Mer d’Irlande

Mer d’Irlande

Des Iles Scilly à Holyhead

le 22 juillet

Le port de Saint-Mary’s aux îles Scilly s’approche après avoir passé la bouée cardinale est “Spanish Lodge” dont la photo, souvenir d’une traversée mouvementée en 2000, trône dans le corridor de La Couronnette. Cette bouée est munie d’une cloche. Il n’y a que les britanniques pour équiper certaines de leurs marques marines de cloches ou de sifflets. Les entendre n’est pas possible de la passerelle fermée d’un cargo, ce n’est guère mieux du cockpit d’un voilier dans le bruit des vagues et du vent.

Spanish Ledge à l’arrivée aux îles Scilly

Le port est complètement ouvert au nord, la direction du vent à notre arrivée. Il n’y a pas de quai, mais un ensemble de bouées sur lesquels les visiteurs doivent s’amarrer. Elles sont toutes proches les unes des autres et la surface est densément occupée par des bateaux qui dansent dans les vagues. Bref une arrivée difficile pour laquelle nous avons obtenu, après quelqu’insistance, l’aide du personnel de la marina. Ce fut alors à notre tour de danser sur les vagues et dans le vent, heureux que notre cockpit soit protégé du vent, du crachin et de la pluie.

Saint-Mary’s harbour

Nous avions fort bien dîné un soir de 2000 dans un restaurant, “chez Michel”, tenu par Michel, un Perrolan installé aux Iles Scilly depuis une trentaine d’année. Il a fermé son restaurant, mais plusieurs habitants s’en souviennent et nous ont dit le regretter. Michel est par contre resté et ce fut un plaisir de le voir et de faire une longue promenade avec lui à la recherche de bulbes d’agapanthes que Barbara souhaite acclimater à La Couronnette. Nous avons aussi passé un moment intéressant avec Amanda, une fille des îles qui a passé de nombreuses années à Perroy et qui fut responsable politique de la communauté des îles Scilly pendant plusieurs années.

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Hugh Town, la ville autour du port, semble ne pas avoir changé depuis 2000, voire depuis ma première visite en 1973 ou 74. Les magasins se ressemblent, dominés par la COOP ravitaillée par le Scillonian une fois par semaine. Le pub Mermaid est encore là, nous y fûmes les seuls clients une fin de matinée. La pharmacie s’est peut-être un peu diversifiée, l’industrie principale reste les fleurs qui bénéficient du climat doux en hiver des îles; mais le lieu n’a certainement pas “profité” d’un développement significatif. Il y aurait même un peu moins de visiteurs ces dernières années que plus loin dans le passé. A nous de réfléchir pour savoir si cet état de fait est une bénédiction ou une condamnation.

Pub au pied de la digue

Nous avons aussi fait une belle marche sur l’île de Tresco, dans la végétation sauvage du nord de l’île ou dans l’immense jardin botanique qui abrite aussi un musée de figures de proue de bateaux naufragés sur les rochers qui jonchent littéralement l’archipel et ses abords.

Tresco, musée des figures de proue

Trois jours plus tard, le 16 juillet, nous sommes repartis pour traverser le canal de Bristol, 24 heures de mer à nouveau, sur le bras de mer au nord de la Cornouaille, en direction de Milford haven, un grand estuaire planqué d’immenses installations accueillant les pétroliers ravitaillant la Grande Bretagne en énergie fossile. La traversée fut superbe, cap un peu à droite de la comète, Jupiter derrière, dauphins, du vent soutenu mais pas trop. Les autorités portuaires ont été plus qu’aimables et se sont enquises pour nous d’un ponton où nous serions accueillis. Ce fut à Neyland, notre première halte en pays de Galles. Un village tranquille, très tranquille, British dans sa géométrie, mais dont les maisons sont colorées. Une “pie” pour le lunch sur une terrasse ventée et froide, les restaurants ne sont pas encore ouverts à l’intérieure, covid exige, quelques courses et nous étions prêts à repartir. Nous avons reçu la visite des autorités, les “border forces”. Il semble que nous ayons été le deuxième bateau étranger à faire escale à Neyland cette année, probablement le premier après le confinement et notre arrivée avait été annoncée. Les officiels nous ont expliqués être préoccupés par du traffic de drogue venant par yacht directement des Antilles et nous ont demandé si nos avions remarqué des mouvements louches. Ils ont en plus de nos papiers demandé à voir notre livre de bord. Un rappel que ce document est un document légal! Nous nous sommes demandés dans quelle mesure ce traffic est réel ou sert de justificatif à des forces de l’ordre importantes.

Milford Haven

Au fil des promenades que nous faisons dans la nature nous sommes frappés du foisonnement de la végétation. Les espèces sont très nombreuses, cohabitent, probablement peu paisiblement, en étant imbriquées les unes dans les autres. La végétation est souvent si dense qu’il est impossible de marcher hors des chemins marqués. La taille des fougères nous impressionne aussi, donnant souvent des airs préhistoriques et vaguement menaçants aux paysages.

La végétation est dense devant des ruines industrielles

A 5h30 le 17 juillet départ de Milford Haven pour le nord, Liverpool peut-être, mais avec quelques possibilités de repli si nécessaire. Sortir de l’estuaire de Milford Haven s’est fait avec le courant, mais contre le vent. Nous avons rencontré à la sortie une mer forte, courte, haute et abrupte dans un vent de sud ouest fort (20-27 kts, un bon force 6). Le bateau et les estomacs de l’équipage se sont très bien comportés. Nous avons mis cap vers le nord établi notre génois et une partie de la grand-voile et bien avancé dans des courants tantôt avec et tantôt contre nous, au gré des marées. Les courants atteignent 2-3kts, à peine moins de la moitié de la vitesse du bateau, même en pleine mer. Autant dire que l’on avance parfois comme des chefs et souvent comme des escargots. Nous avons vu beaucoup d’oiseaux, des pétrels, des guillemots, tout petits et par deux qui plongent quand le bateau s’approche, des fous de bassan, majestueux, blancs, jaunes et noirs, et des oiseaux que nous trouvons ressembler aux guillemots, même vol, mais plus gros et en groupe de 20 à 50.

La mer en sortant de Milford Haven

Au bout de quelques heures, cependant, nous avons entendus les mêmes bruits que lors de notre première tentative de traverser la Manche et la barre est de nouveau devenue dure. Nous n’avions presque plus de possibilité de tourner à gauche. Bref, le problème du câble de barre s’était reproduit alors qu’il nous restait une petite vingtaine d’heures de route et aucun refuge proche. Il est assez angoissant de se trouver en pleine mer avec un appareil de gouvernail avarié. Les redondances dont je me félicitais se trouvaient difficiles à mettre en oeuvre avec ce type d’avaries. Nous avons donc usé de la même stratégie que dans la Manche et limité les efforts sur la barre en combinant voile et moteur. La mer s’est assagie et nous avons pu poursuivre, fort soucieux de progresser dans une région de courants forts et donc potentiellement de mers désagréables. Très ennuyés aussi de constater que l’intervention d’Amel à Camaret n’avait pas résolu notre problème. Nous avons acheté un bateau dont la première qualité doit être la fiabilité et nous nous retrouvons par deux fois dans des situations fort inconfortables. Dans ces conditions impossible d’aller à Liverpool. La marina est dans la rivière Mersey dans laquelle les courants atteignent 5kts. A peine moins que la vitesse du bateau. Il faut donc non seulement arriver dans les horaires propices de la marée, mais encore avec un bateau parfaitement manoeuvrant. Nous nous sommes donc décidés de rejoindre Holyhead, une des rares marinas de la région.

Nous y sommes arrivés à 4h du matin le 19, épuisés par le stress et la tension. En fait de marina, il ne reste que quelques bribes de pontons, le reste jonche la surface. Le tout a été détruit par une tempête il y a deux ans et, de toute évidence, la reconstruction n’a pas commencé. Arriver dans ces conditions alors que les premiers doigts de l’aube rosissaient le ciel était un peu irréel. Il restait un bout de ponton dont nous nous sommes approchés, un peu rudement à un moment, ce qui m’a valu hier une intervention sur une marque que ma manoeuvre a laissée sur notre coque. Un rhum à l’arrivée fut une première mesure de contrôle de stress. Il en reste une bonne dose, de stress, pas de rhum.

Holyhead, les restes de la marina

Le chantier Amel a été contacté tout de suite, et rebelotte, ils envoient trois personnes de La Rochelle jusqu’ici pour résoudre le problème et, et ce n’est pas le moindre point, nous permettre de rétablir la confiance dans notre bateau, confiance dont nous avons besoin pour poursuivre notre voyage. Toute la réputation d’Amel repose sur la fiabilité de leurs bateaux, avoir ainsi un problème important sur un organe essentiel du bateau est pour eux une vraie difficulté, mais c’est in fine notre sécurité qui est en jeu.

Il ya là des enjeux techniques, mais aussi des considérations sur les outils à notre disposition pour rétablir la confiance. En nous observant l’un et l’autre nous nous disons avec Barbara qu’en plus de biologistes, géologues, météorologues et autres anthropologues, nous devrions joindre à l’équipe des scientifiques de science et voile avec Gaia une ou un psychologue pour décrire et mettre en contexte les états d’âme de l’équipage.

En attendant l’équipe du chantier, nous nous sommes promenés dans la région, avons vu un parc autour de ruines industriels, vu les ruines d’une espèce de palais construit par l’architecte de l’immense brise lame qui protège, de toute évidence insuffisamment, le port, abandonné depuis des décennies après avoir, dit-on, servi d’hôtel. Holyhead semble donc un carrefour de ruines. Nous comprenons bien que la Grande Bretagne soit le lieu privilégié des fantômes de toutes sortes et de romans policiers sombres.

17 réflexions sur « Mer d’Irlande »

  1. I really like your reports and stories. Together with Agata, we want to do the same route, so it will be very helpful for us next year. We keep our fingers crossed for you and read on.

    fair winds
    Marcin

  2. Chers amis,
    Une pensée toute particulière pour vous qui vous trouvez dans des mers que nous avons sillonnées à plusieurs reprises. Les difficultés sont multiples dans les zones les plus délicates qui soient , et je partage l’inquiétude de Thierry qui doit skipper un bateau qui momentanément ébranle sa confiance. La cause de cette avarie finira par être élucidée et la confiance reviendra même s’il faut lubrifier le système avec un peu de rhum…..
    A part cela, quel privilège de traverser ces coins du monde hors du commun, qui nous ont laissé une certaine nostalgie malgré les défis techniques.
    On attend la suite de vos nouvelles et nous sommes toujours là pour un éventuel débriefing autour des avaries de barre…..
    Bien affectueusement à tous les deux.
    Annick et Claude

  3. Quelles aventures…..vravo pour votre courage…
    J’allais justement vous parler de notre cousin Michel..sachant que vous alliez débarquer aux îles Scilly….génial…son grand père fut le fondateur du garage Martin à Perroy et était le frère de ma grand-mère Martin…..bonne suite et on se réjouit de lire vos prochaines aventures…bisous à vous deux….

  4. Grand plaisir à vous lire et à retrouver l’ambiance des Scilly où je suis allé à 3 reprises (dont une en avion, ça compte pas !) Nous avions bien sûr été nous régaler dans l’établissement de Michel à l’époque. J’aurais pas aimé être à votre place avec l’avarie de barre en pleine mer d’Irlande. C’est bien la peine d’avoir un bateau neuf et si cher ! Tu parles de “câble” de barre : s’agit-il de drosses à l’ancienne ou d’un système hydraulique ? j’espère que mon vieux Noa Noa (qui a des drosses) ne me jouera pas ce mauvais tour. Bonne nav et j’espère que vous reprendrez vite confiance dans votre navire ! Zub

  5. Votre description de cette région quelque peu tristounette, délaissée et en partie en ruine doit être le reflet de vos soucis et de votre perte de confiance dans le constructeur … Nous qui pensions que vous alliez doubler Mike Horn.
    Allez, et yo-ho-ho et une bouteille de rhum !
    Courage et grosses Bises
    Saskia et Daniel

  6. Il n’y a donc pas besoin d’aller jusqu’en Guyane ,oú nous avions eu le plaisir de vous accueillir en novembre 2012, pour rencontrer de la végétation luxuriante . Il suffit, à vous lire,de juste traverser la Manche jusqu’à Milford Haven !

    Quant à la description de vos états d’âme réciproques ,elle traduit bien la tension qui peut naître de situations que l’on ne maîtrise plus lorsque la technique, dont on dépend, ne remplit plus son rôle !!!

    Ce n’est donc pas d’un psy spécialiste en navigation-voile que vous auriez eu besoin mais d’un bon mécano-electro-informaticien à même de faire fonctionner votre appareil de gouvernail défectueux….et c’est le mécano soussigné qui dit cela!

    Bonne continuation et bonne réparation !

    André & Colette

  7. Chers Navigateurs,
    Un grand merci pour ces notes qui nous font participer à votre grande aventure sur des chemins peu fréquentés.
    Que les vents vous soient favorables pour que nous recevions encore de nombreux chapitres.
    Cordialement!
    Jean-François

  8. c’est vraiment passionnant de vous lire, sans être jalouse car la mer agitée n’est pas mon point faible, mais j’imagine votre angoisse à travers vos descriptions….. j’imagine encore mieux les histoires de fantômes….. et bien sûr vos découvertes positives qui resteront marqués dans vos mémoires!
    je souhaite de tout coeur que ce soit la dernière fois que vous aurez ces problèmes de barre et que votre route sera exempte de tout autre problème, mais un vrai bonheur de glisser sur ces mer sauvages! je me réjouis déjà pour le prochain récits et entre temps vous embrasse tendrement

  9. Bonjour Thierry et Barbara,
    Vraiment désolé pour vous de cette nouvelle avarie de barre.
    Même s’il est difficile pour Amel d’admettre que ce système éprouvé sur une flotte importante de 55, pose problème sur une partie non négligeable de la flotte des 50, pouvant aller comme le dit très justement Thierry, jusqu’à une perte de confiance, nous devons continuer à pousser le chantier à apporter une solution pérène.
    Tenez nous au courant et bon courage.
    Hubert et Nathalie
    Perfect Day

  10. Chère Barbara, cher Thierry,

    Navrés d’apprendre vos soucis de barre, qui visiblement sapent un peu votre entrain et dynamisme habituels. Le temps gris et les ruines n’arrangent pas les choses. On tente de vous envoyer un peu de soleil depuis Genève!

    Bien en pensées avec vous.
    Courage pour la suite!
    Marc & Ingrid

  11. Bonjour de Prilly… Merci de nous faire partager images et impressions de votre aventure… Nos vœux vous accompagnent pour faire front aux “caprices” mécaniques, mais nul doute que vous saurez rester des navigateurs curieux et amoureux du grand air, confiants et reconnaissants des beautés que vous rencontrez.
    On se réjouit de vous lire.
    Amitiés, Francine et Alain

  12. Quelle magnifique voyage en mer, scilly j y suis allée il y a quelques années.
    Bravo pour cette superbe aventure.
    Mes amitiés.
    Jocelyne

  13. Merci pour ces récits qui permettent de vous suivre.
    Je n’ose pas imaginer l’état dans lequel vous deviez être..
    Une bouteille de rhum a suffit ?
    En vous souhaitant une bonne continuation avec une confiance reprise ou la meilleure possible
    Francine

  14. Chers amis,
    Enfin j’ai pris pour lire vos mails si intéressants qui nous font voyager. Merci beaucoup ! Heureuse que vous avez passé d’agréables moments aux îles Scilly avec Amanda et Michel. C’est drôle, en 2000 j’avais ramené des bulbes d‘agapanthes que j’avais acheté sur l’île de Tresco. Ils ont fleurie quelques années, mais ont disparu depuis. Pas plus tard que hier j’ai exprimé le souhait à mon jardinier, attitré à l’anne , Emil d’en replanter en automne pour admirer ces magnifiques fleurs en printemps. Je propose qu‘on lance un concours. Sincèrement désolée pour tous ces désagréments que vous avez vécu. Bravo au barreur et à son matelot pour la gestion! Dorénavant je saurais quoi vous offrir…..
    Si jamais des problèmes devraient réapparaître :„la Couronette“ est batie sur du terrain stable et les voisins se réjouissent de vous savoir tout près.
    Énorme bisou à vous 2
    Hélène

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