Islande I

Islande I

Nous arrivons dans les eaux islandaises

La route vers l’Islande fut  faite de vent au début, proche des îles Faroë, de brouillard ensuite pour une quarantaine d’heure, et d’une illumination de montagnes enneigées en arrivant dans le fjord de Seydisfjördur. Une longue montée dans un fjord vert acide, vert-brun,  beige, fuchsia, gris, blanc et bleu. L’après-midi était avancée, la lumière chaude, l’atmosphère froide. La couleur fuchsia provient d’immenses champs de lupins. Ces fleurs ont été introduites pour solidifier certaines pentes. La démarche a eu plein succès : Les lupins ont tellement prospéré qu’ils sont devenus envahissants et recouvrent des pans de montagnes entiers.

Arrivée sur le fjord de Seydisfjördur
Dialogue avec le garde port de Seydisfjödur

Le garde port avait été prévenu de notre arrivée par un téléphone avant de partir puis en arrivant dans le fjord et nous attendait sur le quai. Un homme  fort aimable au physique prononcé : Sa barbe lui arrive à peu près au nombril, mais à 45 degrés de l’horizontale pour s’épanouir sur sa panse volumineuse. Il nous a indiqué un quai différent de celui que la littérature nous annonçait, l’autre ayant été endommagé par une avalanche de boue en décembre dernier. Cette avalanche a aussi emporté  le musée local et une douzaine d’habitations, la cicatrice en est encore bien marquée. Le garde port avait averti les autorités de notre arrivée. Elles sont arrivées fringantes en uniforme, un homme grand et sec pour la douane et une femme probablement menue, mais dont le volume était doublé par un gilet pare-balle, une radio et divers équipements destinés à immobiliser, ou tout du moins impressionner, certains de ses contemporains. Elle était flanquée d’un tout jeune apprenti policier. Une fois à bord, l’officier des douanes a rempli quelques formulaires en s’enquérant sans trop de conviction de la quantité d’alcool du bord et la policière nous a guidés dans un long processus d’enregistrement lié au covid. Le jeune apprenti policier fut fort utile pour  contourner les idiosyncrasies du logiciel. Le tout s’est fait avec le sourire.

Cicatrice de l’avalanche de boue de décembre 2020

Seydisfjödur était annoncé comme l’endroit idéal pour arriver lorsque l’on vient d’Ecosse ou des îles Faroë. Je m’attendais donc à voir quelques bateaux, et  à  trouver une petite ville où il serait facile nous procurer ce dont le navigateur arrivant de loin a besoin en terme d’équipement et de documentation nautique. C’était terriblement naïf de ma part. Il n’y avait aucun autre bateau et le garde port auprès duquel je me suis enquis des shipshandler et librairies m’a regardé d’un air sceptique. La rue commerçante de la ville fait en effet une cinquantaine de mètres de long, elle est piétonne, son sol est peint de couleurs arc-en-ciel, peut-être pour  amadouer la communauté LGBT, et mène à l’église, peut-être pour apaiser les communautés plus classiques. La rue est bordée de deux cafés et d’une galerie. Punkt. Pour la documentation il faudra voir plus loin !

Seydisfjördur: la rue commerçante

Barbara a négocié un superbe cabillaud contre une bière et du chocolat. Nous avons fait une belle marche à flan de coteaux et, un soir, avons assister à un concert dans l’église de bois bleu et blanc. Deux saxophonistes ont commencé par jouer une adaptation de Telemann, puis se sont lancé dans des compositions modernes que les plus généreux de nous ont jugées démontrer une technique très aboutie des musiciens, alors que d’autres estimaient que composer ou jouer ces bruits dissonants devrait être punissable.

Chevaux islandais

Yves nous a quitté à Seydisfjodur en louant une voiture pour se rendre à Reykjavik où un avion l’emporterait vers d’autres aventures. Il nous restera un excellent souvenir de son passage à bord et de superbes photos. Une au moins dénote son talent post-soviétique pour ajouter ou enlever des personnages sur des images.

Nous avons quitté Seydisfjödur le 8 Juillet et sommes ressortis le long du fjord avant de tourner vers le nord en direction de  Vopnafjödur, un haut lieu de l’émigration  vers les Etats-Unis au 19ème siècle. Le quai indiqué pour nous était occupé par un porte-containeur, nous nous sommes donc enquis d’un autre endroit où nous amarrer. L’entrée vers ce ponton était à peine plus large que Gaia et le bassin à peine plus grand. Mais la manœuvre s’est fort bien passée. Vopnafjödur fut, comme la plupart des ports que nous visitons un haut lieu de la pêche au hareng. Les photos de la première moitié du 20ème siècle montrent dans tous ces ports des centaines de bateaux alors que les quais sont encombrés de milliers de barils de harengs salés. Chacun était doté d’une usine dans laquelle les harengs qui n’étaient pas destinés à la consommation humaine -ceux qui finissent salés dans les barils- sont processés pour extraire l’huile d’une part -utilisée par exemple pour l’éclairage public ou des produits cosmétiques- et les restes solides d’autre part. Ceux-ci sont riche en protéines et était utilisés comme nourriture animale.

Emigration de puis l’Islande au 19ème siècle

L’étape suivante était longue. Nous avons donc décidé de partir une après-midi pour arriver le lendemain dans la matinée à Raufarhöfn. Nous avons quitté  la terre relativement ensoleillée pour trouver une mer grise, couverte et dans le brouillard et naviguer vers le cap Langanes une longue péninsule formant l’extrémité nord-est de l’Islande. Nous avons franchi  le cap vers minuit, en luttant contre un courant de presque 3 nœuds, la moitié de la vitesse de Gaia. Le ciel s’est dégagé juste assez pour que nous voyions le cap  sur babord et, par tribord, les nuages éclairés par le soleil juste sous l’horizon à cette époque de l’année et  sous ces latitudes toutes proches du cercle polaire.

Lupins à Raufarhöfn

Raufarhöfn est comme Seydisfjödur et Vopnafjödur un port qui vit de la pêche et du processing du poisson. On y trouve aussi des « arches arctiques » qui pourraient faire croire à d’anciens monuments viking, mais dont la construction a commencé dans les années 1920 et n’est pas terminée. L’idée, selon les panneaux explicatifs, est de mettre en valeur les légendes et traditions de la région. Il reste que la promenade pour aller vers cet embryon de monument massif passe au travers de champs colonisés par des milliers d’oiseaux d’espèces variées (sternes arctiques, sternes à longues queues, courlis, bécassines des marais, huitriers, et probablement d’autres que nous n’avons pas identifiés). Un ballet sans répit dans le ciel, chaque espèce avec son vol caractéristique, dont la musique est donnée par les bruits et appels spécifiques de chaque sorte d’oiseaux.

Arches arcitiques à Raufarhöfn
Courli
Huitrier

Le soir dîner dans l’hôtel local qui avait déjà ouvert ses douches à ceux d’entre nous qui le souhaitaient. Il se disait que la spécialité de l’endroit est le macareux. Mais c’est d’agneau que nous avons dîner en conversant longuement avec l’hôtelier, qui habite en fait à Reykjavik, et commute vers Raufarhöfn tout en travaillant aussi sur un bateau de pêche.  Il est amateur de vins ibériques et nous en a proposé un excellent.

La route nous a ensuite mené vers Husavik, centre d’excursions pour voir des baleines. Nous en avons en effet vues en arrivant, de même qu’un spectacle de dauphins sautant hors de l’eau ( le film e ce spectacle est à voir sur https://www.youtube.com/watch?v=SID8xJvWmiI). Il y avait à Husavik un autre bateau à voile. Le premier que nous voyions depuis les îles Faroë, les eaux islandaises ne sont guère courues.  Nous avons passé la soirée avec son équipage en route vers le Groenland, en prenant quelques risques face aux exigences groenlandaises vis-à-vis du covid ; risques que nous ne prendrons pas.

Vers Husavik

L’attraction locale est, sans surprise, un musée de la baleine, fort bien fait. Sans surprise non plus, il n’y a pas de baleine sur la carte des restaurants de l’endroit.

Husavik

De Husavik nous avons été à Akureyri, la deuxième ville d’Islande par sa population, 18000 habitants, je ne sais pas combien d’âmes.

Arivée dans le fjord de Eyafjördur, au fond duquel se trouve Akureyri

Nous avons été accueillis  par un « Hallo Barbara und Thierry » sur le quai par Johannes et Barbara Vigfusson en séjour  alors à Akureyri. Johannes était en postdoctorat à l’institut de physique théorique de l’université de Zurich quand j’y faisais mon doctorat. Nos bureaux étaient dans la même villa de la Rämistrasse et nous partagions souvent un café pour tromper la solitude de ces études. Barbara et Johannes étaient venus naviguer avec nous autour de la Corse  un été de la fin des années septante . Nous ne les avions plus vu depuis.

Markus et Sybille nous ont quitté à Akureiry pour rejoindre leur bateau et naviguer dans la Baltique. Leurs talents culinaires avaient été fort appréciés à bord et la vie commune simple et agréable, en suisse-allemand. En poursuivant ma recherche de documentation nautique, j’avais constaté que je ne trouverai rien à Akureyri non plus et j’avais fait envoyer un exemplaire d’un guide nautique islandais par une librairie de Reykjavik. Ils avaient un contact dans un atelier de moteur loin hors de la ville, nous nous y sommes donc rendus à pied. Une bonne manière de parcourir des quartiers d’habitation et industriels. La vie semble tranquille, l’espace généreux, et la voiture indispensable. Les habitations n’ont pas de cheminée, ce que nous comprenons, car le chauffage est géothermique à distance.  

Erro, peintre islandais exposé à Akureyri

Nous avons trouvé l’atelier, le livre y était arrivé, un prix approximatif suggéré et payé, et sommes retournés au port. Depuis nous avons des plans de mouillages et port, datant de 1991 en plus de ce que je possédais. La seule manière de trouver les instructions nautiques anglaises que je souhaitais encore  avoir était de demander à Leonne et Jaap qui nous rejoindraient quelques jours plus tard  depuis Amsterdam de se les procurer en plus des connecteurs de bouteilles de gaz qui devraient nous permettre d’utiliser des bouteilles islandaises plutôt que le camping gaz très européen et français avec lequel notre Amel est équipé.

Johannes a grandi à Akureyri. Sa famille y était établie depuis plusieurs générations. Un jour il nous a emmené sur les pas de ses pères,  à l’emplacement de la ferme dans laquelle son grand-père a grandi,  à celle où son père  a fait ses premiers pas dans la vallée qui débouche sur le long fjord par lequel nous étions arrivés. L’excursion s’est terminée le long du fjord dans une ferme du 19ème siècle gardée comme musée. De petites maisons sombres sous d’épais toits d’herbes. Le tout ressemble fort aux lieux décrits par Jon Kalman Stefansson dans une trilogie dans laquelle il peut décrire une marche dans la neige sur plus de cent pages,  sans que son lecteur ne décroche, un exploit littéraire qui fait un peu penser à Victor Hugo et ses Travailleurs de la mer.

Maisons traditionnelles islandaises

En longeant les coteaux on peut voir de grandes surfaces qui ont été reboisées au fil des dernières décennies, pour faire renaître les forêts que les Vikings ont complétement éliminées du paysage pour construire leurs bateaux, fabriquer du charbon et se chauffer. Voir ces surfaces importantes et celles beaucoup plus grandes encore toujours sans arbres illustre l’ampleur que des programmes de reboisement doivent prendre pour avoir une certaine importance régionale et /ou sur le CO2 atmosphérique. Lorsque l’on réalise que le reboisement est un des rares outils réalistes à notre portée pour agir sur le climat, on prend la mesure des tâches que nos sociétés doivent entreprendre et de l’action exigée de nos gouvernements . 

Un autre jour Johannes nous a emmené voir les diverses manifestations du volcanisme dans la région, des lacs, des cratères, des sources d’eau sulfureuse, une usine géothermique, des coulées de laves, des colonnes de lave refroidies. Une illustration de la richesse de la physique de la croûte terrestre comme il est difficile d’en voir ailleurs. Les paysages, sont sculptés sur de multiples échelles : sur une dimension par le fil de l’eau,  par les glaciers qui ont gravé leur emprunte sur des kilomètres carrés et par le volcanisme présent en trois dimensions, sur des tailles de dizaines ou centaines de kilomètres, mais aussi sur toutes les échelles jusqu’aux morceaux de basalte de la taille d’un mètre voire moins. Certains chimistes ou biologistes argueront que les paysages sont aussi marqués par des phénomènes de leur domaine. Nous n’aurons pas la mauvaise foi de contester leur point.

Le pare-brise de la voiture de Johannes était couvert d’impacts d’insectes à l’arrivée. L’agriculture discrète ici, on cultive surtout de l’herbe pour le bétail, utilise certainement moins d’insecticides que sous nos latitudes. Les insecticides tuant, par dessein, les insectes, nous ne sommes pas trop surpris que les pare-brise européens restent propres.

Nanuk et Gaia à Olafsfjördur

En attendant Leonne et Jaap, Barbara et moi sommes repartis vers Hrisey, une île à l’entrée du fjord où nous avons fait une longue promenade parmi les oiseaux. Puis nous avons été à Olafsjördur, un port désaffecté en été, pour rencontrer Nanuk, le bateau d’un genevois qui conduit des expéditions arctiques et dont nous croisions la route. Nous avions fait connaissance lorsque, pour une autre expédition, il avait cherché un financement pour de la communication scientifique, financement que la fondation Wright avait octroyé. Une belle rencontre  avec son équipage dans un lieu improbable. Retour ensuite  à Akureyri avec un arrêt à Dalvik. Nous devenons familiers du fjord et des bateaux qui emmènent les touristes voir les baleines, que nous n’avons vues qu’une fois. Entre Olafsfjödur et Dalvik, alors que nous cherchions vainement des baleines à l’ouvert du fjord, nous avons été survolé par un drone venu de nulle part. Nous étions à plusieurs milles de la côte la plus proche. Le drone a fait le tour du bateau, s’est approché à quelques petits mètres de nos personnes et est reparti sans que nous puissions identifier où il allait. Nous ne savions que penser de cette incursion dans notre intimité, rassurez-vous nous sommes habillés sous ces latitudes, ne sachant si elle était amie ou hostile jusqu’au soir où, dans le port de Dalvik, un homme s’est approché et nous a tendu une clef USB avec le film qu’il avait tourné et que vous trouvez sous https://youtu.be/KmhAqom2WOw , en nous expliquant qu’il faisait partie des services islandais de sécurité et s’entrainait au maniement de drones comme outil de secours en mer.

Hrisey, vue sur Eyafjördur

7 réflexions sur « Islande I »

  1. trop bien … ce voyage magnifique hors cadre COVID19.

    et bien profitez en max chers amis.

    bon vent à vous et vive la mélodie à flûtes pour les poissons….. bisous

  2. Hello les amis,
    Je vous suis avec la nostalgie de ces paysages nordiques que j’ai tant aimés à la barre de “Kadoran” !
    Bon vent à vous
    Amitiés
    Robin

  3. Chers Barbara et Thierry!
    Merci beaucoup pour vos publications intéressantes, vos récits et photos!
    Bon voyage!
    Tamara et Dmitry.

  4. Magnifique récit, qui me change de mes lectures estivales. Merci pour ce beau partage qui fait envie
    Bonne suite de belles découvertes!
    Béatrice

  5. Superbes découvertes de magnifiques paysages grâce à vos partages. J’entends d’ici le son de la flûte… Je découvre les images du reportage suivant sur la fête de la ST-Jean que je connaît très bien (!!!) étant accro aux polars de Viveca Stern, écrivaine suédoise. Impressionnant !
    Amitiés à vous deux

  6. Chers amis,

    Quel agréable et intéressant dépaysement que vous m’offrez!
    Infiniment merci!
    Votre livre de bord peut facilement concurrencer avec ma lecture du moment!
    J’adore la diversité! Un drone qui vous surprend et observe, des airs joués sur une flûte, des talents de Barbara que j’ignorais, des champs des lupins qui sont considérés comme plantes envahissantes et tellement utile tout de même, des dauphins qui vous accompagnent….
    Excellente suite et je me réjouis du prochain extrait de votre livre de bord!
    Hélène

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