L’Atlantique

L’Atlantique

La marina de Mindelo sur l’île de Sao Vicente est un lieu de passage pour les voiliers en route vers les Amériques. Les équipages préparent les bateaux ; des chariots de victuailles et, plus important encore, d’eau -et de bière- circulent du quai aux bateaux. Nous ne faisons pas exception et remplissons nos coffres avec de la nourriture pour cinq personnes, Jean-Claude, Friedrich, Yann, Barbara et moi, pour une dizaine de jours plus les réserves. Les supermarchés de Mindelo sont relativement modestes, tout y est importé. Le marché est, par contre, superbe, nous aurons des fruits et des légumes frais jusqu’à l’arrivée dans les eaux Brésiliennes.  Barbara et moi avons fait encore une marche vertigineuse vers un phare à l’extrémité sud de l’île et vu nos amis qui arrivent pour s’installer pour trois mois à Sao Nicolau. Les bateaux dansent sur la houle qui pénètre le port, les pontons flottants grincent en se tortillant sur la mer. Nos amis préfèrent nous voir sur la terre ferme.

Street art à Mindelo
Marina de Mindelo
Fruits et légumes dans des filets sous la casquette

Les contacts entre équipages sont faciles, les histoires variées. Il y a ceux qui attendent une voile réparée, ceux qui se séparent après s’être entre-mordus pendant une soirée arrosée. Il y a ceux qui ont des enfants, ceux qui naviguent seuls. Ceux qui connaissent quelqu’un que l’on connaît, comme cet ingénieur d’Arianespace proche d’une personne avec laquelle j’ai travaillé sur INTEGRAL. Tous se retrouvent au bar flottant et devisent d’histoires de mer et parfois de terre. L’alizé est fort cette année, les équipages se préparent à une navigation musclée. Nous recevons un soir trois équipages en route vers le Brésil, comme nous. La discussion porte sur la meilleure route pour affronter le pot au noir et les courants portant à l’ouest au sud de l’équateur. Le pot au noir est une zone de calmes et de grains entre les alizés du nord-est qui soufflent au nord de l’équateur et ceux du sud-est qui soufflent dans l’hémisphère sud. Sans moteur, cette zone est difficile à traverser, les vents pouvant venir de partout ou de nulle part, les pluies -parfois diluviennes- les grains et orages y sont fréquents et parfois puissants. Le pot au noir est plus ou moins étendu en fonction de la période de l’année et de la longitude, parfois il vaut mieux le traverser du côté de l’Afrique, parfois plus près du Brésil. L’expertise de Pierre Eckert nous aidera à choisir la meilleure stratégie.

Thierry
Barbara

Nous sommes partis le 9 janvier, après avoir fait les formalités de sortie du Cap Vert, pour l’île voisine de Santa Antao où nous voulions mouiller une nuit et donner l’occasion à Jean-Claude et Friedrich de s’amariner avant de quitter la terre pour l’Atlantique. Il fut difficile de trouver un bon emplacement pour passer la nuit, car les fonds augmentent très rapidement, il n’y a pas de plateau continental autour de cette île volcanique, et la houle brisait proche du mouillage. Pour compliquer le jeu, la chaîne d’ancre set tournée sur elle-même jusqu’à bloquer le guindeau (le mécanisme qui permet de mouiller et remonter l’ancre). Il a fallu démonter quelques pièces, sortir la chaîne au marteau, puis la sortir en entier sur le pont pour la redresser. Bref, la nuit fut bonne et le 10 au matin, nous avons levé l’ancre dans un beau soleil pour une première journée de voile magnifique. Les quarts se sont organisés, Barbara et Friedrich, Yann et Jean-Claude, et moi. Les quarts sont de trois heures, permettant à chacun 6h de repos entre deux quarts de veille, de réglage de voiles, d’entretien, cuisine etc..  Le vent a forci jusqu’à force 7, les alizés sont puissants, la mer est forte. Quelques estomacs crient grâce, une grâce que la mer n’octroie pas. Ce n’est que le 13, après quatre jours de mer forte, que le vent diminue jusqu’à force 3 à 4 avant de disparaître quand nous approchons de l’équateur. Nous avons traversé au nord de l’équateur des champs de sargasses, plus au sud. Barbara a photographié des dauphins venus nous tenir compagnie.

Première journée de traversée
Sargasses au nord de l’équateur

Un des équipages avec lesquels nous devisions de la meilleure route à suivre, à bord de Kokoi, nous a contacté par satellite, ils ont des ennuis de moteurs qu’ils mettront plusieurs heures à résoudre avant de pouvoir l’utiliser pour traverser le pot au noir. Pour nous le pot au Noir se résume à de longs calmes et des averses diluviennes accompagnées de peu de vent. Nous passons l’équateur le 17 janvier -jour de l’anniversaire de nos deux fils-, champagne -en fait vin mousseux- pour Neptune et l’équipage. L’alizé du sud-est arrivé peu après, plus sud qu’attendu, ce qui nous fait l’avoir bien sur l’avant du bateau. Nous passons proches d’un rocher, Saint Pierre et Paul, qui surgit au milieu de l’océan, sans le voir. C’est un tout petit territoire, sans port ni abri, occupé de manière permanente par des militaires et des scientifiques brésiliens. Cette occupation permanente élargit considérablement la zone d’exploitation brésilienne exclusive des richesses de la mer. Nous ralentissons sur la fin du parcours pour arriver de jour à Fernando de Norhona, un petit archipel à quelques 300 milles des côtes brésiliennes. Nous mouillons à côté de Songster, un bateau luxembourgeois dont l’équipage est fait d’un couple néerlandais et brésilien avec un enfant d’une année. Nous les avions rencontrés à Tenerife déjà et sommes sur la même route depuis. Rhum pour tout l’équipage malgré l’heure matinale.

Le pot au noir

Latitude 0

Le mouillage était occupé par de nombreux bateaux locaux, pour la plupart des embarcations qui emmènent des touristes en balade. Des cordes flottaient sur l’eau, j’étais soulagé d’avoir ralenti, au prix de quelques heures ballotés car peu appuyés par la voile pour arriver de jour. Des bandes de dauphins nageaient autour des bateaux, nous les verrons tous les matins, ils sont là par centaines.

Après quelques heures de repos, nous avons gonflé notre annexe et l’avons mise à l’eau pour aller à terre où nous devions rendre visite aux diverses autorités pour entrer au Brésil. Il nous avait été indiqué que Fernando de Norhona n’est pas un port d’entrée officiel, mais qu’un court séjour était toléré. Nous avons donc été agréablement surpris d’apprendre que nous pourrions faire toutes les formalités d’entrée sur place, douane, immigration, marine et autorités portuaires. Cela nous a pris l’après-midi avec des officiels charmants et beaucoup de formulaires à remplir contenant tous la même information. Camila, notre voisine de mouillage, a bien aidé en traduisant, car bien peu de nos interlocuteurs parlent anglais et mon portugais est inexistant. Nous devions déchanter quelques jours plus tard, quand toutes les formalités durent être refaites à Recife.

Le mouillage est sous un pic rocheux. L’île est verte, un parc national pour sa plus grande partie. Nous avons marché le long de la côte nord, nous nous sommes baignés dans de l’eau d’une belle transparence (à 28 degrés, confortable) en évitant les baies infestées de requins, nous avons loué une guimbarde pour faire un tour dans le parc national et nous avons fait des allers-retours avec des jerricans pour mettre de l’eau, non potable, dans nos réservoirs. La houle venant du nord, le côté ouvert du mouillage, les bateaux, nous compris, roulaient allègrement sur leur ancre.

L’équipage reposé, l’île visitée, nous étions prêts pour la dernière partie de la traversée, 300 milles, deux jours, jusqu’à Recife. Le vent était léger, force 3, nous avons déroulé notre gennaker -une immense voile d’avant- en longeant la côte de l’île. Une superbe navigation. Un peu plus tard, les vents sont devenus plus soutenus, mais toujours confortables et nous avons très bien avancé pour arriver en fin de matinée après deux nuits en mer devant Recife. On contourne une grande digue construite sur un récif de corail à l’extérieur du port avant d’entrer dans le port proprement dit, une longue langue de mer abritée par une autre digue. Il n’y avait qu’un cargo et deux petits transporteurs qui faisaient la navette vers Fernando do Norhona dans le port. Pas d’activité de pêche, pas d’activité nautique. De toute évidence la Recife moderne n’est pas tournée vers l’océan.

Compagnon d’un quart de nuit

La marina qui nous était recommandée est tout au fonds de la langue de mer, dans une zone non cartographiée. Il nous était recommandé de n’entrer qu’à marée haute et en suivant avec prudence un chenal aux limites peu claires. Nous avons donc posé notre ancre à la limite de la zone douteuse pour attendre la marée haute et avons pris contact avec la marina pour nous faire indiquer le chenal. Rendez-vous fut pris pour 17h, peu avant la marée, mais peu avant la nuit aussi, pour qu’un dinghy de la marina nous guide. Le trajet s’est passé sans encombre, la manœuvre dans un vent fort et à la tombée de la nuit dans un espace terriblement restreint s’est bien passée. Gaia était amarré sur le continent sud-américain. Champagne pour tout l’équipage pour marquer la fin d’une traversée longue en tout de quelques 1650 milles -2500-km- qui s’était fort bien passée.

Recife vue de la mer

La marina fait partie du Yate Clube, une institution sociale plutôt que marine, avec piscine, salle de gym et restaurant. Nous y avons été fort bien reçus, de même que deux autres bateaux de voyage, dont Songster, nos voisins de mouillage à Fernando do Norhona avec leur bébé. La marina est éloignée de la ville dans un quartier qui n’a rien à offrir et dans lequel il est recommandé d’éviter de marcher et de ne se déplacer qu’en taxis. Ce que j’ai fait, heureusement avec Camila, Jurrriaan et le bébé, pour aller dans les bureaux officiels que j’aurais eu beaucoup de peine à trouver seul. L’entrée est en haut d’un escalier entre une route passante encadrée de hangars désaffectés et d’énormes grilles fermées et gardées par des hommes en gilet pare-balles et armés. Ils nous ont fait attendre à l’extérieure jusqu’à ce que l’on vienne nous chercher pour nous rendre dans le bureau de la police fédérale où j’ai pu constater qu’un bébé est plus efficace que les passeports pour établir le contact. Puis nous avons été à la douane, remplir encore d’autres papiers, avant de reprendre un taxi. Il nous fut dit plus tard que nous aurions encore dû nous rendre à la Capiteineira du port où la marine aurait rempli d’autres papiers encore. Heureusement, le papier correspondant est arrivé tout seul dans le bureau de la marina.

Ce premier contact avec Recife avait été difficile, les officiels nous déconseillant vivement de marcher le long de la route devant leurs bureaux. La violence est, nous dit-on, très présente. La marina est gardée non seulement côté ville, mais aussi côté mer. On y est en sécurité, au prix de se sentir quelque peu enfermés. La vieille ville, quelques rues assez délabrées autour d’une place, Marco Zero, est accessible en taxi. Nous en avons pris un pour faire le tour de ce quartier et boire un café sur la terrasse de Bom Jesus.

Le représentant de Amel au Brésil nous avait donné le contact de Guga, un navigateur brésilien chevronné. Il est passé par la marina, nous avons échangé, il nous a donné le nom d’un ami pour nous faire visiter Olinda, une des premières villes du Brésil, voisine de Recife. Une ville qui doit beaucoup à Mauritius, le même que celui du Mauritshuis, le magnifique musée de La Haye. Il a passé quelques années à Olinda. Son passage a marqué et ses traces sont toujours visible, par exemple au musée Brennand ou dans l’architecture de la vieille ville. Olinda domine Recife et son port, les maisons sont colorées et les rues résonnent les samedis d’avant carnaval de musiques diverses.

Friedrich et Yann nous ont quittés à Recife, l’un pour retrouver famille et travail, l’autre pour poursuivre ses voyages. Nous avons fait le plein d’eau et  Barbara est partie avec Jean-Claude faire des courses pour être prêts à poursuivre notre route, 400 milles jusqu’à Salvador de Bahia. Nous sommes partis un peu trop tôt, la marée n’était pas pleine et le chenal pas aussi profond qu’annoncé, nous avons donc marqué la vase d’un sillon avant de nous faire pousser dans une zone plus profonde du chenal par les canots de la marina. Puis nous avons fait route de manière à atteindre  l’extérieure du plateau continental, là où on ne rencontre plus de pêcheurs, avant la nuit. Les bateaux de pêcheurs sont en effet difficiles à voir, n’ont pas l’éclairage réglementaire et font peu de veille. Autant donc les éviter complètement. Les vents furent favorables et notre course rapide. Cela m’importait, car je souhaitais arriver de jour à Salvador. Cela a presque fonctionné. L’approche s’est faite de jour, nous n’avons vu qu’un pêcheur, nous avons pu reconnaître la côte, constater que le phare présente une curieuse alternance d’éclats rouges et blancs, voir les bouées cardinales qui marquent un haut fond un peu au large pour arriver la nuit juste tombée devant la marina. Un contact radio, par l’intermédiaire d’un agent du port qui parlait anglais, avec la marina nous a fait savoir qu’il n’y avait pas de place pour nous, mais que nous pouvions nous ancrer devant la marina, ce que nous avons fait. Nous avons donc mouillé devant la marina, ce qui est aussi devant les fenêtres de Georg, un Zuricho-Brésilien qui habite ici depuis des années. La nuit fut douce, le mouillage tranquille et, le matin suivant, la marina nous donné une place. Nous sommes donc amarrés en sécurité, dans tous les sens du terme, prêts à découvrir Salvador.

13 réflexions sur « L’Atlantique »

  1. Toujours aussi passionnant, c’est aventure après aventure, tout ne se fait pas tout le temps facilement, manifestement. Profitez à fond de tous ces autres moments plus paisibles, des contacts et des découvertes merveilleuses que vous faites.
    Et merci à Mr Pilet pour son témoignage, qui répond exactement aux questions que des non-navigateurs peuvent se poser !
    Amicalement
    Saskia et Daniel

  2. Un plaisir de suivre votre navigation, et d’avoir de vos nouvelles !
    Avec toutes nos amitiés, et tout de bon pour la suite.
    Antoine et Maud

  3. Très beau texte, merci ! L’accès au Brésil ne semble en effet pas aisé.
    C’est drôle comme nous avons eu de similaires perceptions de la vibrante Mindelo.
    À bientôt
    Cannelle

  4. Magnifique ce récit, on a l’impression de vous voir en film.
    Beau périple et amitiés
    Marlyse

    (à Nax la neige est superbe et il y a peu de monde sur les pistes.)

  5. merci les navigateurs pour ces récits passionnant, j’ai comme l’impression de vivre un peu votre traversée tout en étant comfortablement assise sur mon canapé!!! merci merci merci, j’attends avec impatience la prochaine étape!

  6. Merci à vous deux pour ce beau récit que j’ai lu avec beaucoup de plaisir! Ancré sur le sofa, vu sur le lac Léman et rêves de partage de votre aventure! bonne continuation!

  7. Cher Thierry et chère Barbara, Quelle émotion contagieuse de ma part lorsque vous arrivez de cette traversée historique vers mon pays le Brésil. Merci d’avoir partagé cette expérience et ces émotions qui sont comme si je voyageais avec vous. bonne continuations. Amitiés Protógenes

  8. un superbe voyage!!!! comme toujours nous avons eu bcp de plaisir à vous lire et vous suivre confortablement assis au chaud devant la cheminée…La couleur orange va très bien à Barbara!!!
    Un gros bisous en attendant la suite de vos exploits!

  9. Après avoir lu les récits j’ai encore davantage du respect de tout l’équipe de faire ce genre d’aventure.
    Il est aussi évident qu’il faut être soudé et vivre l’esprit d’équipe à tout moment sur une place restreinte.
    Merci bien pour les beaux images et de partager vos expériences.

  10. Ce jour à Rio de Janeiro, vous accueillez ma fille sur votre magnifique voilier. Quelle chance elle a de pouvoir partager quelques jours de votre aventure. Me réjouis pour vous ⛵.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *