De Cascais aux Canaries

De Cascais aux Canaries

Cascais, une marina dans laquelle nous nous sentons petits. Il y avait derrière nous un grand Swan presque neuf, bien trois mètres de plus que Gaia. Les Swan sont des bateaux de prestige depuis des décennies, connus pour leur ligne autant que pour leur qualité de construction. Les lignes de notre voisin sont belles, Swan a su renouveler ses dessins, mais le moment que nous avons passé à son bord montre un bateau qui, s’il est moderne, semble doté de quelques défauts qui nous surprennent. Le propriétaire et l’équipage décrivent une vie à bord et des manœuvres plus difficiles qu’escompté. « Tout fout le camp. » Peu après arrivent dans la marina deux autres Swan, l’un de 105ft, l’autre de 120ft, plus de deux fois la longueur de Gaia. Puis d’autres bateaux tout aussi grands. Pour une fois nous sommes parmi les petits. Ces grands yachts sont de toute beauté, on aimerait les croiser sous voile, et on admire la mise en œuvre des matériaux qui permettent des mâts immenses et donc des forces que l’on peine à estimer.

Quelques parties de grands yachts à Cascais

Cascais, c’est la ville de Lily, une amie de très longue date installée ici depuis des années. La vie n’a pas épargné Lily, mais elle garde un sourire lumineux en regrettant avec élégance l’époque où elle répondait d’un sourire aux sifflets qui, parfois, résonnaient sur son passage. Son féminisme fait penser à Virginie Despentes, un féminisme de femmes qui savent trouver leur place dans la société sans devoir être défendues comme des êtres fragiles par des lois qui les infantilisent, et sans devoir faire semblant d’être des hommes comme les autres. Un féminisme qui permettrait à chacun de retrouver la liberté et la fiérté inhérentes à sa condition. Nous avons eu un immense plaisir de retrouver Lily et son mari pour d’excellents moments.

Lily et son mari nous avaient indiqué qu’un musée dédié à l’œuvre de Paula Rego s’était  ouvert à Cascais. Un très beau musée tant pour son architecture que pour le travail de Paula Rego. Beaucoup de représentation de femmes, souvent aux prises avec divers démons, de diverses formes de féminité.

Musée Paula Rego

Cascais est aussi la rencontre avec Teresa et Dominique vu sur un bateau immatriculé à Bâle sur le même ponton que nous. Un couple de fort bon goût car non seulement ils naviguent, Teresa est d’une famille de l’endroit qui a animé la vie nautique régionale depuis des décennies, mais encore ils circulent dans une magnifique 2CV jaune. Ils nous ont emmené voir les environs et découvrir quelques excellents restaurants.

On va de Cascais à Lisbonne en train, un train qui s’arrête à Belem devant un grand monument à Henri le Navigateur et aux marins qui ont « découvert » les côtes africaines et plus lointaines. Des marins que nous admirons sans borne. Là où nous arrivons livres ouverts, cartes papier et électroniques sous la main après une navigation dans une météo largement connue, ils arrivaient sans cartes, sans sondeur, avec comme météo leur connaissance des vents, avec des bateaux qui ne manoeuvraient que bien imparfaitement comparés à nos embarcations aux voiles bien taillées et moteurs auxiliaires fiables.

Derrière le monument on trouve un immense bâtiment moderne. Les formes sont taillées à la hache, les volumes généreux, les espaces sobres. Ce complexe abrite la collection Berardo, une présentation de l’art pictural du XXème. Le musée présente ses collections époque par époque, chronologiquement. Tous les grands noms de la peinture sont présents, mais beaucoup d’autres noms apparaissent parmi les signatures de tableaux souvent somptueux. Les textes et manifestes écrits par les artistes sont aussi là. On imagine sans peine pour chaque période des artistes cherchant leurs mots autour de tables enfumées. On constate encore qu’une rupture d’avec la période précédente demande qu’elle soit reconnue et, qu’on le veuille ou non, serve de socle pour la nouvelle école. On imagine les arguties autour de mots parfois un peu abscons, mais surtout on admire le résultat de ce travail. Nous y avons passé plusieurs heures avant de lécher avec gourmandise une glace le long du Tage.

Musée Belem

C’est Cannelle qui nous avait rendus attentifs à l’existence de ce nouveau musée. Cannelle et son mari sont en route avec leurs trois petits enfants, le dernier marche tout juste, pour un tour de l’Atlantique d’une année. Les deux aînés profitent avec bonheur semble-t-il des fiches scolaires préparées par Laurent Dubois dans le cadre de Science et voile avec Gaia.

Les attraits de Cascais, Lisbonne et Belem sont nombreux et nous en avons largement profité. Il n’en reste pas moins qu’il faut poursuivre notre périple, c’est le propre du voyage. Nous avons donc préparé Gaia pour l’étape suivante, un peu moins de 500 milles vers Porto Santo, une petite île toute proche de Madeira. Nous sommes partis le 21 septembre à 7h30. Notre navigation devait nous prendre trois jours et demi, un départ tôt nous donnait donc un espoir d’arriver de jour, un gros avantage dans ces régions.

La mer était calme au départ, le vent aussi, c’est donc au moteur que les premiers milles se firent. A quelque distance du port, une masse noire ourlée de blanc est apparue. Un regard sur la carte montrait que, comme attendu, il n’y a ni rochers ni écueil à cet endroit, nous avons donc continué notre route et avons vu la masse noire s’approcher jusqu’à ce que nous constations qu’il s’agissait du kiosk d’un sous-marin en surface. Nous nous sommes alors quelque peu déroutés, histoire de ne pas entrer en conflit avec la gent armée.

En sortant de Cascais

En quittant la côte portugaise on traverse les routes des cargos qui montent et descendent le long de la péninsule ibérique venant du sud et se dirigeant vers l’Europe du nord et inversement. Plus loin, à la latitude de Gibraltar, ce sont les cargos en trafic entre la Méditerranée et les Amériques que l’on voit. Parfois un de ces cargos fait avec nous une route de collision. Le règlement pour prévenir les collisions en mer stipule alors que le navire avançant à la voile doit poursuivre sa route sans la modifier alors que le navire à propulsion mécanique doit s’écarter. Cette règle demande donc que nous, petite embarcation de 15m gardions notre cap alors que le cargo, qui peut avoir une longueur de 300m, se déroute. L’asymétrie des masses des navires encouragerait à ce que nous nous éloignions lors de telles rencontres, mais si les deux navires manoeuvrent la situation résultante peut devenir pire que les positions initiales. J’ai donc comme règle d’appeler l’officier de quart du cargo par radio pour m’assurer que nous avons été vu et demander ses intentions. La réponse est toujours très professionnelle, on m’assure que nous sommes repérés et identifiés, parfois après un instant qui fait penser que l’appel a servi de mise en garde, et que l’officier initie, si nécessaire, un changement de cap. Cela s’est produit quelques fois pendant cette traversée.

Rencontre en mer

Nous nous étions organisés avec Barbara en quart de quatre heures. C’est un peu long seul la nuit dehors, mais cela permet à celui qui n’est pas de quart de passer trois heures étendu à dormir. Un rythme qui nous a bien convenu et grâce auquel nous sommes arrivés à Porto Santo frais comme des gardons, ou presque. Les vents ont été plutôt agréables, de l’arrière. Nous avons tangonné notre génois et apprécié d’avancer en mode papillon. La mer par contre est restée désagréable toute la traversée, nous secouant sans répis.

Vers Porto Santo
La nuit sur Gaia
Arrivée sur Porto Santo

Le soir de notre arrivée, Porto Santo célébrait Christophe Colomb, très présent dans toutes les îles de la région, et son mariage à une aristocrate locale. Une procession toute simple et bon enfant applaudie par quelques dizaines de badauds. Un court dîner ensuite pour constater que nous avions quand même fort besoin d’un lit et d’une longue nuit.

Evocation du mariage de Cristophe Colomb à Porto Santo

Porto Santo est une petite île aride riche d’une géologie intéressante. Pour la visiter nous avions opter pour un tour en taxi, une recommandation de notre littérature marine. En quittant Gaia le matin pour chercher un taxi nous avons été surpris par une averse et nous sommes réfugiés sous l’auvent d’un café en même temps qu’un couple français, Fabienne et Jean-Charles, qui avait le même programme que nous, mais en louant une voiture. Nous avons donc décidé que le premier couple qui trouverait son moyen de locomotion prendrait l’autre. Ce furent eux qui arrivèrent dans une vielle guimbarde alors que nous nous faisions refuser par tous les taxis qui semblaient préférer de plus courtes courses autour du village. Le tour que nous fîmes nous a menés vers une longue marche dans des formations rocheuses surprenantes et des points de vue sur toute l’île, vers un déjeuner sympa sur une belle terrasse et une glace sur une plage. Une belle rencontre.

Il y a aussi sur Porto Santo une grande usine qui, dit un panneau, utilise des micro-algues pour fixer du CO2. J’ai fait appel aux scientifiques de Science et voile avec Gaia pour nous expliquer le concept. Vous trouvez leur texte sur https://sy-gaia.ch/le-potentiel-ecologique-et-economique-des-microalgues/.

Usine utilisant des micro algues à Porto Santo

Quelques jours plus tard, départ de cette très belle escale pour Las Palmas sur Gran Canaria aux Canaries. Un peu plus de 300 milles, même rythme de quart de quatre heures, même vent de l’arrière et même mer agitée. Un vent plus soutenu quand même surtout la seconde nuit. Barbara était de quart dans le profond de la nuit quand elle a vu une lumière qui n’était ni cargo ni terre. Pas de signal sur nos instruments et derrière la lumière quelques feux clignotant. Ne sachant pas trop à quoi nous avions à faire, elle m’a réveillé. Nous avons constaté qu’il s’agissait probablement d’un bateau de pêche et les lumières clignotantes faisait penser qu’il était peut-être en train de poser un filet en surface. Nous marchions à 8-9kt avec un vent de force 6 de l’arrière dans des creux de quelques trois mètres, des conditions dans lesquelles on a pas du tout envie de se prendre les pieds dans un filet. Appel donc à la radio, sans réponse pendant un moment, puis une voix d’homme qui nous dit ne comprendre et parler que l’espagnol et le portugais. Comme notre maîtrises de ces langues est très insuffisante pour un dialogue par radio dans une situation qui se tendait, nous avons décidé de modifier notre route de 90 degrés en empannant, une manœuvre intéressante de nuit dans ces conditions mais que nous avons fort bien maîtrisée, pour reprendre notre route après plusieurs milles. Un moment plus tard la voix est revenue à la radio, de toute évidence soulagée, pour nous remercier d’un gracias vigoureux.

En route vers Las Palmas

Nous sommes arrivés ensuite sans autre difficulté à Las Palmas, une immense marina d’où partent nombres d’équipages chaque année pour traverser l’Atlantique vers les Caraïbes. La marina est, comme souvent dans les Canaries au fond d’un vaste port commercial. Celui-ci est bien abrité par une presqu’île rocheuse autour de laquelle nous avons exercé nos mollets vélocipédiques. L’architecture Canarienne est caractérisée par de jolis balcons de bois sur des façades harmonieuse. C’est aussi le cas dans la vielle ville de Las Palmas, où l’on voit l’inévitable maison de Christophe Colomb. Mais nous sommes surpris de la distance entre cette vielle ville et le port. Il faut marcher longuement le long d’une semi autoroute alors que la logique, ou tout du moins ma compréhension de l’urbanisme ferait penser que la ville devrait être au bord des quais. Une partie de la ville reflète un commerce international dans un cadre qui date probablement de la fin du XIXème. La vielle ville, la partie la plus éloignée du port est plus ancienne et, comme beaucoup de villes et villages de cette partie du monde, célèbre Christophe Colomb.

Arrivée à Santa Cruz de Tenerife

Le 5 octobre nous avons quitté Las Palmas avec une visibilité très moyenne pour traverser vers Santa Cruz de Tenerife, 60 milles dans des vents allant en se renforçant de 3 à 5 Beaufort. Une traversée magnifique, mais sans voir notre but jusqu’à 3 ou 4 milles du port. Le ciel était gris beige, le soleil apparaissait comme un disque blanc pale. Le tout était dû à de la poussière très fine en provenance du Sahara. Un phénomène troublant pour le navigateur, mais très désagréable pour les astronomes observant sur Tenerife ou La Palma.

Santa Cruz de Tenerife est une grande ville sans vraiment grand charme. Mais la marina y est bien protégée, c’est l’endroit où nous voulons laisser Gaia pendant le mois que nous passerons en Suisse. Durant les quelques jours qui précédèrent notre départ nous avons fait une excursion à La Laguna, une beaucoup plus jolie ville, une ville riche de maisons d’architecture canarienne, de belles proportions, colorées et ornées de balcons de bois.

Une façade de La Laguna

Nous avions pris contact avec Johan, un collègue de l’institut d’astrophysique des Canaries avec lequel j’avais travaillé pendant plusieurs années au sein du conseil de la société européenne d’astronomie. Il nous a emmené pour une magnifique journée à l’observatoire du Mont Teide. Nous y avons vu le premier d’une série de télescopes destinés à l’observation du signal déposé dans l’atmosphère par des grains de lumière de très haute énergie. Nous verrons d’autres installations de ce type à La Palma.

Reflet de Barbara sur le miroir secondaire du Carlo Sanchez Telescope

Raffa, un autre collègue qui navigue dans la région était d’accord, si nécessaire, d’avoir un œil sur Gaia pendant notre absence. Nous avons donc laissé notre bateau dans d’excellentes conditions pour nous envoler vers Genève, à temps pour le lancement du livre Gaia-Science et voile et pour faire face aux activités liées au colloque Wright pour la Science et au spectacle lumineux sur la façade du Musée d’Art et d’Histoire qui l’accompagne.

Sciene et voile. N’hésitez pas si vous aimez nos récits et digressions scientifiques.

One thought on “De Cascais aux Canaries

  1. Hallo Barbara und Thierry,
    Seid Ihr unterwegs zu den Kanarischen Inseln? Und fahrt Ihr danach in die Karibik? Wir fahren nächstes Jahr.
    Was sind Eure weiteren Pläne?
    Viele Grüße, Jeroen und Britta

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