Traverser l’Atlantique ? D’accord, mais par où passer ?

Traverser l’Atlantique ? D’accord, mais par où passer ?

Thierry J.-L. Courvoisier, Prof. honoraire, Université de Genève

Pierre Eckert, Météorologue émérite, Météosuisse

Un bateau à voile utilise le vent pour avancer. Naviguer dans une direction proche du sens du vent est aisé, au moins tant que le vent n’est pas trop fort. Aller contre le vent est beaucoup plus ardu. Il faut serrer les voiles, le bateau gîte -penche-, la vie à bord se déroule tout de biais, le vent semble plus fort à cause de la vitesse du bateau, les vagues paraissent plus agressives, les mouvements du bateau sont brutaux, bref le confort est considérablement réduit. Naviguer directement dans le sens opposé au vent est impossible, il faut louvoyer -avancer en zigzag- pour progresser contre le vent, ce qui rallonge considérablement la route. En général donc, le navigateur choisira autant que possible des routes et des conditions météo pour lesquels sa navigation se fera plus avec le vent que contre lui. Il existe même un proverbe anglais qui dit : « Gentlemen don’t sail against the wind ». En fait, les meilleures allures vont du travers (vent perpendiculaire à la route du bateau) au grand largue (vent venant au trois-quarts par l’arrière).

Fig  1: Louvoyer : Naviguer en zigzag pour progresser contre le vent

Ces considérations sont à prendre en compte dans la planification de chaque route, donc aussi pour une traversée de l’Atlantique.

Fig. 2 : L’Atlantique nord

Pour une toute première approche on peut regarder les vents moyens sur la planète que Pierre Eckert a décrits dans son article https://sy-gaia.ch/les-grandes-lignes-de-la-meteo-que-rencontrera-gaia/ et en déduire les vents moyens en Atlantique nord.

Fig 3: Situation typique des vents dans Atlantique nord. La force du vent est indiquée par des barbules, les longues correspondent à 10kt (env18km/h), les courtes à 5kt. Le vent souffle de la direction des barbules. Un symbole avec 3 longues barbules et une courte indique un vent de 35kt, environ 65km/h, ou force 8, un coup de vent déjà.

En regardant la figure 3 il est tout de suite apparent que pour traverser l’Atlantique de l’est vers l’ouest -de l’Europe aux Amériques- la route la plus facile, celle pour laquelle le vent vient de l’arrière, demande de descendre vers l’Afrique, puis de faire route vers les Caraïbes. Cette route emprunte les vents alizés, nommés trade winds en anglais, route du commerce.

Le retour se fera en passant plus au nord, dans une zone de vents de prédominance d’ouest. Ce circuit a été utilisé lourdement entre les XVe et XIXe siècles pour effectuer ce que l’on appelle le commerce triangulaire, dont l’une des étapes consistait à transporter des esclaves de l’Afrique vers le continent américain. https://fr.wikipedia.org/wiki/Commerce_triangulaire

Les alizés sont d’une grande régularité, ce qui leur donne leur excellente réputation pour la navigation et le commerce. Les vents d’ouest sont, eux, associés à des dépressions, des zones de basses pression atmosphérique. Ils sont beaucoup moins réguliers que les alizés, car sur l’Atlantique nord les dépressions se développement avant de se déplacer d’ouest en est. Elles sont entrecoupées de zones de haute pression mobiles. Les hautes pressions s’étendent parfois très au nord, principalement en été. Utiliser au mieux les dépressions demande d’en faire un peu mieux connaissance.

Nous sommes familiers des dépressions. Elles apportent chez nous du vent, de secteur ouest, et souvent de la pluie et du mauvais temps. Pour les exploiter sur l’Atlantique il faut savoir que le vent tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre autour du centre de la dépression. Les vents sont donc d’ouest dans le sud des dépressions et d’est dans leur nord ; ils sont de sud à son avant, côté est, et de nord dans son arrière. Quand les vents sont d’ouest chez nous, cela implique que le centre de la dépression est dans notre nord, ce qui est le plus souvent le cas.

Fig. 4 Une puissante dépression à mi-chemin entre Terre Neuve et l’Europe. Les zones rouges et violettes indiquent des vents tempétueux d’ouest au sud de la dépression (la tache blanche sans vent) et du nord-est au sud du Groenland.

Pour traverser l’Atlantique d’Amérique vers l’Europe, le navigateur va donc essayer de se situer dans le sud des dépressions, pas trop proche du centre pour éviter des vents tempétueux, pas trop loin non plus pour éviter de grandes zones de calmes. La route passera par exemple par les Bermudes et les Açores pour rejoindre l’Europe.

Cette analyse suggère encore une autre stratégie pour aller d’Europe vers l’Amérique. Les vents circulants en général d’est en ouest au nord des dépressions, le navigateur peut envisager de traverser l’Atlantique en restant au nord des dépressions. Il sera alors dans une zone de vents généralement du secteur est. C’est cette configuration que les Vikings avec leurs Drakkars ont utilisée pour aller découvrir l’Islande, le Groenland, puis très probablement Terre-Neuve, plusieurs siècles avant Christophe Colomb. Comme on le voit sur la figure 5, les Drakkars n’étaient pas taillés pour naviguer contre le vent et étaient donc obligés de profiter de vents portants.

Fig. 5 Le drakkar Gungnir sous voile.

Pour savoir où le navigateur rencontrera cette configuration, il faut situer les dépressions sur une carte et savoir qu’elles se déplacent en général d’ouest en est. On peut donc imaginer partir vers le nord à l’avant d’une dépression, là où le vent souffle du sud, puis tourner vers l’ouest dans son nord pour bénéficier de vents de secteur est. Il faut espérer que d’autres dépressions n’arriveront pas plus tard au nord de la route choisie, car on se situerait alors dans une zone de vents d’ouest, contraires. Les vents étant souvent forts et les conditions froides et humides dans les dépressions que l’on rencontre dans le nord de l’Europe et de l’Atlantique, un suivi météo soigneux est largement recommandé pour naviguer là-haut.

Ces grandes lignes correspondent à des situations génériques. Dans la pratique, les conditions rencontrées peuvent être fort différentes des estimations générales. Les bateaux dans les eaux de l’Atlantique nord, comme les habitants de nos contrées, sont confrontés à des conditions changeantes qui reflètent la variété des caractéristiques de chaque situation météo. Les chemins suivis par les dépressions et leurs évolutions au fil du temps peuvent varier considérablement d’une saison à l’autre, mais aussi d’un mois au suivant ou de semaine en semaine. Suivre ces évolutions et en déduire les champs de vents que l’on rencontrera, mais aussi le temps qu’il devrait faire, est un travail de météorologue professionnel. Le navigateur bénéficie maintenant d’outils informatiques disponibles à bord au travers de liaisons satellites pour le renseigner, mais la marge d’erreur de ces outils reste importante et la connaissance du météorologue indispensable pour apprécier les situations. Ce soutient professionnel est apporté à Gaia par l’un des soussignés.

C’est la route du Nord (fig. 6) et la stratégie d’un départ à l’avant d’une dépression que suivra Gaia dans sa traversée de l’Atlantique par les grandes îles du nord avec l’aide d’une analyse professionnelle des situations météorologiques rencontrées. Gaia fera une route plein nord pour atteindre les Iles Faroë depuis l’Ecosse, puis une route nord-est pour atteindre la côte nord de l’Islande. La route sera ensuite est et sud-est pour atteindre la pointe sud du Groenland, en espérant être toujours au nord des dépressions.

Fig. 6 : route de Gaia prévue en 2021

Les prévisions de vent données par les modèles numériques sont généralement bonnes pour un horizon de temps de 3 à 5 jours. Comme les étapes les plus longues que parcourra Gaia sont de l’ordre de 3 jours, il sera possible d’évaluer les conditions de vent sur l’ensemble du parcours. Ce qui se révélera en fait critique est de choisir la bonne date de départ en se permettant d’attendre quelques jours au port de départ. Il ne sera bien entendu pas toujours possible de choisir des conditions idéales dès le départ, si bien que des ajustements seront nécessaires en cours de route.

5 réflexions sur « Traverser l’Atlantique ? D’accord, mais par où passer ? »

  1. Super! Route très intéressant en espérant dans des conditions aussi magnifiques que vous les espérez! Pour nous, le passage de l’Islande a été très très très mouvementé!! 😂🤣 mais cela valait la peine!!!! À tout bientôt pour avoir plus de news devant un verre…biz

Répondre à Bopp Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *