé est plutôt fort à proximité du Cap-Vert, en fait avec des pointes jusqu’à 35 nœuds. L’alizé ne respecte pas toujours sa réputation gentillette !

Ce qu’on voit aussi, c’est qu’entre l’alizé du nord et celui du sud, règne une zone de vents nettement plus faibles. Cette zone où convergent ces vents s’appelle, comme il se doit, la zone de convergence intertropicale (ZCIT, ou ITCZ en anglais). Il s’agit du fameux Pot au noir, qui alimente les craintes des navigateurs depuis la nuit des temps. Les vents peuvent y demeurer nuls à faibles pendant des jours voire des semaines, ce qui évidemment pouvait mettre à mal les réserves de nourriture sur les caravelles qui naviguaient à l’époque. Mais le vent peut également devenir subitement tempétueux car il s’agit également de la zone orageuse décrite au début de cet article. Ce qui referme la boucle.

Eumetsat_Vis_2023-01-22T1400, source Eumetsat

 

Sur cette image satellite dans le canal visible, la zone de convergence entre l’Afrique et l’Amérique du sud est bien visible. A ce moment elle est étroite. On ne reconnait pas de système nuageux plus gros, qui pourrait laisser soupçonner des vents violents au-dessous. Au nord de cette ligne, on voit bien les nuages plus petit que sont les cumulus que l’on rencontre régulièrement dans les alizés.

Au départ du Cap-Vert, nous avons cherché à évaluer les possibilités de traverser cette zone difficile. Mais en fin de compte, la situation était assez favorable, puisque la zone de vents faible était étroite à ce moment-là. Elle aurait même pu être franchie à la voile, avec une vitesse assez lente, mais quelques heures de moteur ont permis de passer ce cap plus rapidement. D’autre part, l’activité orageuse n’était pas très forte (cf. l’image satellite ci-dessus), même si quelques belles averses ont permis des douches naturelles d’eau douce. L’activité orageuse au aussi pu être suivie à l’aide des divers modèles numériques disponibles, notamment celui de ECMWF, avec les cartes d’impacts d’éclairs (lightning flash density) (https://charts.ecmwf.int/products/medium-lightning). Les images Eumetsat disponibles toutes les 15 minutes, ont également permis de suivre les cellules en temps réel (https://view.eumetsat.int).

La traversée de la ZCIT reste un défi pour la navigation à la voile, à la fois à cause de l’important risque de grains, mais aussi à cause des zones de calme. Les bateaux d’aujourd’hui sont toutefois bien plus performants qu’aux temps des conquistadors ou des trafiquants d’esclaves. Les voiliers engagés sur le Vendée Globe traversent le Pot au Noir par exemple sans encombre majeur. Aussi du fait que les prévisions de vent que l’on peut obtenir à bord, s’améliorent de jour en jour.

2 réflexions sur « Traverser l’équateur à la voile »

  1. Merci pour ce bel article, très pédagogique. J’espère d’ailleurs avoir l’occasion d’en faire usage en classe.

    Autre remarque: je reçois les messages à double. J’ignore pourquoi. Est-il possible de rectifier ce point?

    Bonne traversée!

  2. Il ne nous reste plus qu’à remercier ce grand scientifique météorologique Pierre Eckert qui aide nos navigateurs Barbara et Thierry à relever les défis et à partager ce voyage historique en voilier de l’Europe à l’Amérique latine. Une route de navigation des découvreurs de l’Amérique et du Brésil. Mille mercis !

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