Avez-vous vécu des tempêtes ou eu peur en bateau?
Sont deux questions d’élèves. Pour y répondre, j’ai écrit deux textes que vous trouvez ici et j’en ai repris un de « Cérès en Atlantique, récit et réflexions d’un Suisse en mer ».
Ces textes illustrent que la mer, comme la montagne, doit être respectée; et que nous avons rencontré ce que l’on appelle du gros temps à plusieurs reprises. Dans ces conditions, un bateau solide, bien construit et bien entretenu est essentiel. Un équipage solide aussi
Alors oui, je ressens souvent un sentiment complexe fait d’apréhension, de crainte, de respect pour la nature. Il est parfois difficile de décider: partons-nous ou ne partons-nous pas aujourd’hui, avec la météo prévue et la route à faire?
La responsabilité du capitaine n’est alors pas un vain mot. C’est lui ou elle qui prend cette décision, c’est lui ou elle qui devra adapter la route aux conditions rencontrées et en cas de problème, c’est encore lui ou elle qui devra répondre de ses décisions.
Ces sentiments sont nécessaires. Ils guident les exigences de préparation du bateau et motivent skipper et équipage pour naviguer sur un bateau entretenu et adapté aux conditions attendues. Un bateau dans lequel l’équipage a confiance est le meilleur remède contre la peur.
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Au sud de l’Irlande
C’était une nuit noire, sans lune. Nous étions partis d’Irlande pour la pointe nord-ouest de l’Espagne, une navigation de 4 jours et demi après une longue, très longue période de temps détestable, froid, vent, pluie, que nous avions passée à attendre dans le petit port d’Arklow. Nous avions habillé Cérès pour le mauvais temps, trinquette et grand voile réduite, sachant que le début de cette traversée serait agité. Le vent venait d’ouest. La côte irlandaise nous a protégés de la mer pour les premières dizaine de milles de notre descente vers le sud. Une fois au sud de l’Irlande, plus de protection du tout, nous étions dans ce que l’on appelle les Western Approaches, la zone qui marque l’entrée dans la Manche en venant de l’ouest. Une région de très mauvaise réputation, la mer y est forte, très forte même quand le courant de la marée s’oppose au vent alors que les fonds marins remontent des profondeurs océaniques vers la Manche.
Le jour touchait à sa fin lorsque nous sommes arrivés dans ces eaux que je redoutais. La mer est devenue forte, plus aucune terre depuis l’Amérique empêchait la houle et les vagues de se former dans le coup de vent qui s’était installé. Les creux devaient bien mesurer quelques 3m. Une lourde écume se formait sur les crêtes des vagues qui se brisaient dans un tonnerre grondant. Cérès avançait à pleine vitesse, l’eau jaillissait des deux côtés de la coque en longs ourlets grossiers qui se déchiraient en éclatant sur les vagues qui nous rattrapaient. Le bruit du bateau fendant l’eau s’ajoutait à celui de la mer qui nous entourait. Le bateau craquait sourdement sous les boutoirs de la mer. Le vent hurlait dans le mât, les voiles et les haubans. Le vacarme était assourdissant, il était difficile de communiquer dans ces conditions.
Cérès montait sur les crêtes et descendait dans les creux. Parfois une vague se brisait sur le pont en donnant un bruyant coup de boutoir au bateau. Cérès gitait, appuyé par le vent, en oscillant d’un bord sur l’autre au gré de la mer. Les mouvements rendaient tout déplacement périlleux. Tenir la barre demandait un effort considérable pour garder le cap et empêcher Cérès de se mettre au travers de la houle.
Nous étions trois à bord, notre fils Fabien, 29 ans, Barbara et moi. Nous avions un roulement de quart de deux heures : 2h à la barre, 2h de service pour faire un café de temps en temps, préparer un sandwich ou sortir quelques biscuits et 2h de repos avant de recommencer. Plus les conditions devenaient difficiles, plus chacun assurait ses mouvements et se concentrait pour éviter toute blessure ou choc. Tous les bras étaient nécessaires pour la conduite du bateau et l’entretien de l’équipage, il n’était pas question, malgré les mouvements violents du bateau, de se blesser.
La nuit s’est passée ainsi, puis le matin est arrivé, les heures se sont écoulées, Ce n’est que l’après-midi que le vent et la mer se sont un peu calmés. L’équipage a pu se reposer quelque peu. Les deux jours suivants furent beaucoup plus calmes avant notre arrivée à La Corogne au petit matin du cinquième jour dans un brouillard épais.
Thierry Courvoisier, avril 2020
En approchant des Açores
Cela faisait dix jours que nous avions quitté les Bermudes en route à travers l’océan Atlantique vers Flores, la première île des Açores en venant de l’ouest. Le temps avait été très variable, tantôt aimable, tantôt gris et venteux, au fil des dépressions qui défilaient au nord de notre route.
Un soir le météorologue que nous contactions régulièrement pour connaître nos conditions dans la journée suivante nous a indiqué que nous rencontrerions le lendemain matin une queue de dépression. C’est avec cette prévision ni plaisante ni dramatique que nous avons entamé notre avant dernière nuit en mer. Le vent a forcit petit à petit au fil des heures de la nuit, nous avons suivi en réduisant la toile au fur et à mesure : un premier ris, rouler du génois, un deuxième ris, rouler plus de génois. Au lever du jour les conditions avaient encore empiré, Leonne et Barbara étaient sur le pont pour prendre le troisième ris quand le vent s’est encore brutalement renforcé, elles ont affalé toute la voile et l’ont sécurisée sur la bôme. Il ne restait qu’un tout petit bout de génois sur l’avant pour nous propulser et cela suffisait largement. Le temps était devenu franchement mauvais. Le vent soufflait de 3/4 arrière avec plus de 40 kt[1]. La mer s’était formée brusquement, les vagues atteignaient six ou sept mètres, difficile d’apprécier leur hauteur avec exactitude du pont d’un bateau qui paraissait soudain bien petit dans le chaos liquide environnant.
Leonne et moi nous sommes relayés à la barre, Barbara soignait le quatrième équipier effondré de mal de mer depuis dix jours, déshydraté, ayant perdu plusieurs kilos et juste conscient. Tenir le bateau de manière à ce que les vagues s’approchent par l’arrière était devenu vital, des vagues de cette ampleur ayant la puissance nécessaire à retourner un bateau comme le nôtre si elles déferlaient sur notre côté. Cet exercice était devenu une acrobatie, la mer étant croisée et confuse.
Au plus fort du coup de vent j’étais à la barre quand j’ai vu un mur d’eau verte s’approcher par notre avant, le sommet dangereusement vertical et transparent, prêt à déferler à côté de nous ou sur notre pont. C’est à cet instant précis que sept ou huit dauphins ont jailli du mur liquide comme de l’écran d’un cinéma pour replonger dans la vague suivante. La mer grise, les lames déferlantes, l’écume volant dans l’atmosphère, les dauphins et le ciel lourd, notre isolation dans cet univers dans lequel nous étions des intrus, tout avait une allure de fin du monde. Un peu plus tard, une autre lame puissante a déferlé sur notre arrière, remplissant le cockpit et se permettant d’entrer dans le bateau, jusqu’à la table carte qu’elle a trempée en passant.
Quelques heures plus tard, le vent s’est calmé mais la mer est restée forte toute la journée. Flores est apparue sur l’horizon. Nous nous sommes approchés de sa pointe sud à la nuit tombante et sommes entrés dans le port au milieu de la nuit, sans suivre les conseils de la littérature qui recommandaient d’attendre le jour pour entrer, car le coup de vent suivant était annoncé pour les heures à venir.
Quelques jours plus tard, après une autre traversée ventée, nous avons appris que deux bateaux avaient été coulés par des déferlantes pendant le coup de vent que nous avions essuyé. Les occupants avaient tous pu être sauvés.
Thierry Courvoisier, avril 2020
Départ pour l’Atlantique
Extrait de « Cérès en Atlantique, récit et réflexions d’un Suisse en mer » Eds Slatkine, 2012, pp. 77 et 80.
Notre traversée de l’Atlantique se fera en deux temps. Le premier de Santa Cruz de Tenerife à Mindelo, aux îles du Cap Vert (900 milles). Puis de Mindelo à Kourou, en Guyane Française (1700 milles), où nous espérons arriver à temps pour assister à un lancement de la fusée Ariane 5 prévu le 9 décembre. L’escale aux îles du Cap Vert n’est pas une nécessité absolue, nous avons suffisamment d’eau, de vivre et de carburant pour atteindre la Guyane sans arrêt intermédiaire. Cependant, la route qui permet de bénéficier au mieux des alizés descend tout d’abord vers le sud avant de tourner à droite, vers l’Amérique, quand les températures augmentent et que le beurre commence à fondre. Cet itinéraire passe à proximité des îles du Cap Vert. Ce serait donc dommage de se priver d’une escale intéressante, belle et reposante.
…
Mardi 24 novembre, Isabelle et Fabrice larguent nos amarres. Départ pour une navigation de 1800 milles, 12 jours estimons-nous, vers Kourou. Il faut surmonter beaucoup d’anxiété pour partir loin de toute présence humaine sur l’océan, un environnement pour lequel nous n’avons pas été dessinés. Il nous faudra être complètement autonomes, gérer nos soucis et bobos et les problèmes du bord avec les moyens embarqués. J’espère avoir pensé à tout, ou pour le moins n’avoir rien oublié d’essentiel. Les estomacs sont noués. Les regards un peu fixes. Les sourires forcés. Je réalise ma responsabilité d’emmener deux personnes, Barbara et Arjan, sur un bateau dont notre vie dépendra jusqu’à l’arrivée. Responsabilité beaucoup plus importante que celles que nous prenons dans nos vies professionnelles, quelles que soient nos positions, où la vie n’est pas en question. Les chauffeurs de bus scolaires faisant exception en ayant la charge de la vie de nos enfants sur les routes.
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40 kt correspond à 72 km/h ou force 9 « fort coup de vent » ↑
One thought on “Avez-vous vécu des tempêtes ou eu peur en bateau?”
Chers Barbara et Thierry!
Merci beaucoup pour vos descriptions intéressantes de vos voyages- navigations, pleins de dangers, d’aventures romantiques, d’images de Nature. C’est comme j’ai plongé dans mon enfance quand j’avais lu des livres de Jules Vern et d’autres.
Tamara Maximova (Naguirner), SPb.💙❤