Les migrations extraordinaires du Traquet motteux.
Philippe Delacrétaz, naturaliste, anc. prof.de sciences au gymnase
Octobre 2022
Cabane de Dorbon au-dessus de Derborence Valais, 2000 m d’altitude, 5°C : ce vendredi 16 septembre un traquet motteux cherche encore de la nourriture, de quoi compléter les réserves qui lui permettront d’atteindre prochainement l’Afrique du Nord.
Une récente étude menée par Yann Rime et ses collègues de la Station ornithologique suisse de Sempach, utilisant des géolocaliseurs améliorés, mesurant non seulement la luminosité mais aussi la pression atmosphérique, a permis de documenter de façon très précise la migration de traquet motteux nichant au nord du Tessin.
L’altitude, fluctuante lors des survols nocturnes de la Méditerranée et du Sahara, atteint fréquemment 2’000 à 4’000 m voire plus de 5’000 m, ce qui n’avait jamais été mesuré pour de si petits oiseaux.
Après la traversée de la mer Méditerranée et avant celle du Sahara qui prendra environ de 3 à 6 nuits environ pour 2’000 à 2’500 km, les traquets motteux nichant au nord du Tessin, effectuent une escale dans la région montagneuse de Kabylie en Algérie. Les données récupérées sur les géolocaliseurs lors de la recapture des oiseaux sur leurs terrains de nidification montrent que les traquets motteux passent 10 à 20 jours pour refaire leurs réserves avant de traverser le Sahara, et de rejoindre leurs quartier d’hiver situés dans la partie centrale du Sahel.
Mais pourquoi est-ce que je vous parle d’un petit passereau qui niche dans les Alpes et hiverne en Afrique ?! Quel rapport peut-il bien y avoir avec Gaïa qui a quitté l’Islande pour les côtes européennes et sera bientôt dans les îles proches de l’Afrique.
Et bien il existe aussi des traquets motteux qui nichent en Islande, au Groenland et dans l’arctique canadien qui sont en train de suivre la trajectoire empruntée par Gaïa ces derniers mois. Ils vont regagner leurs terrains d’hivernage situés dans l’Est du Sahel, au Sénégal et en Mauritanie. Ceux du Canada traversent donc l’Atlantique Nord en effectuant un trajet de plus de 7’000 km. Pour ce faire, un traquet motteux de 25 g peut doubler son poids en constituant des réserves de graisse pour préparer sa migration vers l’Angleterre !
Mais on a aussi découvert des populations de traquets en Sibérie et en Alaska qui traversent toute l’Asie pour aller hiverner en Afrique de l’Est en volant sur 30’000 km aller et retour, une performance inégalée pour des oiseaux de cette taille !
On peut se demander pourquoi des oiseaux qui nichent dans toutes les terres arctiques de l’hémisphère nord se retrouvent l’hiver dans les régions sahéliennes ?
En réalité, il semble clairement établi que toute la famille des traquets (du genre Oenanthe) est originaire précisément des régions steppiques et désertiques d’Afrique. Ce sont des oiseaux qui affectionnent les zones de végétation rase où ils trouvent les insectes qui constituent l’essentiel de leur nourriture.
La majorité des espèces de cette famille nichent actuellement en Afrique, dans la zone méditerranéenne, au Moyen-Orient ou dans les zones steppiques d’Asie.
Le traquet motteux a, quant à lui, conquis les régions de toundra, alpines et nordiques, pendant le Pleïstocène après la fin de la dernière glaciation pour s’y reproduire, ceux d’Europe centrale étant ceux dont la migration est la plus courte.
En Suisse, le traquet motteux niche en été entre 1500 et presque 3’000 m dans les Alpes et le Jura (très localement dès 1’200 m).
La tendance actuelle est à une baisse des effectifs en dessous de 2’400 m et à une hausse de ceux-ci au-dessus, ce qui risque de la faire disparaître du Jura et éventuellement des Préalpes !
Et pendant la période de migrations, soit de fin mars à fin mai et d’août à fin octobre, on le rencontre principalement dans les champs labourés du Plateau.
Il est facilement reconnaissable de dos, lorsqu’il s’envole à son croupion blanc bien visible.
Alors, à vos jumelles !