Science et voile avec Gaia, saison 4, premier épisode
L’été en Suisse fut chaud et magnifique depuis notre arrivée fin avril. Les mois se sont passés entre joies et difficultés de la famille, et plaisir de retrouver des amis de longue date et certains plus récents. Notre temps fut aussi occupé par la remise en état de ce qui est devenu notre nouveau logement, le déménagement et de longues heures à suivre les instructions de manuels IKEA. Le dernier carton rangé, quelques tableaux sur les murs et il était temps de sortir les sacs de voyage pour repartir.
Les jours raccourcissent en Europe, l’automne avance, l’heure pour nous de retrouver le printemps austral. Nous avons atterri à Buenos Aires pour quelques jours de visite. Nous fûmes accueillis par Omar, le port officer du Ocean Cuising Club rencontré en avril pendant les travaux de préparation de Gaia pour l’hiver à Piriapolis en Uruguay. Omar naviguera avec nous autour la pointe sud de l’Amérique, mais avant cela il nous fait découvrir la ville dans laquelle il vit et qu’il connaît remarquablement bien. Nous avons vu une librairie implantée dans le parterre d’un ancien théâtre. Les livres sont exposés et les clients peuvent les emprunter pour lire dans les loges. Nous avons passé devant le Palais des Eaux construit au moment de développer le réseau d’eau de la ville et visité le cimetière de La Recoleta. Une vraie ville de mausolées serrés les uns contre les autres. Il y en a tellement que les notables qui se sont fait construire ces monuments à grand frais redeviennent anonymes dans les ruelles du cimetière. Les statues que l’on voit partout sont d’un profond ennui. Sans les vouloir joyeuses, on les souhaiterait plus originales que ces multiples anges la tête inclinée vers le sarcophage. Une seule statue d’une jeune femme morte dans une avalanche lors d’une promenade avec son mari sort du lot. La famille en avait tellement voulu au mari que la jeune femme est représentée avec son chien plutôt qu’avec son compagnon. Une balade dans de vastes espaces verts, un jardin japonais et une roseraie dans laquelle les toutes premières fleurs étaient écloses dans la grisaille froide. Une visite encore de l’opéra qui rivalise avec la Scala pour la splendeur et l’acoustique. Le tango est très présent, dans la rue autour du quartier de la Bocca où les touristes se font photographier dans un simulacre de danse, mais aussi lors de démonstrations plus académiques dans le café Tortoni. Les mouvements sont précis, fluides, rapides, les rôles des hommes et des femmes sont bien définis, pas question ici de nier les genres. Omar nous a encore fait visiter un centre culturel installé dans l’ancien hôtel des postes. Le grand espace entre les ailes du bâtiment a été aménagé en salle de concert à laquelle on a donné la forme d’une baleine. Nous y avons entendu une « création » un peu peut-être dans l’esprit dans lequel Haydn a pensé la sienne, jouée par un orchestre rock accompagné d’un ensemble de cordes. Magnifique. Bref une belle visite d’une ville que Barbara trouve attachante.
Omar
Parlement Buenos Aires
Autour de Puerto Madero
Hôtel de la poste devenu centre culturel
Pas de tango sur un trottoir
Jeune fille perdue dans une avalanche avec son chien
Première rose à Buenos Aires
L’histoire récente de l’Argentine, comme celles d’autres pays d’Amérique du sud a été marquée par une dictature militaire brutale entre 1976 et 1983. Des pierres blanches autour d’une fière statue équestre sur la place de Mai portent chacune le nom d’un disparu pendant cette période -pour la plupart des jeunes hommes- alors qu’un dessin sur le trottoir rappelle le foulard blanc porté par les mères de ces victimes.
Rappels de la période de dictature militaire sur la place de Mai
Nanuq est un bateau en aluminium sur lequel Bart s’est laissé prendre dans les glaces arctiques pour dériver de la Sibérie à l’Alaska. Nous l’avions rencontré avec sa compagne Marion à Isafjoerdur en mai 2022. Nanuq était à Puerto Madero tout près de notre hôtel à Buenos Aires fin prêt pour une expédition vers les îles Malouines et l’Antarctic. Quatre mois, six personnes, deux tonnes de nourriture. Un plaisir de retrouver Bart un moment à son bord et de croiser Marion sur le quai.
Nanuq à Buenos Aires
Nous avons fait une escapade à Iguazu. Des chutes d’eau sur des centaines de mètres entre Argentine et Brésil, un vrombissement assourdissant, de l’eau qui chute sur une centaine de mètres, une des sept merveilles de la nature.
Les chutes d’Iguazu
Une escapade encore à Colonia sur la rive nord du Rio de Plata, une petite ville qui fut portugaise puis espagnole. Ces derniers ont soigneusement rasé la cité portugaise en s’installant, il n’en reste que des ruines. Nous avons visité tous les musées et constaté qu’il y a peu de choses. Les colons arrivaient en bateaux avec fort peu de matériel pour s’établir, quelque soit leur origine, et il ne reste rien des indigènes qui ont rapidement disparu ne laissant aucune construction en dur ni rien d’écrit ou de dessiné. La dureté de la vie au tout début des colonies est révélée en creux par ces expositions.
Impressions de Colonia
Le 12 octobre, jour anniversaire de la l’arrivée de Christophe Colomb aux Bahamas, nous avons pris un bus chargé de tout notre matériel pour rejoindre Gaia à Piriapolis. Victor qui avait surveillé Gaia pendant l’hiver nous attendait à la station de bus pour nous conduire au port. Le bateau était propre et aéré, le retrouver dans ces conditions un plaisir. Il s’agit ensuite de mettre en service les fonctions du bateau les unes après les autres. Il faut mettre de l’eau dans le réservoir, actionner la pompe qui donne la pression de l’eau dans les robinets, mettre le boiler en service. Il faut enclencher les lumières, les systèmes des toilettes, s’assurer qu’il y a assez d’énergie dans les batteries, mettre les voiles à poste, placer les équipements de sécurité sur le pont et le long des bastingages. Il faut encore acheter de quoi se nourrir et boire. Un déssalinisateur, un appareil qui permet de faire de l’eau douce à partir de l’eau de mer, avait été installé pendant l’hiver, il a fallu le mettre sous pression, constater que plusieurs tuyaux fuyaient, les faire réparer et apprivoiser cet appareil qui doit augmenter considérablement notre autonomie hors de réseaux de distribution d’eau. Le moteur a demandé de l’attention aussi, changer les filtres vérifier les courroies, changer la turbine du circuit de refroidissement et vérifier le joint entre l’axe de l’hélice et la coque, joint qui avait été changé le mois précédent.
Mise en route de Gaia
Et, comme il faisait froid, il a fallu mettre le chauffage en marche. Pour ceci il fallait remplir le circuit de distribution de la chaleur d’eau et le mettre sous pression. Un premier problème est apparu : quand la pression augmentait, un joint fuyait. Puis, à pression réduite, nous avons constaté que la pompe qui distribue l’eau du chauffage ne fonctionnait pas. Or le chauffage est essentiel pour aborder le sud du continent américain, une région dans laquelle les glaciers descendent jusqu’à l’océan, un signe certain que les températures sont basses. Ces problèmes sont difficiles sans représentant de la firme du chauffage dans les environs. Mais les techniciens de la région sont inventifs, compétents et soucieux de résoudre les problèmes qui se présentent, ils sont arrivés au bout des problèmes rencontrés. Il ne reste qu’à payer les factures.
Il y avait un bateau rouge dans le port de Piriapolis, celui de Wolf et Rolf, deux navigateurs allemands rencontrés à Skagen en 2018 puis à La Corogne l’année dernière. Ce fut l’occasion d’un partage retrouvé alors que, peut-être, ils feront aussi route vers le sud du continent, à moins qu’ils ne choisissent Le Cap comme prochain but.
Charles-Henry Rochat, un ami genevois, nous a rejoint à Piriapolis, il descendra avec nous jusqu’à Mar del Plata. Un plaisir pour la conversation du bord qui s’enrichit de sa longue expérience médicale, mais aussi une aide précieuse pour manœuvrer Gaia en particulier dans les ports difficiles de la région.
Charles Henry à la barre de Gaia
Notre prochaine étape vers le sud est Mar del Plata en Argentine, à 230 milles de Piriapolis. Une étape sans port ni abri. Il était donc nécessaire de faire un galop d’essai avant de nous lancer. Nous sommes partis pour Punta del Este, le St-Trop de la région dit-on, à 25 milles de Piriapolis. Quitter un port uruguayen ne se fait cependant pas sans un ensemble de formalités. Il faut tout d’abord aller au bureau du port et payer son obole, recevoir un papier qui atteste de ce payement, puis aller à la « prefectura », un bureau de la marine, pour présenter le papier en question et demander l’autorisation de quitter le port. Autorisation qui nous fut accordée après avoir présenté les papiers du bateau et répondu à moult questions. Nous avons alors largué les amarres et avons annoncé notre départ à la radio, encore une exigence de la bureaucratie. Quelques milles au large le contrôle du port nous a rappelé à la radio en nous disant que nous n’avions pas la permission de partir et que nous devions rentrer et nous présenter à la « préfectura » pour encore une histoire de papier. Tout ceci pour nous rendre au port voisin, dans le même pays. Quelques palabres plus loin, et probablement avec l’intervention de Victor, qui avait gardienné Gaia, nous avons été autorisés à poursuivre. Les vents étaient très variables, de faibles à puissants, la mer formée, nous avons donc testé toute la garde-robe du bateau, grand-voile, sortie en entier et arisée, le génois et la trinquette. Tout a bien fonctionné montrant que Barbara et moi n’avions pas fait de nœuds en installant nos voiles.
Punta del Este est sans grand attrait. Mais c’est un cadre agréable pour passer deux jours et goûter de quelques viandes de la région accompagnées de vins issus du cépage Tanat. Il y a quelques années, les vins uruguayens passaient pour fort mauvais, mais comme à Neuchâtel il y a un certain temps, des progrès considérables ont été accomplis ici et nous avons bu de fort bonnes bouteilles. La Clipper race, une course autour du monde pour des équipages amateurs faisait escale à Punta del Este, une occasion de visiter ces bateaux fort peu ressemblants au nôtre. Ils sont spartiates, chaque couchette est occupée par deux personnes, l’une se repose pendant que l’autre est sur le pont. Petite cuisine pour les 22 équipiers, deux toilettes sans portes. Il paraît que les odeurs sont fortes au bout de quelques jours en mer. Le club nautique, meublé de bois verni et de cuir, était vivant de la présence de ces marins robustes. Les quais sont bordés d’échoppe vendant crevettes, moules et poissons.
Les bateaux de la Clipper race à Punta del Este
Quitter Punta del Este pour revenir à Piriapolis demande la même procédure que quitter Piriapolis. Deux visites à la prefectura furent nécessaire, un appel en quittant le port et, de nouveau, un appel au large nous demandant de revenir à la prefectura. Un dialogue dans mon espagnol en progrès, mais encore bien proche de zéro plus tard nous fûmes autorisés à poursuivre dans des conditions magnifiques sur une mer plate. Qui dit conditions magnifiques dit vent. Or le vent rend les manœuvres de port difficiles. Celles de Piriapolis sont particulièrement ardues car les bateaux sont amarrés avec le nez sur une bouée inaccessible depuis le bord. Le personnel du port n’est là que pour l’administration, pas question de donner un coup de main. Il faut donc mette l’annexe à l’eau en arrivant dans le port manœuvrée par Charles Henry pour faire un nœud avec une amarre sur l’anneau de la bouée pendant que l’on recule vers le quai, perpendiculairement au vent. Une employée du port nous attend bien sur le quai, pas pour prendre une amarre mais pour poser des questions administratives. Nous avons mis quelque temps pour finaliser notre amarrage, en évitant de vilains crochets proéminents et dangereux pour notre coque avant d’aller une fois encore au bureau du port et à la prefectura, où il faudra retourner le lundi suivant car les personnes compétentes pour traiter l’arrivée d’un voilier sont absentes le samedi.
Tout est maintenant prêt pour descendre vers le sud. Nous attendons Omar et une météo favorable et partirons dans quelques jours.
Avec un bateau prêt et un peu de temps nous sommes partis pour une journée à Montevideo. Deux heures de bus depuis Piriapolis dans la campagne uruguayenne, essentiellement plate, agricole et verdoyante, des vaches -il faut bien faut bien du bétail pour donner la viande généreusement servie dans les restaurants- et des chevaux. L’entrée en ville est longue et sans charme, peu surprenant pour des banlieues de grandes villes. La vieille ville est grise et triste sous la grisaille et la pluie. Nous avons longuement marché dans la seule rue piétonne bordée d’enseigne de luxe et dans les rues adjacentes tristes, grises, bruyantes de voitures, vers la place de l’indépendance, le théâtre et le marché de poisson transformé en marché pour touristes. Retour à la nuit tombée vers Piriapolis sous une pluie battante.
Montevideo sous la pluie
l reste les papiers à faire pour pouvoir quitter l’Uruguay, immigration, douane, port et prefectura. Une matinée pleine. Le temps s’est rétabli et une belle possibilité de descente vers Mar del Plata s’ouvre le lendemain.
13 réflexions sur « Science et voile avec Gaia, saison 4, premier épisode »
Vous êtes très courageux!
quelle aventure je me régale de vos récits et vous admire….bon vent et me réjouis déjà de lire la suite de vos aventures..
Bon vent à votre belle équipe tout au long de la descente de cette Amérique latine del Sur et un salut tout spécial à ChH. Vous nous faites rêver, merci. On vous embrasse depuis Zürich. Corinne et Ueli
Magnifique récit, ca donne envie … à bientôt!
Merci pour votre livre de bord, qui nous fait voyager dans l’histoire humaine et la géographie . Je retrouve aussi quelques lieux que j’ai visités.
Bon vent et belles découvertes !
J ai l impression de refaire mon propre itinéraire il y a vingt ans . Mais je n avais pas souvenir de tant de problèmes administratifs . On vous croirait en Égypte où ça atteint le zénith .
Je vous envie beaucoup. Et vous souhaite une belle descente vers le grand sud ,le moment de vérité .
Merci de ce 1er épisode qui en dit déjà long sur vos aventures à venir.
Un beau challenge que cette descente vers le Sud, la saison 4 promet de riches récits.
Gaïa vous accompagnera solidement et le chauffage remis en route assurera le confort indispensable au moral de la valeureuse troupe.
Je me réjouis du récit “en live”de Charles-Henry à qui vous avez permis de vivre une expérience sans nul pareil.
Merci à vous 2 de nous permettre de suivre une histoire belle et inspirante, on en a bien besoin ces temps-ci !
Vive Gaïa et son équipage
Coucou !
J ‘adore vous lire ! Toujours très riche ! Et des nouvelles de vous : chouette !
Merci , merci , merci !
Bisous et belle journée !
Bernie
Je rêve d’être assise sur une petite chaise rose, au soleil…
Merci pour votre récit qui va nous réchauffer pendant ce morne mois de novembre.
Je me réjouis du prochain épisode, avec vos sourires…
Florence
Me réjouis de vous suivre vers ces terres et mers qu’on dit inhospitalières. Elles ne le sont évidemment pas – ou pas complètement – et vous saurez nous en parler avec les mots justes. Le meilleur à vous et bon cap au navire, Bernard
Merci pour cette suite d’aventures qui nous fait rêver un peu plus que d’habitude. Bonne continuation et bonne santé à tout l’équipage.
Merci pour loe récit magnifique. Bon voyage. Au plaisir de vous lire plus tard.
hello les navigateurs, de Killybegs où nous flottons , nous vous suivons d’un oeil et vous souhaitons bon vent.
good luck
Kallista et Alain