Les Îles Féroé – une gigantesque pile de basalte…. mais pas seulement !

Les Îles Féroé – une gigantesque pile de basalte…. mais pas seulement !

Mélanie Gretz et Chloé Pretet, Association AniMuse,  

Luca Caricchi et Sébastien Castelltort, Dept, Sciences de la Terre, université de Genève

Août 2020

Après avoir quitté les côtes de la Grande-Bretagne, Gaia et son équipage se dirigeront vers les îles Féroé, ancrées à mi-chemin entre l’Écosse et l’Islande. Formant une province autonome du royaume du Danemark, cet archipel composé de 18 îles principales offre des paysages à couper le souffle ! Falaises vertigineuses, fjords majestueux et pâturages verdoyants font partie de ces décors grandioses et sauvages qui ont bien des histoires à nous raconter.

Saviez-vous que la naissance des îles Féroé est intimement liée à l’ouverture du vaste océan Atlantique ? En étudiant de près les roches qui les composent, nous vous proposons de partir à la découverte de leur origine et de leur évolution.

Figure 1: Localisation des îles Féroé (cercle rouge).

A l’origine : l’apparition d’un nouvel océan…

La surface de la Terre, véritable planète vivante, est façonnée depuis son origine par de gigantesques phénomènes naturels qui, au rythme caractéristique des processus géologiques, se déroulent sur des échelles de temps si longues que l’on compte souvent en millions d’années. Parmi eux, les mouvements des plaques tectoniques jouent un rôle important : à la manière d’un puzzle géant, nombre de continents et océans sont nés, se sont déplacés ou ont changé de forme pour parfois disparaître ensuite.

Figure 2: A la manière d’un puzzle, la surface de la Terre se compose de pièces géantes que sont les plaques tectoniques. En perpétuel mouvement, certaines de ces plaques s’éloignent entre elles alors que d’autres entrent en collision ou coulissent l’une contre l’autre. (source image : www.futura-sciences.com)

Il y a plus de 100 millions d’années, le continent américain, issu du démantèlement progressif d’un supercontinent nommé « Pangée », se sépare de l’Europe et de l’Afrique. La grande fracture s’élargit alors progressivement pour permettre au nouvel océan Atlantique d’y prendre place. Les îles Féroé sont intimement liées à cette histoire car les roches qui les composent sont les témoins directs d’un épisode survenu plus tard, il y a environ 55 millions d’années, au sein de l’océan Atlantique, lorsque vient le tour au Groenland (côté continent américain) de se séparer de l’Europe.

Cet épisode a induit deux événements principaux qui sont à l’origine de la formation des îles Féroé:

1) Des fragments se sont détachés des masses continentales. L’un d’eux constitue aujourd’hui la partie la plus profonde des îles Féroé alors que d’autres fragments forment aujourd’hui les îles Shetland et l’Écosse situées plus au sud.

2) Des éruptions importantes de magma se sont produites, résultant de la fusion partielle du manteau terrestre. Les basaltes, roches issues de magma refroidi, sont celles que l’on trouve le plus communément sur les îles Féroé.

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Figure 3: Reconstruction paléogéographique en 6 étapes (-57 millions d’années à -10 millions d’années) permettant de comprendre les mouvements des continents. Le cercle rouge met en évidence la région entre l’Europe et le Groenland englobant ainsi les îles Féroés (source : Verard et al., 2015)

La séparation des continents : pourquoi tant d’épanchement de magma?

A l’exception du noyau externe de la Terre qui se situe entre 2900 et 5200 km de profondeur, la grande majorité de notre planète est solide. Cela s’explique par le fait qu’à l’instar de la température, la pression augmente en direction du centre de notre planète. Celle-ci a pour effet de maintenir les roches à l’état solide même dans des conditions de températures très élevées !

Le magma, qui lui est une roche en fusion, donc partiellement liquide, ne se forme que proche de la surface de la Terre et dans des conditions très particulières, là où la pression n’est pas trop importante. Si on veut avoir la chance d’observer du magma en fusion, les limites des plaques tectoniques sont les lieux les plus propices.

QU'Y A-T-IL A L'INTÉRIEUR DE LA TERRE?

Figure 4: Structure interne de la Terre. Les épanchements de magma se situent à la limite des plaques tectoniques (Zone de subduction = lieu de collision où une plaque plonge sous une autre / dorsale océanique = lieu où deux plaques s’éloignent l’une de l’autre) (source image : http://laplanetebleue.centerblog.net)

Dans le cas des îles Féroé, la présence de grandes quantités de basalte est liée à un processus de « décompression » des roches du manteau terrestre. Explication : quand les continents se fracturent, leur partie supérieure, appelée « lithosphère », s’amincit progressivement. Situé juste en dessous, le manteau supérieur (ou asthénosphère) atteignant plus de 1300°C, peut ainsi gagner de l’espace et se frayer un chemin en direction de la surface de la Terre. Affranchie de la pression exercée par la lithosphère, l’asthénosphère entre ainsi en fusion partielle et génère du magma qui créé ensuite à la surface de la Terre d’épaisses couches de roches refroidies que sont les basaltes. D’une épaisseur d’en moyenne 7 km, ces roches, forment la partie supérieure de toutes les îles de l’archipel des îles Féroé.

Le calme entre deux tempêtes…

Après une première période volcanique très active, la situation s’est ensuite calmée de façon significative. Cette période de répit est facilement repérable dans les couches géologiques des îles car elle se démarque par une couche riche en charbon atteignant environ 15 mètres d’épaisseur. Issu de la dégradation partielle de végétaux, le charbon témoigne directement de l’existence de plantes qui ont profité de cet intervalle calme pour s’installer sur les îles.

Excellent combustible, le charbon est depuis longtemps extrait sur les îles Féroé. D’ailleurs, quelques mines sont encore en activité. Ce moment de quiétude n’a cependant pas perduré car l’activité volcanique a repris, comme en témoigne les dépôts de basalte recouvrant la couche de charbon et mesurant environ 1,4 km d’épaisseur.

Ce qui est intéressant à noter, c’est que le caractère éruptif de cette deuxième phase de volcanisme diffère de la première. En effet, alors que les laves de la première phase étaient émises par des volcans, celles de la deuxième période provenaient de fissures étendues et horizontales dans le sol. En analysant cette évolution, on s’aperçoit que cela a un lien direct avec l’histoire de l’affinement progressif de la lithosphère induite par l’ouverture de l’Atlantique. En effet, plus la lithosphère devient fine, plus elle a tendance à ce se fissurer, permettant ainsi au magma d’y circuler en direction de la surface.

Mais tout cela est de l’histoire ancienne…aujourd’hui, le volcanisme n’est plus actif sur les îles Féroé !

Figure 5: Carte géologique (à gauche) et colonne stratigraphique (à droite) des îles Féroé. La première permet de visualiser la répartition géographique des différents types de roches sur les îles (dimension horizontale) et la deuxième permet de comprendre la succession des couches de roches (dimension verticale). ( source : Passey et al., 2007)

Un grand Tsunami dans l’Atlantique-Nord !

L’étude d’un lac côtier situé sur l’île de Suđuroy, au sud des Féroé, a permis de révéler un événement hors du commun ! Les recherches sur le terrain ainsi que l’analyse des sédiments dans le lac ont mis en évidence une surface érodée recouverte directement par une épaisse couche contenant un mélange de débris de coquillages, de bois et de sable marin. Une datation au carbone 14 a permis de déduire que ce dépôt est issu d’un événement qui s’est produit entre 7300 et 6400 ans avant le présent.

Par sa grande épaisseur et son caractère hétérogène, cette couche a toutes les caractéristiques d’un dépôt amené par un tsunami. La hauteur de la vague n’est pas connue, mais il a été découvert que deux vagues majeures successives ont impacté l’île. Ce phénomène a très probablement été provoqué par un grand glissement de terrain sous-marin localisé aux abords de la Norvège.

L’identification de ce type de dépôt est essentielle car elle permet de mieux comprendre la périodicité de ces événements potentiellement dévastateurs et d’évaluer ainsi les risques naturels dans les zones côtières.

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Figure 6: Vue sur un lac côtier de l’île de Suðuroy (source image : Wikipedia)

Les îles Féroé, véritables archives du volcanisme en Islande !

A environ 550 km au nord-ouest des îles Féroé, se trouve l’Islande, région où le volcanisme y est encore aujourd’hui intense.

Beaucoup se souviendront probablement de l’année 2010 très particulière pour le transport aérien dont le trafic a été perturbé à l’échelle mondiale. Le responsable ? Le volcan islandais Eyjafjöll qui, lors d’une phase éruptive a émis des quantités importantes de cendres dans l’atmosphère. En se propageant jusqu’au sud de l’Europe sur une distance de 1000 km, elles ont ainsi forcé les avions à rester cloués au sol. Dans l’absolu, les îles Féroé ne sont pas si loin de l’Islande et, poussées par les vents du nord-ouest, les cendres des grandes éruptions se déposent systématiquement sur les sols féroïens. On les retrouve sous forme de couches déposées dans les tourbières et les fonds des lacs.

Ainsi, pour les volcanologues, les Féroés sont considérées comme une précieuse librairie dans laquelle sont gardés jalousement les enregistrements recensant toutes les éruptions islandaises importantes. Celle de l’Eyjafjöll figure dans ces archives !

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Figure 7 : Vue panoramique de l’Eyjafjallajökull, la calotte glaciaire, avec le panache volcanique de l’Eyjafjöll, le volcan s’étirant vers le sud le 17 avril 2010 (source : Wikipedia)

RÉFÉRENCES :

CONTEXTE GÉNÉRAL

FORMATION DES ÎLES FÉROÉ

  • Vérard, C., Hochard, C., Baumgartner, P. O., Stampfli, G. M. & Liu, M. 3D palaeogeographic reconstructions of the Phanerozoic versus sea-level and Sr-ratio variations. J. Palaeogeogr. 4, 64–84 (2015).

SUCCESSION GÉOLOGIQUE

  • Passey, S. R. & Bell, B. R. Morphologies and emplacement mechanisms of the lava flows of the Faroe Islands Basalt Group, Faroe Islands, NE Atlantic Ocean. Bull. Volcanol. 70, 139–156 (2007).
  • Passey, S. R. & Jolley, D. W. A revised lithostratigraphic nomenclature for the Palaeogene Faroe Islands Basalt Group, NE Atlantic Ocean. Earth and Environmental Science Transactions of the Royal Society of Edinburgh 99, (University of Geneva, 2008).

TSUNAMI

  • Grauert, M., Björck, S. & Bondevik, S. Storegga tsunami deposits in a coastal lake on Suouroy, the Faroe Islands. Boreas 30, 263–271 (2001).

LES DÉPÔTS DE CENDRE PROVENANT DE L’ISLANDE

  • Wastegård, S. et al. Towards a Holocene tephrochronology for the Faroe Islands, North Atlantic. Quat. Sci. Rev. 195, 195–214 (2018).

6 réflexions sur « Les Îles Féroé – une gigantesque pile de basalte…. mais pas seulement ! »

  1. C’est passionnant ! Très agréable de pouvoir découvrir le processus qui a permis à ces extraordinaires îles de s’élever, tout en se remémorant ces paysages si marquants.

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