Irlande, côte ouest, seconde partie
Westport est, comme beaucoup de villes irlandaises, animée et, surtout, colorée. La densité de pubs y est importante, loin au-delà de la clause du besoin défendue par les cafetiers valaisans il y a quelques années. Ces villes bruissent de vie, les piétons sont souriants, les commerçants parlent volontiers sur le pas de la porte et répondent en souriant à nos demandes variées. Il apparaît au fil des conversations partagées avec des Irlandais, et contrairement à mes préjugés, que l’Irlande est fort différente dans sa culture de l’Angleterre. Non seulement l’histoire irlandaise est celle d’une longue exploitation sans vergogne par les Anglais, mais encore la manière d’être et de parler des Irlandais est dépourvue de la suffisance, voire de l’arrogance, que l’on peut percevoir chez les Anglais -attitude qui leur est si naturelle qu’ils s’en défendent constamment. Nous avons beaucoup aimé le temps passé avec les Irlandais chez eux. Nous avons moins apprécié la météo.
Nous sommes partis tôt le mardi 26 juin pour rejoindre Clare island, la première étape du rallye de l’Irish Cruising Club que nous avons accompagné quelques jours. Le ciel était gris, brouillardeux et sans vent. Mais l’étape courte nous menait vers un déjeuné suivi d’une conférence sur l’histoire de la région. Histoire marquée par une femme, Grace O’Malley, qui, au 16ème siècle, dominait toute la région sur terre et sur mer et qui a tenu tête à Elisabeth 1ère, laquelle accordait déjà aux Espagnols les droits de pêche dans les eaux irlandaises. Cette forte femme s’était fait construire un « château », une bâtisse carrée, austère et crénelée qui dut être plus efficace comme défense que comme lieu de confort. Une belle balade nous a mené sur les restes d’un monastère remarquable par quelques fresques que l’on dit importantes mais qui restent sans soins et disparaissent lentement dans l’humidité.
Jarlath Cunnane participait sur son bateau au rallye de l’ICC. Nous avons partagé d’excellentes conversations avec celui que nous avions déjà rencontré aux Açores en 2010. Jarlath avait construit quelques années plus tôt un bateau en aluminium épais, Northabout, qui ressemblait plus à un tank qu’à un voilier de course. Mais ce bateau avait été construit pour le passage du nord-ouest, la route qui mène du Groenland vers l’Alaska. Une fois de l’autre côté de ce passage, Jarlath et son équipage s’étaient demandés comment rentrer en Irlande. La route par le sud et le canal de Panama est longue et en grande partie contre vents et courants. Il leur est donc apparu plus naturel de rester au nord et de rentrer par le passage du nord-est, celui qui relie l’Alaska à la Norvège en longeant les côtes nord de la Sibérie. C’est ainsi qu’en 2004 ils sont devenus le premier équipage à franchir ces deux passages sur un voilier. Ensuite Jarlath et Northabout ont emprunté la route que nous avons aussi suivie dans les eaux russes d’Arkhangelsk à Saint Petersbourg (Jarlath l’a suivie du nord au sud alors que nous avons navigué du sud, la Baltique, au nord, la Mer Blanche). Plus récemment Jarlath a construit une réplique du James Cairn, le bateau qu’Ernest Schackelton a utilisé en Antartique en 1915 pour chercher du secours pour son équipage perdu sur Elephant island.
C’est à Inishturk, l’île aux sangliers, Inish voulant dire île et turk sangliers, que nous nous sommes retrouvés le jour suivant pour une longue marche autour de l’île. Inishturk, comme toutes les îles de la région, est quadrillée par des murs de pierres sèches tous les 50m environs. Ces murs servent autant à délimiter les parcelles qu’à rassembler les pierres qui rendent les champs impropres à l’agriculture, même comme pâturages pour les moutons.
Inishbofin, bofin : vache blanche, ensuite. Courte étape pour arriver avant du vrai mauvais temps. Nous avons passé 4 jours ancré à Inishbofin, dont deux de vents très forts levés peu après notre arrivée. On ne dort pas quand le vent souffle à 40 nœuds dans le mouillage, que le gréement hurle et que l’eau est arrachée de la surface de la mer. Le jour s’est levé, blafard sur le spectacle de la tempête. Pas question d’aller à terre dans ces conditions. L’ancre d’un bateau ami a dérapé, le bateau s’est écrasé contre un autre qui a chassé à son tour avant de s’endommager sur les rochers. Au bout de 24h le vent s’est un peu calmé, mais devait reprendre plus fort encore 36h plus tard. Nous avons profité de l’accalmie pour un tour de l’île en bus, en partie à l’abri de la pluie, vers un lieu symbolique au sommet d’une falaise impressionnante. Une estrade de pierre y est érigée au bord du vide. On imagine sans peine un site duquel hommes ou animaux étaient précipités dans la mer en sacrifices rituels ou punitifs. L’imagination travaille d’autant mieux que l’on ne connaît pas vraiment l’utilisation de l’endroit !
L’analyse de la situation météo montrait que l’accalmie pourrait être juste suffisante pour partir tôt le matin suivant et rejoindre Rossaveal avant l’aggravation suivante. L’heure de départ était aussi contrainte par les courants autour de la péninsule de Slyne head -il faut passer avec le courant- et par la nécessité de naviguer de jour pour éviter les cordages qui flottent autour des casiers de pêcheurs. Nous avons donc quitté Inishbofin à 5h30 et levé notre ancre profondément plantée dans le sable sous un ciel gris et froid. Un autre bateau du rallye irlandais a pris la même décision et est parti en même temps. Nous avons fait une navigation superbe entre 7 et 8 noeuds et sommes arrivés à 12h30 à Rossaveal, juste avant le fraîchissement attendu. N’était-ce la tension d’arriver à temps, la journée aurait été un plaisir.
Rossaveal est un bon port. Nous y étions bien à l’abri. Pour le reste… Nous nous sommes équipés de nos cirés et bottes le soir pour chercher un repas au restaurant annoncé à quelques deux kilomètres. Arrivés là nous avons commandé une bière puis nous sommes préoccupés d’un repas. Que nenni, il y a bien quelques tables, mais plus de cuisine, pas même un sandwich ou une cacahouète. Par contre on a pu nous trouver un taxi pour le bled suivant ou un restaurant chinois était ouvert. La salle était laide et froide et le repas insipide, mais nous avions mangé. Le même taxi nous a ramené à notre bateau. Nous avions encore une journée à Rossaveal, nous l’avons passée en nous rendant à Galway, une autre charmante ville colorée et vivante.
De là nous avons fait une très courte traversée vers Kilronan sur les îles Aran. Excursion sur une autre des îles, toujours entre des murs de pierre sèches, puis courses sous une pluie battante et dîner d’au revoir du rallye irlandais grâce auquel nous avons vu quantité de mouillages que nous aurions ignorés en étant seuls. Nous avons fait encore une longue étape vers Dingle, abrégée grâce aux conseils d’un collègue du rallye qui suivait la même route et nous a encouragé à passer par un étroit passage entre la côte et une île, Blasket. La littérature nous disait le passage possible dans des conditions raisonnables pour un peu que l’on identifie visuellement des roches basses. Or nous sommes arrivés dans des rafales à force 6 bien compté au moment de l’arrivée d’un grain qui a réduit la visibilité à néant. Mais nous sommes passés et arrivés à une heure décente à Dingle après 87 milles.
Dingle était notre dernière étape irlandaise. Nous y avons rencontré un couple canadien en route tranquillement vers l’Ecosse et la Norvège et une navigatrice solitaire, Susanne Huber-Curphey, sur un solide bateau en aluminium. Elle avait bourlingué seule à travers tous les océans et se préoccupait de réparer son ancre flottante, sans laquelle elle ne prend pas la mer. Nous avons préparé le bateau pour la traversée vers la France, courses, rangement de l’annexe, étude de la météo avec Pierre Eckert. L’anticyclone des Açores avait pris ses quartiers nous prédisant de bonnes conditions pour cette traversée de près de 500 milles que Barbara et moi avions décidé de faire seuls. Nous sommes partis tôt le 6 juillet avec des vents d’ouest raisonnables au début, force 4, mais qui ont fraîchis jusqu’à force 7 pendant la nuit. Même au grand largue, il faut réduire la voilure par ces vents, ce que nous avons fait sans encombre. Nous nous sommes relayés toutes les trois heures pendant les 80 heures qu’a duré cette navigation. Nous étions contents, j’ai retrouvé des ciels sans lune avec une voie lactée d’un horizon à l’autre et quelques planètes. La veille de l’arrivée, nous avons enlevé nos gros pulls. Ce fut un événement. La première douceur depuis le 8 mai, date de notre départ de Suisse. Nous sommes arrivés à Pornic, un autre monde. Il n’y avait pas de bateau comme nous en Islande et si peu en Irlande. Nous naviguions seuls sur la mer, croisant parfois, mais pas plus d’un par quelques jours, un collègue. A Pornic nous avions rejoint l’industrie nautique, nous avons trouvé une marina plus qu’un port. Des centaines de bateaux, des échoppes, des bistrots en quantités, du soleil, des baguettes, d’autres poissons et fruits de mer que du cabillaud, du pastis.
De Pornic nous avons rejoint les Sables d’Olonne puis La Rochelle, encore des milliers de bateaux. Nous sommes au cœur de « l’industrie du nautisme ». Nous laisserons Gaia ici quelques jours aux bons soins du chantier Amel qui fera encore quelques travaux de garantie avant de poursuivre vers l’Espagne en août.
6 réflexions sur « Irlande, côte ouest, seconde partie »
Bravo et merci pour le partage de ce beau périple. Reposez-vous bien mais j’attends la suite avec impatience!
Bopp
Liebe Barbara und lieber Thierry
ich bin wieder sehr beeindruckt von Euren Abendteuern. Danke und Merci, merci – ihr bleibt jünger dadurch und liebt das Meer. Wunderbar, ich freue mich mit Euch !!
Meine Abenteuer in meinem Leben sind auf den Canaren. Ich bin 6-8 Monate auf La Gomera wo ich mir eine Wohnung gekauft habe vor 2 Jahren. Den Rest im Sommer bin ich immer noch in HOhenfurch. Unser Grundstück und das Haus haben sich sehr verändert, Du liebe Barbara würdest staunen. Alles ist zugewachsen. Bernd kommt mich im Winter immer wieder für 6-12 Wochen auf La Gomera besuchen. Der Winter ist nicht so toll und der Staat tut jetzt mit den Auswirkungen des Ukrainekrieges seines dazu um es noch schwerer zu machen. In der Schweiz ist es besser wie ich weiß. Die Energiekosten steigen um das 8 fache….kein Land in dem ich gerne weiter leben möchte.
Meine Katze liegt auf meinem Schoß und mein Hunger kommt auf Frühstück….in 1,5 Std. habe ich wieder ein Zoom mit Lienys einer Cubanerin, die ich auf Gomera kennen gelernt habe. Wir zoomen 2 x in der Woche. So kann ich mein spanisch gut trainieren. Es geht schon ganz gut, finde ich.
Leider kann ich immer noch kein französisch. oh, oh….. !!
Was machen Euere Enkelkinder, Fabienne und Yves mit ihren Familien, was macht La Couronette und der Weinanbau ? Ich denke sehr gerne an die Zeit in Eurem schönen Anwesen zurück. Ein kleines Schloß. Und jetzt wo es Sommer ist und warm seid ihr auf hoher See bei Wind und Wetter….
Ich grüße Euch ganz, ganz herzlich Ihr Lieben !!!
Besito Jeanette
Merci pour ce beau reportage et les images. Quelle aventure! 🙂
Delighted you have fought the rigours of the Irish West Coast and the Atlantic winds and managed the long crossing well – good job and good weather. It must feel like home to be docked in a sensible harbour surrounded by similar types of boats. Looking forwards to hearing more of your journey on the next exciting leg. I’ll email about our boat – lots of niggles and a complete mystery event!!
Merci de partager vos aventures! On a froid rien qu’en lisant… Toutes les dépressions sont apparement passées par l’Irlande cette année! Bienvenue à nouveau sous nos latitudes bien plus clémentes! Bonne suite! Amitiés de toute la famille. Marc
merci… merci…. meeeerci de ce passionnant, comme d’habitude, récit!! j’ai l’impression de vibrer avec vous durant ces moments effrayants et pourtant passionnants!! tendres biz et au prochain récit