Le routage de bateau
Pierre Eckert, Météorologue émérite, Météosuisse
Juillet 2021
Le routage météorologique sert à optimiser le chemin parcouru de bateaux en fonction des conditions météorologiques rencontrées en cours de route. En compétition, on cherche le temps de parcours le plus court, mais il est également possible de chercher à éviter des situations trop difficiles ou de déterminer le meilleur moment de départ.
Des champs de vent
Le routage est devenu assez commun de nos jours et peut souvent être calculé à bord de l’embarcation elle-même. Il faut d’abord disposer d’un champ de vent sur l’ensemble de la région géographique sur laquelle des routes sont projetées et sur l’ensemble de la durée possible du parcours. Comme on a certainement pu l’expérimenter soi-même, les vents changent souvent radicalement dans le temps et dans l’espace.
Exemple d’un champ de vent entre les Féroé et l’Islande.
La polaire du bateau
Il faut ensuite disposer des caractéristiques du bateau sur lequel on navigue. La vitesse d’un bateau à voile dépend non seulement de la force du vent, mais aussi de l’angle entre la direction du vent et la direction de déplacement du bateau. Un bateau à voile ne peut pas avancer exactement contre le vent, mais il le peut dès qu’un angle d’une trentaine de degrés est atteint. On parle ici d’une allure « au près ». En s’écartant davantage du vent, on passe ensuite à des allures de travers ou « largue ». L’allure souvent la plus rapide est observée lorsque le vent vient en partie de l’arrière ou « grand largue ». Paradoxalement, le vent arrière n’est pas l’allure la plus rapide car il devient alors impossible de gonfler les voiles (le vent apparent est nul) et la navigation devient très instable avec des changements de côté des voiles incontrôlés. On peut trouver une description des allures dans l’article Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Allure_(marine).
Les caractéristiques de navigation du bateau sont introduites dans le programme de routage par le biais de sa polaire. Celle-ci détermine la vitesse du bateau en fonction de la force du vent et de l’angle entre la direction du vent et la direction de déplacement du beau. Chaque type de bateau possède une polaire spécifique. Les monocoques diffèrent par exemple significativement des multicoques. L’exemple de la polaire de Gaia est donné ici.
De l’intérieur à l’extérieur du graphe, on repère des courbes par intervalle de 1 nœud (kt), de 1kt à 25kt. On peut y lire, par exemple, que pour un vent de 10 kt et un angle par rapport au vent de 45° (au près), le bateau avance à environ 5kt. À cette allure, on voit aussi que si le vent augmente, on ne gagne plus grand-chose en vitesse, car l’avancée du bateau doit s’opposer aux vagues qui viennent de face. On peut aussi lire que si le vent souffle à 15kt avec un angle de 135° (grand largue), le bateau avance à environ 7 kt.
L’algorithme de routage
L’algorithme du programme de routage balaie diverses combinaisons de chemins possibles. En partant du point de départ, diverses directions sont envisagées sur une première petite étape virtuelle. En connaissant le vent et la polaire, on peut calculer la vitesse et ainsi le temps de parcours pour chacune des directions. À partir de chacun des points de la première étape, on peut partir dans plusieurs directions vers une deuxième étape et calculer les temps de parcours correspondants. De proche en proche, on atteint le point d’arrivée et on obtient le temps total en additionnant les temps de toutes les étapes. La route optimale est celle qui présente le temps de parcours le plus court.
Nous avons développé ce genre d’algorithmes chez MétéoSuise dans les années 1980, puis effectué plusieurs routages pour le navigateur Pierre Fehlmann, puis pour d’autres comme Dominique Wavre. Il fallait à l’époque effectuer les calculs sur des supercalculateurs de type Cray. Les articles historiques de référence sont indiqués à la fin de ce texte.
Aujourd’hui, un ordinateur personnel suffit largement à la tâche. Des programmes sont également disponibles sur Internet. Pour le routage de Gaia, nous avons utilisé le site néozélandais de PredictWind (https://www.predictwind.com).
Utilisation du routage
Un exemple (réel) de route entre les Iles Féroé et l’Islande est donné ici pour un départ le 4 juillet 2021 à 12h GMT.
Plusieurs routes sont calculées sur la base de plusieurs modèles numériques de prévision du vent. Dans l’exemple donné ici, on trouve entre autres les routes optimales utilisant les vents du Centre européen de prévision ECMWF, ceux de l’administration américaine GFS et ceux du l’Office météorologique britannique UKMO.
Un tableau récapitulatif permet de visualiser les vents et les allures tout au long du parcours. Dans l’exemple donné ici, la route dure un peu moins de deux jours, TWS est la vitesse du vent et TWD sa direction. COG est le cap à suivre et TWA l’angle entre le vent et le cap (allure). Enfin, la vitesse calculée du bateau est donnée par SOG. Nous avons choisi ce moment départ, car le temps de parcours est acceptable, le vent pas trop fort et les vagues pas trop agressives. Il s’agit d’une optimisation que l’on pourrait qualifier de confort.
En compétition, les conditions sont différentes, car le moment de départ est fixé et ne fait pas l’objet d’un choix. Ensuite, l’objectif est bien entendu d’être plus rapide que les adversaires et donc de trouver les bonnes options de route tout en évitant la casse.
Quoi qu’il en soit, la précision des prévisions de vent diminue avec l’échéance. Pour de longues étapes, il convient ainsi de conserver un œil critique sur les résultats donnés par les programmes informatiques qui ne doivent être considérés que comme une aide à la décision. L’expertise et l’expérience aussi bien du routeur que du navigateur restent donc essentielles pour choisir les bonnes options de route. Lorsque c’est possible, ces options peuvent par ailleurs être ajustées en cours de parcours.
Quelques références
Publication ECMWF 1986
https://www.ecmwf.int/sites/default/files/elibrary/1986/18420-newsletter-no-35-september-1986.pdf
Publication MétéoSuisse 1987
Publication MétéoSuisse 2014