TRANSATLANTIQUE : PREMIERE

TRANSATLANTIQUE : PREMIERE

Jean-Claude Pilet, un ami de longue date, a traversé avec nous de Mindelo à Salvador de Bahia. Il relate ici les impressions que cette navigation lui a laissée.

Prologue : que les navigateurs à voile au long cours passent leur chemin ! Ils n’appendront rien de nouveau si ce n’est de relire leur ressenti de ce qu’ils ont sûrement vécu.

Par contre pour ceux qui ont comme seul  souvenir aquatique une croisière sur un canot ou un bateau vapeur de la CGN, je les invite à poursuivre la lecture et goûter ce qu’un équipier de GAIA  a pu éprouver.

Comme pour tous les voyages, le plus difficile, c’est de partir.

Mais pour une « transat » il faut en plus prévoir le non-retour ou tout au moins l’éviter !

A 73 ans, les miles nautiques (1,82 km) se sont accumulés en eaux douces tout comme en eaux moins douces et la voile pour moi a moins de secrets que pour un amateur du dimanche, mais garde encore plein de découvertes à expérimenter pour devenir un hauturier.

Ma première « transat », c’est tout d’abord un confinement d’une quinzaine de jours entre les îles du Cap Vert et Récif au Brésil. Question confinement, nous l’avons expérimenté avec la pandémie, mais sur un bateau c’est une autre paire de manches.

Il y a tout d’abord vos coéquipiers de « cellule » avec qui vous allez tout partager sur un espace réduit et qui bouge en permanence. L’entente et primordiale car vous devez partager les tâches de veille 24h sur 24, la cuisine, les nettoyages et les modes de vie de chacun.

Pour moi c’était la septième croisière en mer avec Barbara et Thierry

Chacun doit mettre son ego dans sa poche et composer avec le reste de l’équipage dans le but d’arriver ensemble dans la joie et la bonne humeur de l’autre côté de l’océan.

Puis il y a le voilier GAIA, notre « cellule » flottante qui a pour but de nous transporter en sécurité en évitant les dangers qui peuvent se cacher aux »coins des bois »

Tout cela pour dire que même l’imprévu doit être prévu, car personne ne viendra vous secourir.

Et c’est ce qui donne à une transat ce petit goût d’aventure, ce zeste d’adrénaline, ce risque mesuré, mais risque quand même qui fait que le champagne est débouché à l’arrivée pour remercier l’océan de nous avoir épargné et surtout pour nos gorges desséchées par un soleil mordant.

L’énumération non exhaustive des risques est bien réelle et surtout corroborée par des rencontres dans les ports d’autres hauturiers qui ont souvent des « faits d’armes » pas toujours très gais.

Ici un florilège de radio-ponton :

-incendie dans le compartiment du bateau comprenant les bombonnes de gaz

-brûlures au 2ème degré avec l’eau bouillante  d’une casserole qui se renverse au passage d’une grosse vague

-panne électrique générale qui coupe tous les instruments de navigation et le pilote automatique

-mutinerie à bord

-démence d’un équipier suite à un mal de mer prolongé

De tout ceci nous avons été épargnés, donc trêve de malheurs pour passer aux simples désagréments.

Et un des désagréments, ce n’est pas le vent qui se maîtrise par la réduction de la voilure, mais ce sont les vagues. Ces vagues font bouger notre embarcation nuit est jour, jours après jours, ce qui est très agréable par petit temps, mais beaucoup moins lorsqu’elles atteignent 2 à 4 mètres d’amplitude !

Tout devient plus compliqué : votre corps doit compenser en permanence le tangage, vous devez vous tenir pour effectuer tout déplacement, savoir dormir sur une bannette penchée et  éviter le mal de mer qui peut vous surprendre à tout moment à l’intérieur de la cabine tant que vous n’êtes pas amarinés.

Et il ne m’a pas épargné. Une seule fois, pris d’un haut-le-cœur fulgurant, je n’ai pas eu le temps d’atteindre la cuvette des toilettes pour un retour à l’expéditeur du dernier repas et c’est dans le petit évier que tout s’est passé. Cette urgence a eu pour effet de boucher ce dernier. A mon grand désarroi et dans l’impossibilité de le faire moi-même, ce fut le coéquipier Yann qui a du s’affairer à démonter le siphon du lavabo…

Puis il y les quarts (de 3 ou 4 heures) soit la tenue de la barre, le réglage des voiles et la surveillance permanente de la marche du bateau et des alentours.

Les quarts diurnes sont aisés et plaisants à contrario de quarts nocturnes où vous vous retrouvez seul dans une nuit profonde avec le bruit des vagues et du vent et le roulis du bateau. Cela donne l’impression d’être au volant d’une voiture à vive allure tous phares éteints dans les pâturages de montagne.

Fort heureusement les instruments de bord nous rassurent quant à notre cap, à la force et à la direction du vent et surtout à la  présence éventuelle d’une autre embarcation dans les alentours pour autant que celle-ci soit équipée du même système électronique de sécurité. Mais pour des raisons occultes, certains bateaux n’ont ni feux de bord, ni système AIS !

Autre chapitre et non des moindres, la subsistance.

Malgré notre environnement aquatique, l’eau douce est une denrée rare lors d’une longue traversée.

Elle doit être parcimonieusement divisée pour la cuisine, la vaisselle, les latrines et l’hygiène personnelle. Ce qui veut dire que les soins corporels se résument à un coin de serviette mouillé et savonné à l’image du chat qui passe sa patte derrière l’oreille.

Je ne cacherais pas le bonheur d’une longue douche après 15 jours de mer, douche dont on garde un souvenir ému !

Et la cuisine dans tout ça ?

Et bien elle commence par les achats avant le départ.

-œufs et yaourts par cinquante

-légumes et fruits par 10 kg

-gros régimes de bananes encore vertes

-un peu de viande fraîche et quelques fromages

-des boîtes de conserve par dizaines

-et du pain.

D’abord frais les 3 premiers jours, puis pré-emballé les 3 suivants et du pain fait et cuit dans la cabine tous les 3 jours.

Du fait de la rotation des quarts, le petit déjeuner est du « do it yourself »

Le repas du milieu de journée est souvent un bol de mets froids. Je dis un bol car les mouvements du bateau interdisent les assiettes plates.

En fin de journée (sur l’équateur le soleil se couche vers 18h toute l’année) le repas se fait plus consistant : viande et légume les premiers jours, légumes et œufs les jours suivants puis pâtes, riz et fromages avant l’ouverture des boîtes de conserve.

Du fait de notre sédentarité, nos besoins caloriques se réduisent tout comme nos appétits.

La confection des repas n’est pas chose aisée : une cuisinière sur cardan qui se balance, une planche à découper qui se dérobe, une bouteille qui se renverse, du sel qui s’agglutine sous l’effet de l’humidité et un officiant qui cuisine en écartant les jambes et en s’appuyant pour se maintenir en équilibre.

Et comment passe-t-on son temps lorsque l’on ne mange pas, ne dort pas, ne sommes pas de quart ?

Il y a les mot-croisés, les sodoku, le scrabble et livres divers pour autant que les vagues se fassent câlines.

Et la mer s’est faite très câline durant 3 jours lors du passage de l’équateur

Ce manque d’activités physiques ankylose le corps à tel point qu’en fin de parcours il se trouve rigidifié par endroits !

Et puis il y la rêverie et l’introspection.

C’est un moment où à l’image des cabinets de la Renaissance aux multiples tiroirs, vous ouvrez ceux qui recèlent tous les bonheurs de votre vie et vous videz ceux qui contiennent les mauvais souvenirs en les jetant par-dessus bord afin qu’ils se perdent dans les profondeurs abyssales.

Et comme dans tout cabinet, il y a un compartiment  secret qui lui reste secret !

Cerise sur le gâteau pour un type comme moi pour lequel le mot « rien fesage » n’est pas dans mon vocabulaire (ni dans le dictionnaire non plus !) J’ai finalement appris à ne rien faire.

Cette oisiveté consentie a été une vraie découverte pour moi. Elle s’est inscrite dans un univers qui lui permettait de s’exprimer dans le silence. Reste à savoir si ce « vaccin » d’oisiveté maintiendra ses effets lors de mon retour sur terre ?

Alors où se trouve le plaisir après cette longue énumération des risques et de désagréments d’une telle transatlantique ?

Il y a tout d’abord la réalisation d’un rêve, rêve d’un navigateur qui veut partager les odyssées passées des Colon ou Magellan ou présentes des régatiers du « Vendée  Globe » ou autre « Route du Rhum »

Il y a cette adrénaline adossée à l’esprit d’aventure.

Et puis cette complète solitude entre ciel et mer qui vous coupe totalement du monde et de ses turpitudes et qui se concentre sur votre propre personne.

Il y aussi cette vie simple ou le « dress code » se résume à un short et une chemise et où la nature vous pousse sur 4000 km par la simple pression du vent.

Et finalement la joie pour le marin de faire corps avec son embarcation et tout simplement de NAVIGUER

Ce bonheur s’identifie j’imagine à la joie du marcheur du chemin de Compostelle qui peut savourer un accomplissement personnel après des jours de solitude au gré des  aléas atmosphériques.

Pour eux c’est de faire le « camino », pour moi, la transatlantique.

PS : Je tiens encore à remercier Barbara et Thierry de m’avoir fait partager avec eux cette magnifique tranche de vie.

Jean-Claude Pilet, Février 2023

One thought on “TRANSATLANTIQUE : PREMIERE

  1. Descriptif très intéressant de cette transatlantique, ce doit être passionnant et instructif. Chacun doit faire des efforts de cohabitation et laisser sa fierté de côté quand un mal de mer vous prend par surprise. Mais au retour cette aventure “chargée” d’anecdotes et de souvenirs se partagera lors de belles soirées dans cette fin d’hiver
    Avec mes meilleures pensées.
    Claudine Michon

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *